Un jeune enfant né avec une malformation cardiaque subit une intervention quelques années plus tard, au cours de laquelle survient une complication entraînant une anoxie cérébrale, il en subsiste des lésions neurologiques majeures. Sa mère obtient une indemnisation de la part de l’ONIAM qui limite la part du dommage indemnisable à 50%. La Cour d’appel confirme cette évaluation. Le Conseil d’Etat estime « qu'après avoir constaté que les conséquences dommageables de l'intervention ne résultaient pas d'une faute du service hospitalier mais d'une complication technique imprévisible, et qu'elles remplissaient les conditions d'anormalité et de gravité ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale, la Cour a commis une erreur de droit en limitant ce droit à réparation à une fraction seulement du dommage ». |
Conseil d'État
N° 352492
5ème et 4ème sous-sections réunies
lecture du mercredi 6 novembre 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 septembre et 7 décembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme B...-Z..., en qualité d'administratrice de son fils mineur, demeurant... ; Mme B... -Z...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 09NT01348 et 09NT01526 du 7 juillet 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, réformant le jugement n° 0801755 du 16 avril 2009 du tribunal administratif d'Orléans, a ramené à 141 509 euros et 5 735 euros l'indemnité en capital et la rente annuelle mises à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) en réparation des préjudices subis par M. Y… à la suite d'une intervention pratiquée au centre hospitalier régional et universitaire (CHRU) de X... le 27 janvier 2005 ;
2°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Richard, avocat de Mme B...-Z...et à la SCP Roger, Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Y..., né le 4 décembre 2003 avec une grave malformation cardiaque, a subi au centre hospitalier régional universitaire de X..., après la mise en place d'un Blalock le 11 décembre 2003, une nouvelle intervention, réalisée le 27 janvier 2005, au cours de laquelle est survenue une complication qui a entraîné une anoxie cérébrale à l'origine de lésions neurologiques majeures ; que Mme B...-Z..., agissant au nom de son fils, a demandé au tribunal administratif d'Orléans de mettre la réparation des préjudices consécutifs à cette intervention, au titre de la solidarité nationale, à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ; que, par un jugement du 16 avril 2009, le tribunal a mis à la charge de l'ONIAM la réparation de l'ensemble des conséquences dommageables de l'intervention du 17 janvier 2005 ; que Mme B... -Z...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 7 juillet 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a ramené à 50 % la part du dommage indemnisable au titre de la solidarité nationale et diminué en conséquence le montant des indemnités dues ;
Sur l'étendue du droit à réparation au titre de la solidarité nationale :
2. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret (...)" ; qu'aux termes de l'article L. 1142-22 du même code, l'ONIAM " est chargé de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale, dans les conditions définies au II de l'article L. 1142-1 (..) des dommages occasionnés par la survenue d'un accident médical, d'une affection iatrogène ou d'une infection nosocomiale " ;
3. Considérant que la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que l'accident survenu lors de l'intervention du 27 janvier 2005 n'était pas imputable à des fautes commises par les médecins mais résultait de la présence, inhabituelle et imprévisible, d'adhérences entre le Blalock mis en place antérieurement et la paroi thoracique de l'enfant et qu'eu égard aux graves conséquences neurologiques que cet accident avait entraînées, les conditions d'engagement de la solidarité nationale, telles que prévues par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, se trouvaient remplies ; qu'après avoir relevé qu'existait un lien de causalité direct entre l'acte de soin et les dommages subis par l'enfant, la cour a jugé que " si les conséquences de l'acte de soin ne peuvent être considérées comme normales, il est néanmoins nécessaire de tenir compte, d'une part, de l'état de santé initial de l'enfant dont le pronostic vital était engagé à la naissance et, d'autre part, de la complication technique imprévisible et inhabituelle rencontrée lors de l'intervention litigieuse " et qu'il y avait lieu, en conséquence, " de fixer à 50 % le montant du préjudice imputable à l'état antérieur de l'enfant " ;
4. Considérant qu'après avoir constaté que les conséquences dommageables de l'intervention ne résultaient pas d'une faute du service hospitalier mais d'une complication technique imprévisible et qu'elles remplissaient les conditions d'anormalité et de gravité ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale, la cour a commis une erreur de droit en limitant ce droit à réparation à une fraction seulement du dommage ;
Sur les préjudices subis par M. Y...:
5. Considérant qu'après avoir relevé que l'état de santé de l'enfant nécessitait en permanence la présence d'une tierce personne qualifiée, la cour a constaté qu'il était accueilli à la journée en qualité de demi-pensionnaire au sein d'un établissement spécialisé et a évalué à quatre heures par jour la durée de l'assistance complémentaire dont il avait besoin à domicile ; qu'en fixant sur cette base l'indemnité due au titre de l'assistance d'une tierce personne, sans tenir compte des jours durant lesquels l'enfant ne bénéficie pas de la prise en charge dans un établissement et demeure à son domicile, elle a entaché sa décision d'une erreur de droit ;
6. Considérant que, pour fixer à 2 397,80 euros les frais de couches à la charge de Mme B...-Z...pour la période comprise entre avril 2009 et décembre 2021, la cour s'est fondée sur un coût mensuel non contesté de 19,70 euros et un prix de l'euro de rente viagère à dix-huit ans de 10.143 correspondant au barème de la Gazette du Palais de 2004 versé aux débats par la requérante, incluant un taux d'intérêt de 3,20 % ; que le moyen tiré de ce que la cour n'aurait pas effectivement appliqué le taux d'intérêt de 3,20 % qu'elle a mentionné dans son arrêt manque en fait ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...-Z...est fondée à demander que l'arrêt du 7 juillet 2011 soit annulé en tant qu'il limite l'indemnisation de M. Y... à 50% des conséquences dommageables de l'intervention du 27 janvier 2005 et en tant qu'il évalue le préjudice lié à la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ;
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B... -Z...qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 000 euros à verser à Mme B... -Z..., au titre des mêmes dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 7 juillet est annulé en tant qu'il limite l'indemnisation de M. Y... à 50% des conséquences dommageables de l'intervention du 27 janvier 2005 et en tant qu'il évalue le préjudice lié à la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne.
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Nantes.
Article 3 : L'ONIAM versera à Mme B...-Z...une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par l'ONIAM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B...-Z..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Loiret.