Un agent, s’estimant victime de harcèlement moral sur son lieu de travail, avait demandé à son directeur le bénéfice de la protection fonctionnelle. Ce qui lui avait été refusé. Le Conseil d’Etat rappelle, d’une part, que les dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 établissent à la charge de l’administration une obligation de protection de ses agents dans l’exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d’intérêt général et, d’autre part, qu’il appartient à l’agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement. En l’espèce, les juges ont considéré que l’intéressé n’apportait pas, à l’appui de ses dires, des faisceaux d’indices suffisamment probants pour permettre de regarder comme au moins plausible le harcèlement moral dont il se disait victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques et de ses collègues. « Qu’en en déduisant que M. X n’était pas fondé à soutenir que c’était à tort que le directeur de l’établissement avait refusé de lui accorder le bénéfice de la protection qu’il sollicitait, le tribunal, dont le jugement est suffisamment motivé, n’a pas commis d’erreur de droit, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve ». |
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février et 13 mai 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X, demeurant [...] ; M. X demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'arrêt n° 12NC00191 du 20 septembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant, d'une part, à l'annulation du jugement n° 0902231 du 20 septembre 2011 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne rejetant sa demande d'annulation du refus du directeur de l'établissement public de santé mentale de l'Aube de lui reconnaître le bénéfice des dispositions de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires et, d'autre part, à l'annulation de cette décision ; 2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel et d'enjoindre au directeur de l'établissement public de santé mentale de l'Aube de mettre en oeuvre la protection prévue par les dispositions mentionnées ci-dessus ; 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 € à verser à Me Ricard, son avocat, au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ; Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; Vu le code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes, - les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ; La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Ricard, avocat de M. X. et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat de l'établissement public de santé mentale de l'Aube ; 1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. X., assistant social en service à l'établissement public de santé mentale de l'Aube, a demandé le 13 juillet 2009 au directeur de cet établissement le bénéfice de la protection instituée par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires, en soutenant qu'il était victime d'un harcèlement moral sur son lieu de travail ; que sa demande a été rejetée par une décision implicite contre laquelle il a présenté un recours pour excès de pouvoir que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté par un jugement du 20 septembre 2011 ; que M. X. se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 20 septembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté son recours contre ce jugement ; Sur l'arrêt attaqué : 2. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article R. 811-1 et de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, dans leur rédaction applicable à la date du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort dans les litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics, à l'exception de ceux concernant l'entrée au service, la discipline ou la sortie du service, sauf pour les recours comportant des conclusions tendant au versement ou à la décharge de sommes d'un montant supérieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 du même code ; 3. Considérant que la demande présentée par M. X. devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, qui tendait, ainsi qu'il a été dit, à l'annulation d'une décision refusant d'admettre l'intéressé au bénéfice de la protection prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, soulevait un litige portant sur la situation individuelle d'un fonctionnaire sans concerner l'entrée au service, la discipline ni la sortie du service ; que le requérant ne présentait pas de conclusions indemnitaires ; qu'ainsi, en vertu des dispositions rappelées ci-dessus, le tribunal administratif a statué en premier et dernier ressort ; qu'en exerçant un recours contre le jugement du 20 septembre 2011, qui n'était pas susceptible d'appel, M. X. devait être regardé comme formant un pourvoi en cassation qu'il appartenait à la cour de renvoyer au Conseil d'Etat ; qu'en statuant néanmoins sur les conclusions de l'intéressé, la cour a méconnu l'étendue de sa compétence ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les moyens de M. X., l'arrêt du 20 septembre 2012 doit être annulé ; que, par l'effet de cette annulation, le Conseil d'Etat se trouve saisi, en tant que juge de cassation, du pourvoi formé par M. X contre le jugement du 20 septembre 2011 ; Sur le pourvoi en cassation de M. X contre le jugement du 20 septembre 2011 : 4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel » ; qu'aux termes de l'article 11 de la même loi : « Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / [...] La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. [...] » ; que ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général ; que cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis ; que la mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre ; qu'il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ; 5. Considérant, d'autre part, qu'il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ; 6. Considérant que, pour rejeter la demande de M. X, le tribunal a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que l'intéressé n'apportait pas, à l'appui de ses dires, un faisceau d'indices suffisamment probants pour permettre de regarder comme au moins plausible le harcèlement moral dont il se disait victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques et de ses collègues ; qu'en en déduisant que M. X. n'était pas fondé à soutenir que c'était à tort que le directeur de l'établissement avait refusé de lui accorder le bénéfice de la protection qu'il sollicitait, le tribunal, dont le jugement est suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve ; 7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M.X. n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qu'il attaque ; que, par suite, les conclusions de son pourvoi dirigées contre ce jugement ainsi que celles qui tendent à ce qu'il soit enjoint à l'établissement public de santé mentale de l'Aube de faire droit à sa demande de protection doivent être rejetées ; 8. Considérant que, l'établissement public de santé mentale de l'Aube n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit tant aux conclusions qui avait été présentées à ce titre par M. X. devant la cour administrative d'appel de Nancy qu'à celles que son avocat a présentées devant le Conseil d'Etat sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il n'y a pas lieu, en tout état de cause, de faire droit à celles qui avaient été présentées devant la cour par l'établissement public de santé mentale de l'Aube ; DECIDE : Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 20 septembre 2012 est annulé. Article 2 : Le pourvoi de M. X. contre le jugement du 20 septembre 2011 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne et le surplus de ses conclusions présentées devant le Conseil d'Etat sont rejetés. Article 3 : Les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par l'établissement public de santé mentale de l'Aube devant la cour administrative d'appel de Nancy sont rejetées. Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X. et à l'établissement public de santé mentale de l'Aube. |