Le ministre des solidarités et de la santé a sollicité le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) à la fin du mois de février 2020 afin de recueillir son avis sur les « enjeux éthiques liés à la prise en charge des patients atteints de COVID-19 et aux mesures de santé publique contraignantes qui pourraient être prises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie ». Suite à cette demande, le CCNE a formulé dix points d’attention :
Une nécessaire responsabilité citoyenne : Si les concepts de liberté individuelle et d’intérêt général peuvent rentrer en conflit, le CCNE considère qu’il convient d’en appeler à la responsabilité individuelle et d’expliquer que le choix de perdre une certaine liberté peut permettre de gagner une certaine sécurité. Pour ce faire, il est essentiel de mobiliser les corps intermédiaires (syndicats, associations) et les relais au plus prés des citoyens pour expliquer les mesures prises au niveau central.
Un processus de décision politique s’appuyant sur l’expertise et la contribution de la société civile : Le CCNE insiste sur l’importance de la méthode délibérative en matière de prise de décision politique. En effet, outre sa pertinence, elle permet de garantir la confiance de la société civile. Il avance l’idée que cette décision devrait être éclairée par l’expression de l’opinion citoyenne grâce à la mise en place d’une instance mixte chargée de la santé composée d’experts scientifiques et des membres de la société civile.
Des mesures contraignantes reprochant sur un cadre juridique et éthique solide et une pédagogie de la décision : Le CCNE souligne que la France dispose d’un dispositif juridique large et suffisant lui permettant de restreindre temporairement les droits des citoyens tout en conservant l’Etat de droit. Toutefois, il attire l’attention des dirigeants sur l’importance fondamentale d’intelligibilité des mesures contraignantes qui conditionnera nécessairement leur acceptabilité.
L’importance particulière des populations précaires : Face à la stigmatisation de certains groupes sociaux, le CCNE recommande fortement aux pouvoirs publics d’intégrer la question des inégalités sociales face aux risques liés au développement de l’épidémie.
Une communication transparente et responsable s’appuyant davantage sur le corps social : Le CCNE recommande de dépasser le cadre d’une communication générale pour une communication davantage ciblée en particulier s’agissant des groupes les plus précaires et les plus fragiles (personnes en situation de pauvreté, SDF, personnes en situation de handicap, migrants). De même, le CCNE incite à observer une attitude prudente lorsqu’il s’agit de faire des annonces prématurées auprès des médias et des réseaux sociaux
La confidentialité des données de santé : Il doit être rappelé à tous les acteurs (particuliers, soignants, acteurs publics, médias) les lois relatives au respect qu’il convient d’accorder à la confidentialité des données médicales et à l’identité des personnes atteintes.
La prise en compte du contexte international : Les États doivent également gérer la crise sanitaire à l’échelle européenne, levier de collaboration pour l’élaboration d’une politique commune de gestion de crise sanitaire.
L’effort de recherche dans un cadre international : Le CCNE rappelle que, même en situation d’urgence, les pratiques de la recherche impliquant l’être humain doivent respecter le cadre éthique et déontologique, notamment s’agissant des patients inclus dans des protocoles de recherche clinique.
La responsabilité de l’industrie pharmaceutique: Les compagnies pharmaceutiques doivent intégrer dans leurs pratiques une vision collective de toutes les parties prenantes, et ce, en dépassant les considérations strictement économiques.
Une réflexion éthique nécessaires pour l’accès aux soins de tous les patients en milieu hospitalier et en ville : Le CCNE explique que dans le cas où la crise s’aggraverait, « les biens de santé » ne seraient pas suffisants couvrir les besoins de tous. Dans ce contexte, la nécessité d’un « tri » des patients pose alors un questionnement éthique majeur. Les choix devront, quoi qu’il en soit respecter les principes de dignité de la personne et d’équité.
Enfin, le CCNE formule quatre recommandations :
La mise en place d’une instance mixte d’experts scientifiques de différentes disciplines, conjointement avec les membres de la société civile afin de prendre en compte l’avis des différentes catégories de la situation française (notamment les plus précaires).
La mise en place d’une « cellule éthique de soutien » permettant d’accompagner les professionnels de santé au plus prés de la définition de leur priorités en matière de soins
L’encouragement à l’innovation avec l’obligation de se référer à un cadre éthique partagé (politique d’accueil des personnes, mutualisation dans l’organisation des services, utilisation des outils informatiques)
La préparation rapide d’un retour d’expérience et d’évaluation indépendant associant l’ensemble des acteurs dans le processus de lutte contre l’épidémie en s’intéressant à la situation des populations les plus précaires.