La Fédération de l'hospitalisation privée demandait au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des finances et des comptes publics et du ministre des affaires sociales et de la santé du 23 avril 2014, fixant pour 2014 les éléments de la campagne tarifaire des établissements privés de psychiatrie et de soins de suite et de réadaptation (SSR). Le Conseil d’Etat estime qu’il « ne peut être utilement soutenu que l'arrêté attaqué, sur le fondement du principe d’égalité, en ce qu'il traiterait une partie des établissements de santé privés différemment des autres entreprises du secteur privé ou des autres entreprises privées de santé ». Il décide que « les dispositions de l'arrêté attaqué, applicables à l'ensemble des établissements privés mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, n'établissent par elles-mêmes aucune différence de traitement entre établissements à but lucratif et établissements à but non lucratif ». |
Conseil d'État
N° 381887
1ère SSJS
Mme Julia Beurton, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP CAPRON, avocat
lecture du lundi 27 juillet 2015
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une requête, enregistrée le 27 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'hospitalisation privée demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du ministre des finances et des comptes publics et du ministre des affaires sociales et de la santé du 23 avril 2014 fixant pour l'année 2014 les éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'article L. 162-22-3 du code de la sécurité sociale des établissements de santé mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des impôts ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Julia Beurton, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Capron, avocat de la Fédération de l'hospitalisation privée ;
Considérant ce qui suit :
1. En vertu des dispositions des articles L. 162-22, L. 162-22-1 et R. 162-29-1 du code de la sécurité sociale, les frais des activités de soins de suite et de réadaptation et des activités de soins de psychiatrie des établissements de santé privés ayant conclu un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec l'agence régionale de santé mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du même code sont pris en charge en tout ou partie par les régimes obligatoires de sécurité sociale sur la base de tarifs journaliers fixés pour chaque établissement par le directeur général de l'agence régionale de santé. En vertu des dispositions des articles L. 162-22-3 et R. 162-41-1 du même code, un arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale détermine chaque année, dans le respect de " l'objectif quantifié national " fixé en application de l'article L. 162-22-2, l'évolution moyenne nationale et l'évolution moyenne dans chaque région de ces tarifs ainsi que les variations maximales et minimales des taux d'évolution des tarifs fixés pour chaque établissement par les agences régionales de santé. L'arrêté attaqué, intervenu sur le fondement de ces dispositions, fixe ces taux d'évolution ainsi que les limites encadrant le taux d'évolution des tarifs alloués à chaque établissement pour l'année 2014.
2. Il résulte de l'article 244 quater C introduit dans le code général des impôts par l'article 66 de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 que les entreprises imposées à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu " d'après leur bénéfice réel ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A et 44 decies à 44 quindecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt ayant pour objet le financement de l'amélioration de leur compétitivité à travers notamment des efforts en matière d'investissement, de recherche, d'innovation, de formation, de recrutement, de prospection de nouveaux marchés, de transition écologique et énergétique et de reconstitution de leur fonds de roulement ", qui " est assis sur les rémunérations que les entreprises versent à leurs salariés au cours de l'année civile (...) n'excédant pas deux fois et demie le salaire minimum de croissance ".
3. En premier lieu, si l'arrêté attaqué prend en considération, dans la fixation des taux d'évolution des tarifs des prestations de soins de suite ou de réadaptation et de psychiatrie, l'incidence du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi sur la moyenne des charges des établissements de santé privés à but lucratif, il n'en résulte pas pour autant qu'il modifierait les règles relatives à l'assiette et au taux des impositions de toutes natures et empièterait ainsi sur le domaine réservé au législateur par l'article 34 de la Constitution. Par suite, la fédération requérante n'est pas fondée à soutenir que les auteurs de l'arrêté attaqué auraient, pour ce motif, excédé leur compétence.
4. En deuxième lieu, sur le fondement des dispositions des articles L. 162-22-2, R. 162-31 et R. 162-41-1 du code de la sécurité sociale, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale peuvent légalement tenir compte du niveau respectif des charges réellement exposées par les établissements des différentes catégories mentionnées à l'article L. 162-22-6 du même code ainsi que des produits susceptibles de venir en atténuation des charges que les tarifs ont vocation à financer. Ces dispositions ne font pas obstacle, à ce titre, à ce qu'ils prennent en considération des charges de nature fiscale, ainsi que des atténuations de charge participant du régime fiscal auquel les établissements sont soumis. Par suite, en tenant compte de l'incidence positive du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi sur le niveau des charges des établissements privés de santé à but lucratif mentionnés au d de l'article L. 162-22-6, les ministres n'ont pas commis de détournement de pouvoir ou de procédure.
5. En dernier lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.
6. Tout d'abord, il résulte notamment des dispositions des articles L. 162-22, L. 162-22-1 et L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale que le législateur a entendu soumettre les établissements de santé à un mode de tarification particulier. Par suite, il ne peut être utilement soutenu que l'arrêté attaqué, pris pour l'application de ces dispositions, méconnaîtrait le principe d'égalité en ce qu'il traiterait une partie des établissements de santé privés différemment des autres entreprises du secteur privé ou des autres entreprises privées de santé.
7. Ensuite, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions de l'arrêté attaqué, applicables à l'ensemble des établissements privés mentionnés au d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale, n'établissent par elles-mêmes aucune différence de traitement entre établissements à but lucratif et établissements à but non lucratif. Au demeurant, les dispositions de l'article 244 quater C du code général des impôts permettant aux établissements de santé privés à but non lucratif de bénéficier du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi au titre des rémunérations versées aux salariés affectés à leurs activités exonérées d'impôt sur les bénéfices - au nombre desquelles figurent leurs activités de soins - ne sont pas applicables au titre de 2014, en l'absence de décision de la Commission européenne l'autorisant, ce dont il résulte que les établissements de santé privés à but non lucratif ne sont pas dans la même situation que les établissements à but non lucratif.
8. Enfin, l'arrêté attaqué se borne à fixer l'évolution moyenne nationale et l'évolution moyenne dans chaque région des tarifs des prestations des soins de suite ou de réadaptation et de psychiatrie ainsi que les variations maximales et minimales des taux d'évolution des prestations qui peuvent être allouées aux établissements, ainsi que le prévoit l'article L. 162-22-3 du code de la sécurité sociale, sans faire obstacle à ce que les agences régionales de santé fixent le tarif de chaque établissement en tenant compte de sa situation particulière. Ainsi, contrairement à ce que soutient la fédération requérante, l'arrêté attaqué ne prévoit pas une baisse uniforme des tarifs et son argumentation tenant aux conséquences d'une telle baisse au regard du principe d'égalité ne peut qu'être écartée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la Fédération de l'hospitalisation privée n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la Fédération de l'hospitalisation privée est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'hospitalisation privée, au ministre des finances et des comptes publics et à la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.