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Conseil d'Etat, 23 février 2000, M. X. (juridiction disciplinaire - article 6-1 de la CEDH)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 décembre 1997 et 20 avril 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. X., demeurant (...) ; M. X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision en date du 16 juin 1997 par laquelle la juridiction disciplinaire nationale compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires l'a révoqué de ses fonctions ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 12 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création des centres hospitaliers et universitaires, à la réforme de l'enseignement médical et au développement de la recherche médicale ;
Vu le décret n° 84-135 du 24 février 1984 modifié portant statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires ;
Vu le décret n° 86-1053 fixant les règles de procédure devant la juridiction disciplinaire nationale instituée par l'article 5 de l'ordonnance n° 58-1373 du 30 décembre 1958 pour lespersonnels hospitaliers et universitaires ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mion, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Richard, Mandelkern, avocat de M. X.,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :

Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 53-3 ajouté au décret du 30 juillet 1963 par le décret du 16 janvier 1981 : "Lorsque la requête ou le recours mentionne l'intention du requérant ou du ministre de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la requête a été enregistrée. Si ce délai n'a pas été respecté, le requérant ou le ministre est réputé s'être désisté à la date d'expiration de ce délai même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit" ;

Considérant que le délai de quatre mois ainsi institué est un délai franc ; qu'il ressort des pièces du dossier que la requête sommaire présentée pour M. X. a été enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 17 décembre 1997 et que le mémoire complémentaire l'a été le lundi 20 avril 1998 ; que, par suite, et contrairement à ce que soutient le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, il n'y a pas lieu de donner acte du désistement d'office de la requête de M. X. ;

Sur la régularité de la décision juridictionnelle attaquée :

Considérant qu'aux termes de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle" ;

Considérant qu'il résulte des dispositions des articles 19 et 21 du décret du 24 février 1984 relatif au statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires que la juridiction disciplinaire nationale compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires peut prononcer les sanctions de la suspension avec privation totale ou partielle de la rémunération, la mise à la retraite d'office et la révocation ; qu'ainsi les décisions prises par cette instance sont susceptibles de porter atteinte à l'exercice du droit d'exercer les fonctions de professeur d'université-praticien hospitalier, lequel revêt le caractère d'un droit civil au sens des stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les attributions des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires ne comportent pas de participation à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l'Etat ou des autres personnes publiques ; qu'il suit de là que les stipulations de l'article 6-1 précitées s'appliquent à la procédure suivie devant la juridiction disciplinaire nationale compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et sont ainsi méconnues par les dispositions de l'article 4 du décret susvisé du 18 septembre 1986 aux termes desquelles "l'audience n'est pas publique" ;

Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que celle-ci a été prise après une audience non publique ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cette procédure est irrégulière et que la décision du 16 juin 1997 par laquelle la juridiction disciplinaire nationale compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires a révoqué M. X. de ses fonctions doit être annulée ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à verser à M. X. la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DECIDE :
Article 1er : La décision du 16 juin 1997 par laquelle la juridiction disciplinaire nationale compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires a révoqué M. X. de ses fonctions de professeur des universités-praticien hospitalier est annulée.
Article 2 : Les conclusions de M. X. tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : L'affaire est renvoyée à la juridiction disciplinaire nationale compétente pour les personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X., au ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et au ministre de l'emploi et de la solidarité.