En l’espèce, une personne était employée à titre permanent depuis janvier 2000 en qualité d’agent administratif contractuel au sein d’une maison de retraite. En 2001, le directeur de la maison de retraite l'a informée qu'il estimait qu'elle ne remplissait pas les conditions lui permettant d'être employée sous contrat à durée indéterminée (CDI) et lui a alors proposé de conclure un contrat à durée déterminée (CDD). Ce contrat a été renouvelé à deux reprises. En 2002, il l’informe de son intention de ne pas renouveler ce dernier contrat à son expiration. L’agent administratif saisit alors le tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation de la décision prise en 2002 de ne pas renouveler son contrat après le 28 février 2002 et à la requalification des précédents contrats qui l'avaient liée à l'établissement en CDI. Le tribunal administratif puis la cour administrative d'appel ont rejeté la demande de la requérante qui a alors formé un pourvoi en cassation .
Cet arrêt est l'occasion pour le Conseil d’Etat de précise r les conditions dans lesquelles il est possible de recourir à des CDI dans la fonction publique hospitalière. Il considère que pour rejeter la requête de cet agent, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce qu'il résultait de l’article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires, qu'à l'exception du cas des fonctions techniques ou nouvelles insusceptibles d'être assurées par les corps de fonctionnaires hospitaliers existants, les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 (comme les établissements publics de santé ou les maisons de retraite publiques,…) n'étaient autorisés à recruter des agents contractuels que pour une durée déterminée. Le Conseil d’Etat indique qu'en statuant ainsi, alors que l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 ne réserve pas le recrutement d'agents contractuels pour une durée indéterminée au cas des fonctions techniques ou nouvelles insusceptibles d'être assurées par les corps de fonctionnaires hospitaliers existants, mais à tous les cas où la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit. Il considère que la requérante est par conséquent fondée à en demander l'annulation.
Conseil d'État
N° 311850
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
5ème et 4ème sous-sections réunies
M. Vigouroux, président
M. Jean de L'Hermite, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN ; SCP BOULLEZ, avocats
lecture du vendredi 24 juillet 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 décembre 2007 et 26 mars 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mlle Christine A, demeurant Résidence Normandie ... (27210) ; Mlle A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 29 décembre 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 24 novembre 2005 du tribunal administratif de Rouen rejetant sa demande tendant, à titre principal, à ce que les relations contractuelles l'ayant liée à la maison de retraite de Beuzeville soient requalifiées en contrat à durée indéterminée et la rupture de ces relations en licenciement et à ce que ladite maison de retraite soit condamnée à lui verser la somme de 2 938,18 euros à titre d'indemnité de préavis, d'indemnité de congés sur préavis et d'indemnité de licenciement, ainsi que la somme de 7 400 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, à titre subsidiaire, à la condamnation de la maison de retraite de Beuzeville à lui verser une somme de 2 500 euros pour non renouvellement abusif de ces contrats à durée déterminée ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit aux conclusions de sa requête devant la cour administrative d'appel de Douai ;
3°) à ce que soit mise à la charge de la maison de retraite de Beuzeville la somme de 1 700 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
Vu ;
Vu le décret n° 91-155 du 6 février 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean de L'Hermite, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mlle A et de la SCP Boullez, avocat de la maison de retraite de Beuzeville,
- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mlle A et à la SCP Boullez, avocat de la maison de retraite de Beuzeville ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mlle A était employée à titre permanent depuis janvier 2000 comme agent administratif contractuel par la maison de retraite de Beuzeville (Eure) ; que par une décision du 1er mai 2001, le directeur de la maison de retraite l'a informée qu'il estimait qu'elle ne remplissait pas les conditions lui permettant d'être employée sous contrat à durée indéterminée et lui a proposé de conclure un contrat à durée déterminée ; que ce contrat a été renouvelé à deux reprises ; que par une lettre du 23 janvier 2002 proposant la conclusion d'un troisième contrat à durée déterminée, le directeur de la maison de retraite a informé Mlle A de son intention de ne pas renouveler ce dernier contrat à son expiration ; que Mlle A a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant d'une part, à l'annulation de la décision en date du 23 janvier 2002 de ne pas renouveler son contrat après le 28 février 2002 et d'autre part, de requalifier les précédents contrats qui l'avaient liée à l'établissement en contrats à durée indéterminée ; que par un jugement du 25 novembre 2005, le tribunal administratif a rejeté cette demande ; que par un arrêt du 29 décembre 2006, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête d'appel de Mlle A à l'encontre de ce jugement ; que Mlle A se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 portant statut général des fonctionnaires : Sauf dérogation prévue par une disposition législative, les emplois civils permanents (...) des communes et de leurs établissements publics à caractère administratif sont, à l'exception de ceux réservés aux magistrats de l'ordre judiciaire et aux fonctionnaires des assemblées parlementaires, occupés soit par des fonctionnaires régis par le présent titre, soit par des fonctionnaires des assemblées parlementaires, des magistrats de l'ordre judiciaire ou des militaires dans les conditions prévues par leur statut ; qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, dans sa rédaction applicable au présent litige : Par dérogation à l'article 3 du titre 1er du statut général les emplois permanents mentionnés au premier alinéa de l'article 2 peuvent être occupés par des agents contractuels lorsque la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, notamment lorsqu'il n'existe pas de corps de fonctionnaires hospitaliers susceptibles d'assurer ces fonctions ou lorsqu'il s'agit de fonctions nouvellement prises en charge par l'administration ou nécessitant des connaissances techniques hautement spécialisées./ Les établissements peuvent recruter des agents contractuels pour assurer le remplacement momentané de fonctionnaires hospitaliers indisponibles ou autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel. Ils peuvent également recruter des agents contractuels pour faire face temporairement et pour une durée maximale d'un an à la vacance d'un emploi qui ne peut être immédiatement pourvu dans les conditions prévues par le présent titre./ Ils peuvent, en outre, recruter des agents contractuels pour exercer des fonctions occasionnelles pour une durée maximale d'un an. ; que les emplois permanents des maisons de retraite publiques, à l'exception de celles qui sont rattachées au bureau d'aide sociale de Paris, sont au nombre de ceux qui sont mentionnés au premier alinéa de l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 ;
Considérant que pour rejeter la requête de Mlle A, la cour administrative d'appel de Douai s'est fondée sur ce qu'il résultait des dispositions législatives précitées qu'à l'exception du cas des fonctions techniques ou nouvelles insusceptibles d'être assurées par les corps de fonctionnaires hospitaliers existants, les établissements mentionnés à l'article 2 de la loi du 9 janvier 1986 n'étaient autorisés à recruter des agents contractuels que pour une durée déterminée ; qu'en statuant ainsi, alors que les dispositions précitées de l'article 9 de ladite loi ne réservent pas le recrutement d'agents contractuels pour une durée indéterminée au cas des fonctions techniques ou nouvelles insusceptibles d'être assurées par les corps de fonctionnaires hospitaliers existants, mais à tous les cas où la nature des fonctions ou les besoins du service le justifient, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, Mlle A est fondée à en demander l'annulation ;
Considérant qu'il y a lieu pour le Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article L. 821-1 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond et de statuer sur la requête présentée par Mlle A devant la cour administrative d'appel de Douai ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mlle A, qui avait été recrutée pour une durée indéterminée en janvier 2000 pour exercer les fonctions de secrétaire à la maison de retraite de Beuzeville et a occupé cet emploi sans interruption pendant deux ans, n'avait pas été recrutée pour exercer des fonctions occasionnelles, mais pour occuper un emploi administratif permanent ; que par suite, le tribunal administratif de Rouen, en relevant que la requérante n'établissait pas que les contrats qui l'avaient liée à son employeur n'avaient pas été conclus pour l'exercice de fonctions occasionnelles, a fondé son jugement sur des faits matériellement inexacts ; que c'est par suite à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté la demande de Mlle A tendant à l'annulation de la décision mettant fin au contrat de recrutement qui la liait à l'établissement et à la réparation des préjudices qu'elle soutenait avoir subi du fait de cette décision ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la demande présentée par Mlle A devant le tribunal administratif de Rouen ;
Considérant, en premier lieu, que, sauf s'il présente un caractère fictif ou frauduleux, le contrat de recrutement d'un agent contractuel de droit public crée des droits au profit de celui-ci ; que, lorsque le contrat est entaché d'une irrégularité, notamment parce qu'il méconnaît une disposition législative ou réglementaire applicable à la catégorie d'agents dont relève l'agent contractuel en cause, l'administration est tenue de proposer à celui-ci une régularisation de son contrat afin que son exécution puisse se poursuivre régulièrement ; que si le contrat ne peut être régularisé, il appartient à l'administration, dans la limite des droits résultant du contrat initial, de proposer à l'agent un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi, afin de régulariser sa situation ; que, si l'intéressé refuse la régularisation de son contrat ou si la régularisation de sa situation, dans les conditions précisées ci-dessus, est impossible, l'administration est tenue de le licencier ;
Considérant, en deuxième lieu, que, lorsque le juge est saisi par un agent contractuel de droit public d'une demande tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait d'une décision de l'administration de mettre fin à son contrat, il lui appartient d'apprécier le préjudice effectivement subi par l'agent ; que, dans le cas où l'administration fait valoir, à bon droit, que le contrat de l'agent méconnaissait des dispositions qui lui étaient applicables et était, par suite, entaché d'irrégularité, une telle circonstance ne saurait, dès lors que l'administration était tenue de proposer la régularisation du contrat de l'agent, priver celui-ci de la possibilité de se prévaloir, pour établir son préjudice, des dispositions qui ont été méconnues et des clauses de son contrat qui ne sont affectées d'aucune irrégularité ; que, dans le cas où l'administration fait valoir à bon droit que l'agent occupait un emploi auquel un fonctionnaire pouvait seul être affecté et se trouvait ainsi dans une situation irrégulière, et que, à la date à laquelle il a été mis fin à son contrat, aucun autre emploi ne pouvait lui être proposé dans les conditions définies ci-dessus, aux fins de régularisation de sa situation, l'agent ne peut prétendre avoir subi aucun préjudice du fait de la décision de mettre fin à son contrat, mais seulement demander le bénéfice des modalités de licenciement qui lui sont applicables ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les besoins du service ou la nature des fonctions de secrétaire exercées par Mlle A aient exigé que l'emploi permanent d'agent administratif sur lequel la requérante avait été recrutée en janvier 2000 et qu'elle a occupé sans interruption jusqu'à son éviction par la décision attaquée en date du 23 janvier 2002, soit pourvu par le recrutement d'un agent contractuel ; qu'il en résulte que les conditions de recrutement de Mlle A méconnaissaient les dispositions précitées de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983 et de l'article 9 de la loi du 9 janvier 1984 ; qu'il résulte également des pièces du dossier que l'emploi de l'intéressé ne répondait à aucune des conditions permettant à l'administration de régulariser son recrutement, notamment par la conclusion d'un contrat à durée déterminée ; que, dans ces conditions, la maison de retraite de Beuzeville était tenue, à la date de la décision attaquée, de mettre fin au contrat à durée indéterminée qui la liait à Mlle A depuis janvier 2000 et de lui verser les indemnités de licenciement résultant de la rupture de ce contrat auxquelles elle avait droit, à l'exclusion de toute autre réparation du chef des préjudices qu'elle soutient avoir subis du fait des conditions dans lesquelles son licenciement a été prononcé ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la maison de retraite de Beuzeville la somme de 4 400 euros que demande Mlle A au titre des frais exposés par elle devant le tribunal administratif de Rouen, la cour administrative d'appel de Douai et le Conseil d'Etat ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mlle A, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la maison de retraite de Beuzeville au titre des frais exposés par elle dans la présente instance ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai en date du 29 décembre 2006 et le jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 24 novembre 2005 sont annulés.
Article 2 : La maison de retraite de Beuzeville est condamnée à verser à Mlle A les indemnités de licenciement résultant de la rupture, par la décision en date du 23 janvier 2002 prenant effet le 28 février 2002, du contrat de travail à durée indéterminée qui la liait à la requérante depuis le 21 janvier 2000.
Article 3 : La maison de retraite de Beuzeville versera à Mlle A la somme de 4 400 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mlle A est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la maison de retraite de Beuzeville tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mlle Christine A et à la maison de retraite de Beuzeville.
Copie pour information en sera adressée à la ministre de la santé et des sports.