Les faits
Une enfant, née le 10 novembre 2015, a été admise au centre hospitalo-universitaire Y. le 23 septembre 2016 en raison d'une forte fièvre, puis admise le 25 septembre 2016 en réanimation pédiatrique en raison d'un choc cardiogénique. Elle a bénéficié d'une assistance circulatoire, a été placée en coma artificiel et a été transférée dans le service de réanimation pédiatrique de l'hôpital X.
A la suite de sa réanimation et de plusieurs examens réalisés notamment à l'aide de scanner et d'IRM au cours du mois d'octobre 2016, le diagnostic a été établi : l'enfant a été victime d'une rhombencéphalomyélite à entérovirus qui a entraîné des lésions neurologiques définitives au niveau de la protubérance, du bulbe et de la moelle cervicale haute, entraînant un polyhandicap majeur, avec paralysie motrice des membres, de la face et sa dépendance à une ventilation mécanique et une alimentation par voie entérale.
Dans ces circonstances, le médecin en charge au sein du service d'anesthésie-réanimation pédiatrique de l'Hôpital X. a engagé la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique.
Une réunion collégiale s'est déroulée le 4 novembre 2016 à l'issue de laquelle l'arrêt de la poursuite des thérapeutiques actives a été décidé à l'unanimité, au motif du caractère irréversible des lésions neurologiques constatées et d'un état de conscience difficile à évaluer mais probablement fortement altéré.
La procédure
Les parents de la patiente ont saisi le tribunal administratif d’un référé-liberté.
Ils ont notamment demandé au juge :
. de suspendre la décision médicale du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, emportant sevrage de la ventilation qui maintient leur enfant en vie,
. d’ordonner le rétablissement des soins,
. de prescrire une expertise médicale, au besoin après avis de toute personne dont la compétence ou les connaissances sont de nature à éclairer utilement la juridiction.
Par ordonnance du 16 novembre 2016, le juge des référés a confié une mission d’expertise à un collège de trois médecins. Sa mission était :
. de décrire l’état clinique actuel de l’enfant et son évolution depuis son hospitalisation initiale à l’hôpital Y. le 24 septembre 2016 et son transfert à l’hôpital X. le 25 septembre 2016, date à laquelle elle aurait été placée en coma artificiel,
. de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions neurologiques de l’enfant, sur le pronostic clinique et sur l’intérêt ou non de continuer ou de mettre en œuvre des thérapeutiques actives.
Par ailleurs, le tribunal a suspendu la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, emportant sevrage de la ventilation de l’enfant, et enjoint à l’équipe médicale de l’hôpital de rétablir les soins.
Le 23 décembre 2016, le rapport d’expertise a été déposé.
Le 27 janvier 2017, les parents de la patiente mineure ont alors demandé notamment au juge des référés, faisant valoir qu’une atteinte grave et manifestement illégale a été portée à la liberté fondamentale que constitue le droit à la vie :
. d’annuler la décision des médecins de l’hôpital d’arrêter les soins prodigués jusqu’à présent à leur enfant,
. d’enjoindre à l’équipe médicale de l’hôpital de maintenir les soins appropriés prodigués à leur enfant.
Par une ordonnance du 8 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif a, d'une part, suspendu la décision du 4 novembre 2016 de mettre un terme aux thérapeutiques actives, emportant sevrage de la ventilation de l'enfant et, d'autre part, enjoint à l'équipe médicale de l'hôpital X., sans préjuger en rien de l'évolution de l'état clinique de la patiente, de maintenir les soins appropriés la concernant, emportant poursuite des thérapeutiques actives.
Le 17 février 2017, l’hôpital X. interjette appel de cette ordonnance et demande au Conseil d’Etat de l’annuler.
La décision
Le Conseil d’Etat reprend d’abord sa position sur les pouvoirs du juge saisi dans le cadre d’un référé-liberté d'une décision, prise par un médecin sur le fondement du code de la santé publique, et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable (point 6 - voir Conseil d’Etat, 14 février 2014, n° 375081, 375090, 375091).
Par la suite, le Conseil d’Etat reprend également la position sur l’application des dispositions légales relatives à la limitation et à l’arrêt de traitement, déjà affirmée dans sa décision d’Assemblée du 24 juin 2014. Il l’applique non plus uniquement à l'alimentation et l'hydratation artificielles mais également à la « ventilation mécanique» (point 14 – voir Conseil d’Etat, 24 juin 2014, n° 375081). Il ajoute également que « s’agissant d’un enfant mineur », le médecin « doit prendre en compte l’avis des parents ou des titulaires de l'autorité parentale ».
En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que « malgré le pronostic extrêmement péjoratif établi par les experts médicaux, compte tenu des éléments d'amélioration constatés de l'état de conscience de l'enfant et de l'incertitude à la date de la présente ordonnance sur l'évolution future de cet état, l'arrêt des traitements ne peut être regardé comme pris au terme d'un délai suffisamment long pour évaluer de manière certaine les conséquences de ses lésions neurologiques ».
Il poursuit : « à défaut de pouvoir rechercher quelle aurait été la volonté de la personne s'agissant d'un enfant de moins d'un an à la date de la décision, l'avis de ses parents, qui s'opposent tous les deux à l'arrêt des traitements, revêt une importance particulière ». Dans ces conditions, la circonstance que l'enfant soit dans un état irréversible de perte d'autonomie la rendant tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales ne rend pas les traitements qui lui sont prodigués inutiles, disproportionnés ou n'ayant pour d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et la poursuite de ces traitements ne peut caractériser une obstination déraisonnable. Dès lors, les conditions d'application des dispositions de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique ne sont pas, à ce jour, réunies.
« A supposer qu'un enfant en bas âge puisse être considéré, comme "hors d'état d'exprimer sa volonté " et partant susceptible de faire l'objet de la procédure collégiale prévue par les dispositions des articles L. 1110-5-1 et L. 1111-4 du code de la santé publique et d'une décision du médecin prise sur le seul avis de ses parents », il résulte de l’ensemble des éléments que l’ordonnance du tribunal administratif doit être confirmée.
Le Conseil d’Etat ne se prononce pas sur l'exception d'illégalité des dispositions de l'article R. 4127-37-2 au regard de l'article 371-1 du code civil faute de prévoir le consentement des parents à un tel acte, ni sur l'exception d'inconventionnalité des dispositions législatives applicables au regard des stipulations des articles 8 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Le Conseil d’Etat rejette l’appel de l’hôpital X.