Un délinquant souffrant de troubles mentaux estime que son maintien en détention dans un établissement pénitentiaire, et non au sein d’un établissement psychiatrique, constitue une violation de l’article 5§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) rappelle « qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention et que, en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié. ». Toutefois, elle considère que « le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté ». La CEDH rappelle que « même si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté ». Dans cette affaire, elle considère que les soins dont a bénéficié le requérant lors de sa détention peuvent être considérés comme appropriés et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention. |
Cour européenne des droits de l'Homme
DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE X. c. SUISSE
(Requête no 43368/08)
ARRÊT
STRASBOURG
27 janvier 2015
En l’affaire X. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Nebojša Vučinić,
Helen Keller,
Paul Lemmens,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
et de Stanley Naismith, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 16 décembre 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43368/08) dirigée contre la Conféderation suisse et dont un ressortissant italien, X. (« le requérant »), a saisi la Cour le 21 août 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me S. Arquint, avocat à Zürich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. Adrian Scheidegger, de l’Office fédéral de la Justice.
3. Le requérant allègue que sa détention était contraire à l’article 5 § 1 en ce qu’elle s’est déroulée en prison et non dans une clinique de soins. Invoquant l’article 5 § 5, il se plaint également de ne pas avoir pu obtenir réparation à cet égard.
4. Le 2 décembre 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.
5. Informé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention), le gouvernement italien n’a pas souhaité s’en prévaloir.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant, M. X, est un ressortissant italien, né en 1980 et résidant à Schlieren (canton de Zürich).
7. Le requérant fit l’objet d’une enquête pour diverses infractions pénales et fut placé en détention préventive à plusieurs reprises.
8. Le 14 septembre 2004, le parquet de Zürich le mit en accusation du chef de lésions corporelles, contrainte, infraction à la législation en matière d’assurance-chômage, infraction à la législation sur les stupéfiants, violation de la loi sur la circulation routière et infraction à la législation sur les armes.
9. Par décision du 28 septembre 2004, le président de la 4ème chambre du tribunal du district de Zürich (ci-après : « le président du tribunal du district ») rejeta l’acte d’accusation au motif que les antécédents du requérant laissaient planer un doute sur sa santé mentale et qu’il y avait dès lors lieu de le faire examiner par un expert.
10. Alors que le requérant était détenu depuis le 23 décembre 2004, le Dr. K. conclut, dans son rapport du 24 février 2005 à l’attention du parquet, que le requérant était atteint d’une manie avec des symptômes psychotiques « synthymes » et recommanda de le déclarer pénalement irresponsable. Au vu du risque élevé de récidive, l’expert conseilla le placement du requérant dans une clinique psychiatrique, aux fins de traitement, au besoin contre sa volonté, suivi d’un traitement ambulatoire durant plusieurs années.
11. Le 17 mai 2005, le parquet mit à nouveau le requérant en accusation, ajoutant d’autres charges à celles qu’il avait retenues dans la première procédure.
12. Par jugement du 26 septembre 2005, la 4ème chambre du tribunal du district de Zürich ordonna le classement de certaines charges pour cause d’irresponsabilité, tandis qu’il déclarait le requérant coupable d’infractions à la législation en matière d’assurance-chômage, à la législation sur les stupéfiants, à la loi sur la circulation routière et à la loi sur les armes. Il condamna le requérant à une peine ferme de cinq mois de prison, qu’il déclara avoir été compensée par la détention préventive, ainsi qu’à une amende. Il ordonna une mesure institutionnelle (stationäre Massnahme) au sens de l’article 43 chiffre 1 alinéa 1 du Code pénal alors en vigueur du fait de l’irresponsabilité du requérant. Il révoqua, enfin, divers sursis qui avaient été octroyés au requérant précédemment. Dans les considérants de son jugement, le tribunal du district de Zürich précisa que la mesure pouvait aussi être ordonnée contre la volonté du requérant. Le requérant interjeta appel de ce jugement.
13. Par décision du même jour, le président du tribunal du district ordonna le maintien en détention préventive jusqu’au début de l’exécution de la mesure.
14. Par décision du 18 octobre 2005, le président du tribunal du district autorisa avec effet immédiat l’exécution anticipée de la mesure ordonnée dans le jugement du 26 septembre 2005.
15. Le 8 décembre 2005, sur décision de l’office d’exécution des peines, le requérant fut interné au sein de la clinique psychiatrique de Königsfelden (canton de Zürich).
16. Toutefois, le 28 mars 2006, face au comportement du requérant décrit comme « insupportable » (« nicht mehr tragbar ») et compte tenu de ce qu’il refusait d’être traité, l’autorité d’exécution ordonna son placement en détention.
17. Le 30 mars 2006, le requérant quitta la clinique psychiatrique de Königsfelden et fut à nouveau placé en détention.
18. Le 4 avril 2006, le requérant affirma être prêt à se soumettre à un traitement. Les autorités prirent alors contact avec plusieurs institutions dont deux se déclarèrent inaptes à accueillir le requérant.
19. Lorsqu’une troisième institution, la clinique de Rheinau proposa un entretien en vue d’un éventuel traitement, le requérant, par lettre du 5 mai 2006, refusa de s’y rendre. Dès lors, il fut soigné en prison.
20. Par décision du 23 mai 2006, le tribunal de district ordonna la continuation de la détention jusqu’à la mise en place de la mesure institutionnelle.
21. Durant sa détention, le requérant bénéficia de consultations médicales régulières et d’un traitement par neuroleptiques.
22. Une expertise médicale du 7 novembre 2006 considéra l’état de santé du requérant comme « bon et stable » (« gut und stabil »).
23. Le 9 janvier 2007, le requérant demanda à être libéré.
24. Il fut remis en liberté, à condition de poursuivre son traitement, par décision du président de la 2ème chambre pénale de la cour suprême du canton de Zürich, rendue le 25 janvier 2007.
25. Dans son arrêt du 11 avril 2007, la cour suprême du canton de Zürich (ci-après : la « cour suprême ») confirma le classement de certaines infractions pour cause d’irresponsabilité et les déclarations de culpabilité prononcées par la juridiction de première instance – à l’exception de l’infraction à la législation en matière d’assurance-chômage – ainsi que la révocation des sursis précédents. Elle condamna le requérant à une peine globale de dix mois de prison, entièrement compensée par la détention préventive subie, et ordonna le traitement ambulatoire du requérant au sens de l’article 63 alinéa 1 du Code pénal. Elle rejeta toute demande d’indemnité formée par le requérant au motif que l’article 5 de la Convention n’avait pas été violé en l’espèce, alors même que le requérant, atteint d’une maladie psychique, était resté en prison postérieurement à sa condamnation. La cour suprême estima également que les démarches entreprises par les autorités pour soigner le requérant pouvaient être considérées comme suffisantes.
26. Par un arrêt du 15 février 2008, expédié au requérant le 21 février 2008, le Tribunal fédéral rejeta un recours que le requérant avait interjeté contre l’arrêt de la cour suprême. Sur la question du respect de l’article 5 § 1 de la Convention, il adopta le raisonnement de la cour suprême cantonale, tout en ajoutant qu’« on ne pouvait pas reprocher de comportement illégal aux autorités durant la période pendant laquelle le requérant refusait tout traitement médical ». Finalement, le Tribunal fédéral observa que le traitement reçu par le requérant alors qu’il était emprisonné avait permis l’amélioration de son état et conduit à sa libération. La juridiction écarta, par voie de conséquence, toute violation de l’article 5 de la Convention et rejeta les demandes d’indemnisation du requérant.
27. Le requérant est actuellement interné à la clinique de l’université de Zürich.
II. LE DROIT INTERNE PERTINENT
28. L’article 43 du Code pénal suisse, dans sa version en vigueur jusqu’au 1er janvier 2007, et appliqué par le tribunal de district en première instance, était rédigé comme suit :
« 1 Lorsque l’état mental d’un délinquant ayant commis, en rapport avec cet état, un acte punissable de réclusion ou d’emprisonnement en vertu du présent code, exige un traitement médical ou des soins spéciaux et à l’effet d’éliminer ou d’atténuer le danger de voir le délinquant commettre d’autres actes punissables, le juge pourra ordonner le renvoi dans un hôpital ou un hospice. Il pourra ordonner un traitement ambulatoire si le délinquant n’est pas dangereux pour autrui.
Si, en raison de son état mental, le délinquant compromet gravement la sécurité publique et si cette mesure est nécessaire pour prévenir la mise en danger d’autrui, le juge ordonnera l’internement. Celui-ci sera exécuté dans un établissement approprié.
Le juge rendra son jugement au vu d’une expertise sur l’état physique et mental du délinquant, ainsi que sur la nécessité d’un internement, d’un traitement ou de soins.
2 En cas d’internement ou de placement dans un hôpital ou un hospice, le juge suspendra l’exécution d’une peine privative de liberté.
3 Lorsqu’il est mis fin à un traitement en établissement faute de résultat, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées.
Si le traitement ambulatoire paraît inefficace ou dangereux pour autrui et que l’état mental du délinquant nécessite néanmoins un traitement ou des soins spéciaux, le juge ordonnera le placement dans un hôpital ou un hospice. Lorsque le traitement dans un établissement est inutile, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées.
Au lieu de l’exécution des peines, le juge pourra ordonner une autre mesure de sûreté, si les conditions en sont remplies.
4 L’autorité compétente mettra fin à la mesure lorsque la cause en aura disparu.
Si la cause de la mesure n’a pas complètement disparu, l’autorité compétente pourra ordonner une libération à l’essai de l’établissement ou du traitement. Le libéré pourra être astreint au patronage. La libération à l’essai et le patronage seront rapportés, s’ils ne se justifient plus.
L’autorité compétente communiquera sa décision au juge avant la libération.
5 Après avoir entendu le médecin, le juge décidera si et dans quelle mesure des peines suspendues seront exécutées au moment de la libération de l’établissement ou à la fin du traitement. Il pourra y renoncer totalement s’il y a lieu de craindre que l’effet de la mesure n’en soit sérieusement compromis.
La durée de la privation de la liberté consécutive à l’exécution d’une mesure dans un établissement sera imputée sur la peine suspendue lors du prononcé de la mesure.
En communiquant sa décision, l’autorité compétente dira si elle considère que l’exécution de la peine porterait préjudice au libéré. »
29. Par une nouvelle loi, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, de nombreux articles du Code pénal ont été révisés, notamment ceux relatifs aux mesures prises lorsque les délinquants sont atteints d’une maladie mentale. Les nouvelles dispositions ont été appliquées au requérant par la cour suprême du canton de Zürich au terme de la procédure d’appel. Les articles 59, 62c et 63 du Code pénal se lisent ainsi :
« Art. 59 Mesures thérapeutiques institutionnelles / Traitement des troubles mentaux
1 Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes :
a. l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble ;
b. il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble.
2 Le traitement institutionnel s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures.
3 Le traitement s’effectue dans un établissement fermé tant qu’il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Il peut aussi être effectué dans un établissement pénitentiaire au sens de l’art. 76, al. 2, dans la mesure où le traitement thérapeutique nécessaire est assuré par du personnel qualifié.
4 La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si les conditions d’une libération conditionnelle ne sont pas réunies après cinq ans et qu’il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, ordonner la prolongation de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois.
Art. 62c Levée de la mesure
1 La mesure est levée :
a. si son exécution ou sa poursuite paraît vouée à l’échec ;
b. si la durée maximale prévue aux art. 60 et 61 a été atteinte et que les conditions de la libération conditionnelle ne sont pas réunies ;
c. s’il n’y a pas ou plus d’établissement approprié.
2 Si la durée de la privation de liberté entraînée par la mesure est inférieure à celle de la peine privative de liberté suspendue, le reste de la peine est exécuté. Si les conditions du sursis à l’exécution de la peine privative de liberté ou de la libération conditionnelle sont réunies, l’exécution du reste de la peine est suspendue.
3 Le juge peut ordonner une nouvelle mesure à la place de l’exécution de la peine s’il est à prévoir que cette nouvelle mesure détournera l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son état.
4 Si, lors de la levée d’une mesure ordonnée en raison d’une infraction prévue à l’art. 64, al. 1, il est sérieusement à craindre que l’auteur ne commette d’autres infractions du même genre, le juge peut ordonner l’internement à la requête de l’autorité d’exécution.
5 Si, lors de la levée de la mesure, l’autorité compétente estime qu’il est indiqué d’ordonner une mesure tutélaire, elle le signale aux autorités de tutelle.
6 Le juge peut également lever une mesure thérapeutique institutionnelle, avant ou pendant l’exécution de cette mesure, et ordonner, à la place de cette mesure, une autre mesure thérapeutique institutionnelle s’il est à prévoir que cette nouvelle mesure sera manifestement mieux à même de détourner l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son état.
Art. 63 Traitement ambulatoire / Conditions et exécution
1 Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, est toxico-dépendant ou qu’il souffre d’une autre addiction, le juge peut ordonner un traitement ambulatoire au lieu d’un traitement institutionnel, aux conditions suivantes :
a. l’auteur a commis un acte punissable en relation avec son état ;
b. il est à prévoir que ce traitement le détournera de nouvelles infractions en relation avec son état.
2 Si la peine n’est pas compatible avec le traitement, le juge peut suspendre, au profit d’un traitement ambulatoire, l’exécution d’une peine privative de liberté ferme prononcée en même temps que le traitement, l’exécution d’une peine privative de liberté devenue exécutoire à la suite de la révocation du sursis et l’exécution du solde de la peine devenu exécutoire en raison d’une décision de réintégration. Il peut ordonner une assistance de probation et imposer des règles de conduite pendant la durée du traitement.
3 L’autorité compétente peut ordonner que l’auteur soit momentanément soumis à un traitement institutionnel initial temporaire si cette mesure permet de passer ensuite à un traitement ambulatoire. Le traitement institutionnel ne peut excéder deux mois au total.
4 Le traitement ambulatoire ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si, à l’expiration de la durée maximale, il paraît nécessaire de le poursuivre pour détourner l’auteur d’autres crimes ou délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, le prolonger de un à cinq ans à chaque fois. »
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION
30. Le requérant allègue que son maintien en détention dans un établissement pénitentiaire, et non dans un établissement psychiatrique, durant la mesure institutionnelle indiquée par le tribunal du district de Zürich a enfreint l’article 5 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
(...)
e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
(...) »
A. Sur la recevabilité
1. Concernant la période du 26 septembre 2005 au 8 décembre 2005
31. Le gouvernement avance que, devant le Tribunal fédéral, était seule litigieuse la question de savoir si la détention du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007 était légale. Le requérant n’aurait donc pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne la période de détention du 26 septembre 2005 au 8 décembre 2005.
32. Le requérant argue de ce que l’examen de la légalité des deux périodes de détention posait des questions identiques. La solution du Tribunal fédéral pour la période allant du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007 montrerait donc que cette voie de recours n’avait aucune chance de succès concernant la période antérieure.
33. Le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revêt, et c’est primordial, un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme. La Cour a la charge de surveiller le respect par les États contractants de leurs obligations découlant de la Convention. Elle ne doit pas se substituer aux États contractants, auxquels il incombe de veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux consacrés par la Convention soient respectés et protégés au niveau interne. La règle de l’épuisement des recours internes se fonde sur l’hypothèse, reflétée dans l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités, que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. Elle est donc une partie indispensable du fonctionnement de ce mécanisme de protection.
34. Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Les personnes désireuses de se prévaloir de la compétence de contrôle de la Cour relativement à des griefs dirigés contre un État ont donc l’obligation d’utiliser auparavant les recours qu’offre le système juridique de celui-ci (voir, parmi beaucoup d’autres, Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil 1996‑IV). La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation financière – deux tâches qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (Vučković et autres c. Serbie [GC], no 17153/11, §§ 69-70, 25 mars 2014).
35. En l’espèce, elle relève que le requérant s’est plaint, devant les juridictions internes, de l’illégalité de sa détention concernant la période du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007. En revanche, il ne semble s’être plaint ni expressément ni en substance d’une éventuelle illégalité de sa détention pour la période du 26 septembre 2005 au 8 décembre 2005.
36. Or, ces deux périodes de détention correspondent à des situations factuelles différentes. Notamment, la première période de détention avait été ordonnée par décision du 26 septembre 2005 prévoyant son maintien en détention préventive jusqu’au début de l’exécution de la mesure institutionnelle. La seconde période de détention, en revanche, a eu lieu après la décision du 18 octobre 2005 autorisant l’exécution anticipée de la mesure ordonnée et était consécutive au refus de la clinique psychiatrique de continuer sa prise en charge. Par conséquent, le requérant ne saurait arguer à bon droit que l’examen des deux périodes aurait nécessairement été identique et que cette voie de recours ne présentait donc aucune chance de succès.
37. Cette branche du grief doit donc être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
2. Concernant la période du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007
38. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèse des parties
39. Le requérant soutient que les soins dispensés en prison n’ont pas suffi à en faire un lieu approprié pour sa détention. Il allègue en outre que le fait de mettre un terme à son placement dans la clinique psychiatrique n’a pas respecté la décision du tribunal de district de Zürich ordonnant une mesure institutionnelle.
40. Le Gouvernement soutient qu’il a été mis un terme au placement du requérant dans une clinique psychiatrique au motif que celui-ci ne reconnaissait nullement être malade, et que, de ce fait, un traitement en fonction des délits n’était quasiment plus réalisable, qu’il s’était fermé à un traitement psychothérapeutique et, qu’étant devenu menaçant, il n’était plus gérable pour l’institution en question. Le requérant s’étant ensuite déclaré prêt à suivre à nouveau un traitement, les autorités auraient alors contacté plusieurs établissements. Aucun n’aurait pu accueillir le requérant du fait que la structure n’était pas adaptée ou du manque de perspective d’une hospitalisation. Le gouvernement fait valoir par ailleurs que le requérant aurait reçu les soins adaptés durant sa détention en prison. Son état de santé n’aurait donc pas exigé un internement en clinique.
2. Appréciation de la Cour
a. Les principes généraux
41. La Cour rappelle que pour respecter l’article 5 § 1, la détention doit avoir lieu « selon les voies légales » et « être régulière ». En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (voir, parmi beaucoup d’autres, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 143, CEDH 2012, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39 et 45, série A no 33, et Bizzotto c. Grèce, 15 novembre 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).
42. La Cour a également jugé qu’il devait exister un lien entre le motif censé justifier la privation de liberté et le lieu et les conditions de la détention et que, en principe, la « détention » d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme « régulière » aux fins de l’article 5 § 1 e) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (Stanev c. Bulgarie [GC], précité, § 147 ; Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 44, série A no 93 ; Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998-V ; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 49, CEDH 2003‑IV).
43. La Cour a admis que le seul fait qu’un intéressé ne soit pas intégré dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention et qu’un équilibre raisonnable devait être ménagé entre les intérêts opposés en cause étant entendu qu’un poids particulier devait être accordé au droit à la liberté (Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, § 66-68, 11 mai 2004 ; Brand c. Pays-Bas, no 49902/99, §§ 62-65, 11 mai 2004 ; Claes c. Belgique, no 43418/09, § 115, 10 janvier 2013). Dans le même esprit, elle a pris en compte dans l’affaire De Schepper (no 27428/07, § 48, 13 octobre 2009) les efforts déployés par les autorités internes en vue de trouver un établissement adapté pour la prise en charge thérapeutique d’un requérant au profil à haut risque pour évaluer la régularité de son maintien en détention au sein d’une annexe psychiatrique de prison (Claes c. Belgique, précité, §§ 115-119).
b. Application de ces principes en l’espèce
44. La Cour note en premier lieu que l’article 59 du Code pénal prévoit expressément la possibilité que la mesure institutionnelle soit effectuée soit dans un établissement psychiatrique approprié soit dans un établissement d’exécution des mesures (paragraphe 29 ci-dessus) (voir, a contrario, Lankester c. Belgique, no 22283/10, § 92, 9 janvier 2014). En outre, la détention du requérant et la prolongation de celle-ci avaient été ordonnées par les décisions du 28 mars 2006 et du 23 mai 2006 (paragraphes 16 et 20 ci-dessus). La privation de liberté en question avait donc été décidée « selon les voies légales ».
45. La question se pose alors de savoir si la privation de liberté du requérant répondait au but de l’article 5 § 1 de la Convention. La privation de liberté est en effet une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, §78, CEDH 2000-III et Cristian Teodorescu c. Roumanie, no 22883/05, § 61, 19 juin 2012, Claes c. Belgique, précité, § 112).
46. À cet égard, la Cour relève que, concernant la Suisse, elle n’a jamais conclu à l’existence d’un problème structurel dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (voir, a contrario, Lankester c. Belgique, précité, § 93). Elle constate par ailleurs que les autorités ont pris contact avec plusieurs institutions susceptibles d’accueillir le requérant dès que celui-ci s’est dit prêt à suivre un traitement. Ces démarches s’interrompirent lorsque le requérant refusa de se rendre à l’entretien proposé par la clinique de Rheinau.
47. Pour autant, la Cour considère que même si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, cela ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à retrouver sa liberté (De Schepper, précité, § 48 et Claes c. Belgique, précité, §119).
48. En l’espèce, durant sa détention, le requérant a bénéficié de consultations médicales régulières et d’un traitement par neuroleptiques. Ce traitement eut pour conséquence une stabilisation de son état de santé et, subséquemment, sa remise en liberté le 25 janvier 2007. La Cour considère donc que les soins dont a bénéficié le requérant lors de sa détention peuvent être considérés comme appropriés (voir, a contrario, Claes c. Belgique, précité, §116).
49. Par conséquent, la Cour constate que la détention du requérant durant la période du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007 était conforme au but de l’article 5 § 1 e).
50. Au vu de ce qui précède et dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 5 DE LA CONVENTION
51. Invoquant l’article 5 § 5 de la Convention, le requérant se plaint également de ce qu’il n’a pu obtenir réparation du fait de l’irrégularité de sa privation de liberté.
52. Le Gouvernement maintient que les tribunaux nationaux ont confirmé la légalité de la détention et que le requérant n’aurait pas démontré avoir subi un tort du fait de sa détention.
53. La Cour rappelle que le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 de l’article 5 de la Convention suppose qu’une violation de l’un des autres paragraphes de cette disposition ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH, 2002‑X ; Pantea c. Roumanie, no 33343/96, § 262, 3 juin 2003 ; et Tomaszewscy c. Pologne, no 8933/05, § 150, 15 avril 2014).
54. Elle rappelle ensuite avoir conclu que la privation de liberté du requérant entre le 30 mars 2006 et le 25 janvier 2007 n’avait pas constitué une violation de l’article 5 § 1.
55. Par conséquent, l’article 5 § 5 ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Le grief tiré de l’article 5 § 5 doit donc être déclaré irrecevable comme étant incompatible ratione materiae en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant au grief portant sur la période du 30 mars 2006 au 25 janvier 2007 et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Stanley Naismith Guido Raimondi
Greffier Président