Un établissement public départemental avait recruté une personne en qualité de secrétaire médicale stagiaire. Celle-ci avait par la suite été titularisée. Après avoir constaté qu’elle n’avait pas obtenu le baccalauréat « série F8 secrétariat médical » comme elle l’avait attesté dans son dossier de candidature, le Directeur de l’établissement a prononcé sa révocation et sa radiation des cadres de la fonction publique hospitalière. La requérante a donc demandé au juge l’annulation de cette décision, sa réintégration dans le service ainsi qu’une indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi. Le Conseil d’Etat rappelle qu’il appartient au juge administratif d’opérer un contrôle de proportionnalité entre la sanction prononcée et la faute de l’agent, en tenant compte du temps écoulé depuis que la faute a été commise, de sa nature, de sa gravité et au comportement ultérieur de l’agent. En l’espèce, si le diplôme figurant dans le dossier administratif de l’agent est un faux, l’agent est en revanche titulaire d’autres diplômes en adéquation avec sa mission. De plus, il ne ressort pas des éléments fournis par les employeurs de l’agent et notamment de ses évaluations, que ses qualifications et ses compétences ne correspondent pas aux fonctions qu'elle exerce. Il n’apparaît pas non plus qu’elle ait eu un comportement justifiant sa révocation depuis la faute reprochée. Ainsi, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande. |
Conseil d'État
N° 367260
5ème et 4ème sous-sections réunies
Mme Leïla Derouich, rapporteur
Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public
SCP ORTSCHEIDT ; SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats
lecture du mercredi 12 mars 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 28 mars et 20 juin 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'établissement public départemental CAT X., dont le siège est … ; l'établissement public départemental CAT X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 11MA02224 du 29 janvier 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, en premier lieu, a annulé le jugement n° 1000817 du tribunal administratif de Toulon du 8 avril 2011, en deuxième lieu, a annulé la décision du 19 janvier 2010 de son directeur prononçant la révocation de Mme Y., sa radiation des cadres de la fonction publique hospitalière et la fin de son détachement auprès de l'Institut régional de formation sanitaire et sociale de la Croix Rouge française, en troisième lieu, l'a condamné à verser à Mme Y. la somme de 500 euros au titre de son préjudice moral, en quatrième lieu, a ordonné un supplément d'instruction tendant à la production par Mme Y. de tous documents permettant de déterminer l'étendue de son préjudice professionnel et, enfin, lui a enjoint de réintégrer Mme Y. et de procéder à la reconstitution administrative de sa carrière ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les conclusions d'appel de Mme Y. ;
3°) de mettre à la charge de Mme Y. le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Leïla Derouich, auditeur,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Ortscheidt, avocat de l'établissement public départemental CAT X. et à la SCP Blanc, Rousseau, avocat de Mme Y. ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Y. a été recrutée le 1er septembre 1990 par l'établissement public départemental CAT X. en qualité de secrétaire médicale stagiaire ; qu'elle a été titularisée à compter du 1er janvier 1992 ; que le directeur de cet établissement public, après avoir constaté que Mme Y. n'avait pas obtenu le baccalauréat série F8 de la session de 1982, dont l'attestation figurait dans son dossier de candidature, a, par une décision du 19 janvier 2010, prononcé sa révocation et sa radiation des cadres de la fonction publique hospitalière ; que le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de Mme Y. tendant à l'annulation de cette décision, à ce qu'il soit enjoint à l'établissement de la réintégrer sous astreinte ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice qu'elle estime avoir subi ; que l'établissement public départemental CAT X. se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 29 janvier 2013 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du tribunal administratif et la décision de son directeur du 19 janvier 2010, lui a enjoint de réintégrer Mme Y. et de procéder à la reconstitution administrative de sa carrière, l'a condamné à verser à l'intéressée une somme de 500 euros au titre de son préjudice moral et a ordonné un supplément d'instruction pour déterminer l'étendue de son préjudice économique ;
2. Considérant qu'aucun texte ni aucun principe général du droit n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire à l'égard d'un fonctionnaire ; que, dès lors, en jugeant illégale la sanction litigieuse au motif qu'un " principe général du droit répressif " imposerait à l'autorité administrative de respecter un délai raisonnable entre la date à laquelle elle a eu connaissance des faits reprochés à un agent et celle à laquelle elle décide d'engager des poursuites disciplinaires à son encontre, ainsi qu'entre cette dernière date et celle à laquelle elle décide de prononcer une sanction, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, l'arrêt attaqué doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
4. Considérant qu'il appartient au juge administratif, saisi d'une demande tendant à l'annulation d'une sanction prononcée pour des faits anciens, d'apprécier, eu égard notamment au temps écoulé depuis que la faute a été commise, à la nature et à la gravité de celle-ci et au comportement ultérieur de l'agent, si la sanction prononcée présente un caractère proportionné ; qu'il ressort des pièces du dossier que, si le diplôme figurant dans le dossier administratif de Mme Y. , mentionnant l'obtention du baccalauréat série F8 " secrétariat médical " de la session de 1982, est un faux, Mme Y. est, en revanche, titulaire d'un diplôme du baccalauréat " économique et social " de la même session ; qu'elle a obtenu, en septembre 1997, une licence en sciences de l'éducation puis, en janvier 2002, une maîtrise des " sciences de la documentation et de l'information ", correspondant aux fonctions de documentaliste qu'elle a exercées depuis son détachement au sein de l'Institut de formation en travail social de la Croix-Rouge française du Var le 3 septembre 2001 ; que, si elle ne pouvait ignorer que son recrutement initial était irrégulier, alors au surplus que le directeur de l'établissement public était son beau-père, il ne ressort pas des éléments fournis par les employeurs de Mme Y. , et notamment de ses évaluations, que ses qualifications et ses compétences ne correspondraient pas aux fonctions qu'elle exerce depuis 1990 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que, depuis la faute qui lui est reprochée, commise il y a plus de vingt ans, elle aurait eu un comportement de nature à justifier une sanction ; que, eu égard à l'ensemble de ces circonstances, la sanction de révocation prononcée à l'encontre de Mme Y. par le directeur du CAT X. n'est pas proportionnée à la faute qui lui a été reprochée ; qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme Y. est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa demande ;
5. Considérant que l'annulation de la décision du 19 janvier 2010 du directeur de l'établissement public départemental CAT X. implique nécessairement que Mme Y. soit réintégrée par cet établissement et qu'il procède à la reconstitution administrative de sa carrière ; qu'il y a, dès lors, lieu d'enjoindre à cet établissement de procéder à cette réintégration et à cette reconstitution, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
6. Considérant, enfin, qu'il a été statué sur les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice économique subi par Mme Y. par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 19 juillet 2013 ; que le préjudice moral allégué par Mme Y. n'est pas établi ;
7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme Y. qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu'il y a en revanche lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'établissement public départemental CAT X. le versement de la somme de 3 000 euros que Mme Y. demande au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 29 janvier 2013 est annulé.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 8 avril 2011 et la décision du 19 janvier 2010 du directeur de l'établissement public départemental CAT X. sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint à l'établissement public départemental CAT X. de réintégrer Mme Y. et de procéder à la reconstitution administrative de sa carrière.
Article 4 : L'établissement public départemental CAT X. versera à Mme Y. la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par l'établissement public départemental CAT X. au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le surplus des conclusions du pourvoi et de la requête d'appel de Mme Y. est rejeté.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à l'établissement public départemental CAT X. et à Mme Y.