Un patient pris en charge au sein d’un centre hospitalier à la suite d'un accident de la circulation, y a contracté une infection qui a conduit à l'amputation de sa jambe gauche. L’assureur du responsable et la CPAM ont demandé au tribunal administratif de mettre les frais exposés par elles à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), du centre hospitalier et de son assureur. Ces demandes ont été rejetées en première instance puis en appel. Le Conseil d’Etat précise alors que « le recours de la caisse de sécurité sociale, subrogée dans les droits de la victime d'un dommage corporel, s'exerce contre les auteurs responsables de l'accident ». Si, en application des dispositions du code de la santé publique, l'ONIAM doit indemniser au titre de la solidarité nationale les victimes des infections nosocomiales les plus graves, l’établissement public ne peut être regardé comme le responsable des dommages que ces infections occasionnent. Dès lors, « la caisse qui a versé des prestations à la victime d'une telle infection ne peut exercer un recours subrogatoire contre l'ONIAM ». Par ailleurs, le Conseil d’Etat affirme que les dispositions du code de la santé publique qui organisent le recours subrogatoire de l’ONIAM ayant supporté la réparation des dommages causés par une infection nosocomiale ne s’exerce qu’en cas de faute de l’établissement de santé, « notamment un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ». Dès lors, « lorsque le degré de gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale excède le seuil prévu […], c'est seulement au titre d'une telle faute qu'une caisse de sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime peut exercer une action subrogatoire contre l'établissement où l'infection a été contractée ». |
Conseil d'État
N° 384349
5ème et 4ème sous-sections réunies
Mme Manon Perrière, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
LE PRADO ; SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats
lecture du mercredi 17 février 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) X. a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier Y. et la Société d’assurances Z. à l'indemniser des débours exposés pour la prise en charge de l'infection nosocomiale dont a été atteint M.A.... Par un jugement n° 0706116 du 7 décembre 2011, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 12DA01677 du 8 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la CPAM X.
Par un pourvoi enregistré le 9 septembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CPAM X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Y. et de la Société d’assurances Z. une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Manon Perrière, auditeur,
- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie X., à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier du docteur B. et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., pris en charge au centre hospitalier Y. à la suite d'un accident de la circulation, y a contracté une infection qui a conduit à l'amputation de sa jambe gauche ; que la société Axa France, assureur du responsable de l'accident, et la caisse primaire d'assurance maladie X. ont demandé au tribunal administratif de Lille de mettre les frais exposés par elles à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), du centre hospitalier Y. et de son assureur ; que leurs demandes ont été rejetées par un jugement du 7 décembre 2011 confirmé par un arrêt du 8 juillet 2014 de la cour administrative d'appel de Douai ; que la CPAM X. demande que cet arrêt soit annulé en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier Y. ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002 : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère " ; que, toutefois, aux termes de l'article L. 1142-1-1 issu de la loi du 30 décembre 2002 : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d' atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales (...) " ; que la réparation au titre de la solidarité nationale prévue par ces dernières dispositions incombe à l'ONIAM en vertu de l'article L. 1142-22 ; qu'il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17 et du deuxième alinéa de l'article L. 1142-21 que lorsque l'ONIAM a assuré cette réparation en indemnisant la victime ou ses ayants-droit, il ne peut exercer une action en vue d'en reporter la charge sur l'établissement où l'infection s'est produite qu'en cas " de faute établie à l'origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. / Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après " ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale que le recours de la caisse de sécurité sociale, subrogée dans les droits de la victime d'un dommage corporel, s'exerce contre les auteurs responsables de l'accident ; que si, en application des dispositions des articles L. 1142-1-1 et L. 1142-22 du code de la santé publique, l'ONIAM doit indemniser au titre de la solidarité nationale les victimes des infections nosocomiales les plus graves, cet établissement public ne peut être regardé comme le responsable des dommages que ces infections occasionnent ; qu'il suit de là que la caisse qui a versé des prestations à la victime d'une telle infection ne peut exercer un recours subrogatoire contre l'ONIAM ;
5. Considérant, en second lieu, qu'il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17 et du deuxième alinéa de l'article L. 1142-21 du code de la santé publique que le législateur, dérogeant dans cette hypothèse aux dispositions du second alinéa du I de l'article L. 1142-1, qui prévoit un régime de responsabilité de plein droit des établissements de santé en cas d'infection nosocomiale, a entendu que la responsabilité de l'établissement où a été contractée une infection nosocomiale dont les conséquences présentent le caractère de gravité défini à l'article L. 1142-1-1 ne puisse être recherchée qu'en cas de faute établie à l'origine du dommage, notamment un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales ; qu'il suit de là que, lorsque le degré de gravité des dommages résultant de l'infection nosocomiale excède le seuil prévu à l'article L. 1142-1-1, c'est seulement au titre d'une telle faute qu'une caisse de sécurité sociale ayant versé des prestations à la victime peut exercer une action subrogatoire contre l'établissement où l'infection a été contractée ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'amputation subie par M. A...en raison de l'infection nosocomiale contractée au centre hospitalier Y. a entraîné pour lui une incapacité permanente excédant le seuil de 25 % prévu à l'article L. 1142-1-1 du code de la santé publique ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que la CPAM X. ne pouvait rechercher la responsabilité du centre hospitalier qu'au titre d'une faute établie ; que la cour ne s'est pas méprise sur la portée des écritures de la caisse en relevant qu'elle n'avait ni en première instance ni en appel soutenu que l'infection résultait d'une faute commise par l'établissement ; que, par suite, son arrêt n'encourt pas l'annulation ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la CPAM X. doit être rejeté, y compris ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier Y. au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
Article 1er : Le pourvoi de la CPAM X. est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la caisse primaire d'assurance maladie X. et au centre hospitalier Y.