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Conseil d'Etat, 1er décembre 1997, Union des professions de santé libérales SOS Action Santé (carnet de santé - droit d'opposition du patient)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 décembre 1996 et 24 avril 1997 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé, dont le siège est BP 194 à Beaune Cedex (21205) et le Syndicat des médecins d'Aix et région, dont le siège est 5, boulevard du Roy René à Aix-en-Provence (13100), représentés par leurs dirigeants légaux ; l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et le Syndicat des médecins Aix et région demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 96-925 du 18 octobre 1996 relatif au carnet de santé institué par l'article L. 162-1-1 du code de la sécurité sociale et modifiant ce code et de condamner l'Etat à leur verser la somme de 12 000 F au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Boissard, Auditeur,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et du Syndicat des médecins d'Aix et région,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et le Syndicat des médecins Aix et région contestent la légalité du décret du 18 octobre 1996 relatif au carnet de santé institué par les articles L. 162-1-1 à L. 162-1-5 introduits dans le code de la sécurité sociale par l'article 7 de l'ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 relative à la maîtrise médicalisée des dépenses de soins ;

Sur les conclusions du ministre de l'emploi et de la solidarité tendant à ce qu'il soit donné acte du désistement d'office de l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et du Syndicat des médecins Aix et région :

Considérant qu'aux termes de l'article 53-3 du décret susvisé du 30 juillet 1963 : "Lorsque la requête ou le recours mentionne l'intention du requérant ou du ministre de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la requête a été enregistrée. Si ce délai n'est pas respecté, le requérant ou le ministre est réputé s'être désisté à la date d'expiration de ce délai, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit. Le Conseil d'Etat donne acte de ce désistement" ;

Considérant que le mémoire complémentaire dont la requête de l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et du Syndicat des médecins Aix et région, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 23 décembre 1996, annonçait la production, a été produit le 24 avril 1997, c'est-à-dire dans le délai prévu par les dispositions précitées ; qu'ainsi, le ministre de l'emploi et de la solidarité n'est pas fondé à soutenir que les requérants devaient être réputés s'être désistés de leur pourvoi ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de l'emploi et de la solidarité :

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 49 de l'ordonnance susvisée du 31 juillet 1945 : "Sauf dispositions législatives contraires, le recours ou la requête au Conseil d'Etat contre la décision d'une autorité ou d'une juridiction qui y ressortit n'est recevable que dans un délai de deux mois, ce délai court de la date de la publication de la décision attaquée (...)" ; que le décret attaqué a été publié au Journal Officiel le 20 octobre 1996 ; qu'ainsi, la requête présentée par l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et le Syndicat des médecins Aix et région et enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le lundi 23 décembre 1996 n'était pas tardive ;

Considérant, d'autre part, que l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé a produit une délibération de son conseil d'administration, en date du 2 novembre 1996, compétent aux termes de l'article 11 de ses statuts, habilitant son secrétaire général à former en son nom un recours pour excès de pouvoir contre le décret du 18 octobre 1996 ; que, par ailleurs, le Syndicat des médecins Aix et région a également produit une délibération de son conseil d'administration, en date du 21 novembre 1996, compétent aux termes de l'article 13 de ses statuts, donnant pouvoir au docteur Gilles Vidal pour former en son nom un recours pour excès de pouvoir contre ledit décret ; que, par suite, le ministre de l'emploi et de la solidarité n'est pas fondé à soutenir que les auteurs de la requête n'auraient pas qualité pour agir au nom des syndicats requérants ;

Sur le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'article 7 de l'ordonnance n° 96-345 du 24 avril 1996 :

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 30 décembre 1995 autorisant le gouvernement, par application de l'article 38 de la Constitution, à réformer la protection sociale : "Le gouvernement est autorisé à prendre, par ordonnances, dans un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi, et conformément aux dispositions de l'article 38 de la Constitution, toutes mesures : ... 3° modifiant les dispositions relatives aux relations entre les organismes de sécurité sociale, les professions médicales et paramédicales et les assurés sociaux, ainsi que celles concernant la protection sociale, la formation et l'orientation des membres desdites professions en vue d'améliorer, par des incitations et des modalités appropriées de mesure, de contrôle et de responsabilisation, la qualité des soins et la maîtrise des dépenses de santé" ;

Considérant que l'institution, par l'article 7 de l'ordonnance du 24 avril 1996 susmentionnée, d'un carnet de santé destiné à favoriser la continuité et la qualité des soins, correspond à l'objectif défini au 3° de l'article 1er précité de la loi du 30 décembre 1995 ; que de telles dispositions sont, en conséquence, au nombre de celles que le gouvernement pouvait légalement prendre en vertu de la loi d'habilitation susvisée du 30 décembre 1995 ;

Considérant qu'en vertu de l'article L. 162-1-1 introduit dans le code de la sécurité sociale par l'article 7 de l'ordonnance du 24 avril 1996 susmentionnée, le carnet de santé est un document strictement personnel détenu par le patient ; que les renseignements qui y figurent, qui ont un caractère confidentiel, ne sont accessibles, en vertu de l'article L. 162-1-2 du même code, qu'à des personnes astreintes au secret professionnel ; que la méconnaissance de cette règle constitue une infraction pénalement sanctionnée ; qu'en outre, en vertu de l'article L. 162-1-4, son propriétaire dispose d'un droit d'opposition sur toutes les informations susceptibles de figurer dans ledit carnet ; que, dans ces conditions, l'institution du carnet de santé ne porte pas atteinte à la liberté individuelle ; que si les requérants soutiennent que l'institution du carnet de santé porterait atteinte au respect de la vie privée affirmé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés f
ondamentales, une telle mesure, prise par une autorité compétente et qui répond à un impératif de santé public n'est pas contraire à ces stipulations ; que ce dernier moyen doit, en tout état de cause, être écarté ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance par le décret attaqué des dispositionsde l'article L. 162-1-4 du code de la sécurité sociale :

Considérant que l'article R. 162-1-2 introduit dans le code de la sécurité sociale par l'article 2 du décret attaqué dispose que : "Tout médecin appelé à donner des soins à un patient auquel a été attribué le carnet de santé institué par l'article L. 162-1-1 doit porter sur ce carnet, dans le respect des règles déontologiques qui lui sont applicables, la date des soins, son cachet et sa signature et, sauf opposition du patient, les constatations pertinentes pour le suivi médical de ce patient, notamment la mention des actes effectués, ainsi que celles des examens et traitements prévus à l'article L. 324-1" ; que, dans leur mémoire ampliatif, les requérants soutiennent, par un moyen qui, n'étant pas fondé sur une cause juridique distincte de ceux invoqués dans leur requête sommaire, ne constitue pas une demande nouvelle, que le décret attaqué aurait ainsi illégalement restreint la portée du droit d'opposition reconnu au patient ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 162-1-3 introduit dans le code de la sécurité sociale par l'article 7 de l'ordonnance du 24 avril 1996 susmentionnée : "Le patient est tenu, sauf cas de force majeure ou d'urgence, de présenter son carnet de santé à chaque médecin appelé à lui donner des soins" ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 162-1-4 : "Les médecins appelés à donner des soins aux patients doivent porter sur le carnet de santé, dans le respect des règles de déontologie qui leur sont applicables et sauf opposition du patient, les constatations pertinentes pour le suivi médical du patient" ; que le droit d'opposition ainsi reconnu au patient par l'article L. 162-1-4 recouvre également la mention, par le médecin consulté, de la date des soins, de son cachet et de sa signature, laquelle est inséparable des constatations pertinentes pour le suivi médical du patient ; qu'ainsi, en excluant, aux termes des dispositions précitées de l'article R. 162-1-2 une telle mention des informations sur lesquelles le patient peut exercer un droit d'opposition, le décret attaqué a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 162-1-4 ; que, dès lors, les requérants sont fondés à soutenir que l'article R. 162-1-2 du code de la sécurité sociale, en ce qu'il exclut du droit d'opposition réservé au patient la mention sur le carnet de santé de la date de la consultation, du cachet et de la signature du médecin, est entaché d'illégalité ;

Sur les conclusions de l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et du Syndicat des médecins d'Aix et région tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 et de condamner l'Etat à payer à l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et au Syndicat des médecins d'Aix et région la somme globale de 12 000 F qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : L'article R. 162-1-2 introduit dans le code de la sécurité sociale par le décret n° 96-925 du 18 octobre 1996 est annulé en tant qu'il exclut du champ du droit d'opposition reconnu au patient la date de la consultation, le cachet et la signature du médecin.
Article 2 : L'Etat versera à l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et au Syndicat des médecins Aix et région la somme globale de 12 000 F.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé et du Syndicat des médecins Aix et région est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Union des professions de santé libérales SOS Action Santé, au Syndicat des médecins Aix et région, au ministre de l'emploi et de la solidarité et au ministre de l'agriculture et de la pêche.