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Conseil d’État, 19 septembre 2014, n° 361534 (Conseil national de l'ordre des médecins - Examen médical - Présence d'un tiers - Information du patient - Obligation d'information)

 

 

Les faits sont les suivants : lorsqu'elle s'est rendue le 12 octobre 2009 à la consultation du Dr A. pour subir un examen du col de l'utérus, Mme D. a été informée de ce que l'établissement de santé était engagé dans un protocole de recherche requérant l'utilisation d'un appareil de colposcopie modifié et l'assistance d'un technicien. La patiente ayant refusé de participer à ce protocole, le Dr A.lui a indiqué qu'il serait alors procédé à une colposcopie classique avec le même appareil et s'est absenté momentanément pour aller chercher un instrument. Durant son absence, Mme D. a demandé au technicien, dont elle ne comprenait pas en quoi la présence était encore nécessaire, de sortir de la salle d'examen ; qu'ayant trouvé à son retour le technicien à l'extérieur de la salle et lui en ayant demandé les raisons, le Dr A. est revenu avec lui auprès de la patiente et a expliqué à cette dernière, qui s'était alors déshabillée en vue de l'examen, que, compte tenu des modifications subies par l'appareil de colposcopie pour les besoins du protocole de recherche, l'assistance du technicien était indispensable même s'il était procédé à une colposcopie classique.

Conseil d'État

N° 361534   

4ème / 5ème SSR
M. David Moreau, rapporteur
Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats

lecture du vendredi 19 septembre 2014

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 31 juillet et 31 octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X, demeurant ... ; M. X demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 11248 du 31 mai 2012 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision n° C.2010-2496 du 18 février 2011 par laquelle la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France, statuant sur une plainte de Mme Y à laquelle s'est associé le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris, lui a infligé un blâme ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu la décision attaquée ;
Vu les observations, enregistrées le 16 avril 2014, présentées pour le Conseil national de l'ordre des médecins ;
Vu les pièces du dossier dont il résulte que le pourvoi a été communiqué au conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris, qui n'a pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 septembre 2014, présentée pour M. X;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Gaëlle Dumortier, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de M. X. et à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat du conseil départemental de l'ordre des médecins de la ville de Paris et du Conseil national de l'ordre des médecins ;

1. Considérant que par une décision du 18 février 2011, la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins d'Ile-de-France a infligé un blâme au docteur X., gynécologue-obstétricien, en raison de manquements déontologiques commis lors de l'examen par colposcopie de Mme Y. le 12 octobre 2009 à l'Institut A. ; que M. X. se pourvoit contre la décision du 31 mai 2012 par laquelle la chambre disciplinaire nationale a rejeté son appel tendant à l'annulation de cette décision ;

2. Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée n'a pas repris le grief, retenu par la chambre disciplinaire de première instance, tiré de ce que le Dr X. n'avait pas suffisamment informé Mme Y. des modalités de la consultation lors de sa prise de rendez-vous ; que, par suite, elle n'était pas tenue de répondre au moyen du requérant, qui était devenu inopérant, tiré de ce que l'obligation d'information préalable pesant sur lui ne pouvait commencer qu'après le début de la consultation ;

3. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes des 2ème et 4ème alinéas de l'article L. 4123-2 du code de la santé publique : " Lorsqu'une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l'auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte en vue d'une conciliation. En cas d'échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l'avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte, en s'y associant le cas échéant / (...) / En cas de carence du conseil départemental, l'auteur de la plainte peut demander au président du conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du conseil national transmet la plainte dans le délai d'un mois " ; que l'expiration du délai de trois mois imparti par ces dispositions au conseil départemental de l'ordre des médecins pour transmettre une plainte à la juridiction disciplinaire a pour seul effet de permettre au plaignant de saisir le président du conseil national et non de rendre irrecevable une plainte transmise par le conseil départemental au-delà de ce délai ; que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins n'a donc pas commis d'erreur de droit en jugeant que la plainte de Mme Y. était recevable ;

4. Considérant, en troisième lieu, que, eu égard à l'argumentation développée dans son premier considérant, la décision attaquée doit être entendue comme ayant retenu que M. X.  avait été mis en mesure de répondre à l'ensemble des pièces et des arguments des plaignants devant la juridiction de première instance ; que le moyen tiré de ce que la chambre aurait illégalement jugé que le défaut de respect du principe du contradictoire par la juridiction de première instance a été régularisé par le respect de ce principe devant elle doit donc être écarté comme manquant en fait ;

5. Considérant, en quatrième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit au point 1, la décision attaquée n'a pas repris le grief retenu par la chambre disciplinaire de première instance, tiré de ce que le Dr X. n'avait pas suffisamment informé Mme Y. des modalités de la consultation lors de sa prise de rendez-vous ; que, par suite, le requérant ne peut utilement soutenir que la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de qualification juridique des faits en retenant à son encontre un manquement à l'obligation d'information préalable de sa patiente avant le début de la consultation ;

6. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 4127-35 du même code : " Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension " ; qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article R. 4127-36 du même code : " Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. / Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences " ;

7. Considérant que, s'il ne résulte d'aucune de ces dispositions ni d'aucun principe que le médecin doive systématiquement informer le patient de l'identité ou de la nature des fonctions des personnes devant l'assister dans la réalisation d'un acte médical ou recueillir son consentement préalable sur la présence d'une telle personne, la décision attaquée ne juge pas qu'une telle obligation existerait, mais seulement qu'une information et un consentement préalables de Mme Y. quant à la présence du technicien devant assister le Dr X.  étaient requis en l'espèce ; qu'elle n'est donc pas entachée de l'erreur de droit invoquée par le requérant ;

8. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, lorsqu'elle s'est rendue le 12 octobre 2009 à la consultation du Dr X. pour subir un examen du col de l'utérus, Mme Y. a été informée de ce que l'Institut mutualiste A. était engagé dans un protocole de recherche avec le CNRS et l'école Polytechnique requérant l'utilisation d'un appareil de colposcopie modifié et l'assistance d'un technicien ; que la patiente ayant refusé de participer à ce protocole, le Dr X. lui a indiqué qu'il serait alors procédé à une colposcopie classique avec le même appareil et s'est absenté momentanément pour aller chercher un instrument ; que, durant son absence, Mme Y. a demandé au technicien, dont elle ne comprenait pas en quoi la présence était encore nécessaire, de sortir de la salle d'examen ; qu'ayant trouvé à son retour le technicien à l'extérieur de la salle et lui en ayant demandé les raisons, le Dr X. est revenu avec lui auprès de la patiente et a expliqué à cette dernière, qui s'était alors déshabillée en vue de l'examen, que, compte tenu des modifications subies par l'appareil de colposcopie pour les besoins du protocole de recherche, l'assistance du technicien était indispensable même s'il était procédé à une colposcopie classique ; que la patiente s'est alors mise en position d'examen ;

9. Considérant que, eu égard, d'une part, au caractère intime de l'examen que devait subir Mme Y. et, d'autre part, au premier refus qu'elle avait opposé à la présence du technicien, l'information tardive délivrée par le Dr X. à la patiente, qui s'est faite en présence du technicien dont la présence faisait litige et alors que la patiente était déjà déshabillée, ne peut être regardée comme loyale et appropriée au sens des dispositions précitées ; que, pour les mêmes raisons, et alors même que Mme Y. s'est finalement mise en position d'examen, le Dr X. ne peut être regardé comme ayant recueilli de sa part un consentement éclairé ; que, par suite, c'est sans dénaturation des faits ni erreur de qualification juridique que la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a estimé, par une motivation suffisante, que, dans les circonstances particulières de l'espèce, le Dr X. avait manqué à ses obligations déontologiques résultant des articles R. 4127-35 et R. 4127-36 du code de la santé publique ;

10. Considérant qu'en exigeant que le consentement de la patiente soit " formel", la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a seulement entendu indiquer qu'il devait être clair et non équivoque ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la chambre aurait commis une erreur de droit en exigeant que le consentement de la patiente revête une forme particulière doit être écarté comme manquant en fait ;

11. Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article L. 1110-2 du code de la santé publique : " La personne malade a droit au respect de sa dignité " ; que, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la chambre disciplinaire nationale n'a pas inexactement qualifié les faits en estimant, par une motivation suffisante, que le Dr X. a, par son comportement, méconnu les " exigences déontologiques relatives au respect des malades " ;

12. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que M. X. n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 31 mai 2012 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins a rejeté son appel dirigé contre la décision du 18 février 2011 de la chambre disciplinaire de première instance de l'ordre des médecins d'Ile-de-France ;

13. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. X. et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le pourvoi de M. X. est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. X. , à Mme Y. et au conseil départemental de l'ordre des médecins de la Ville de Paris.

Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des médecins.