REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête enregistrée le 28 février 1995 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la société X dont le siège est (...), représentée par son gérant en exercice M. X. ; la société demande au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 29 décembre 1994 du président de la République nommant M. Y. sous-gouverneur du Crédit Foncier de France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
Vu l'article 432-13 du code pénal ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret du 28 février 1852 sur les sociétés de Crédit Foncier ;
Vu le décret impérial du 31 juillet 1854 portant organisation du Crédit Foncier de France ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle de Silva, Auditeur,
- les observations de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat du ministre de l'économie et des finances et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Y.,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir de la société X :
Considérant que la société X présente, en sa qualité d'actionnaire du Crédit Foncier de France, un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision portant nomination de l'un des dirigeants de cette société ;
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité pour agir de M. X. :
Considérant que M. X., en sa qualité de gérant de la société civile X, a qualité pour représenter ladite société en justice ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir susmentionnées doivent être écartées ;
Sur les conclusions dirigées contre le décret du 29 décembre 1994 :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que les dispositions de l'article 432-13 du code pénal interdisent à toute personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire public, à raison même de sa fonction, d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée ou d'exprimer son avis sur les opérations effectuées par une entreprise privée, d'occuper un emploi dans ladite entreprise avant l'expiration d'un délai de cinq ans suivant la cessation des fonctions de surveillance ou de contrôle susmentionnées ; qu'elles font également obstacle à ce que l'autorité administrative nomme un fonctionnaire dans un poste où, quelle que soit la position statutaire qu'il serait amené à occuper, il contreviendrait à ces dispositions ; que la circonstance que les dispositions de l'article 72 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'Etat et des textes pris pour son application ne s'appliquent pas aux fonctionnaires détachés est sans influence sur l'application des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article 432-13 du code pénal ;
Considérant que, eu égard à son statut juridique de droit privé et à la composition de son capital, le Crédit Foncier de France est une entreprise privée ; que M. Y., avant sa nomination au poste de sous-gouverneur au Crédit Foncier de France, exerçait, en sa qualité de chef du service des affaires monétaires et financières à la direction du Trésor, un contrôle direct sur cet établissement ; qu'ainsi, la société X est fondée à soutenir que le décret nommant M. Y. sous-gouverneur du Crédit Foncier de France est entaché d'excès de pouvoir ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 3 mai 1995 :
Considérant que l'arrêté du 3 mai 1995 du Premier ministre, du ministre de l'économie et des finances et du ministre du budget maintenant M. Y. en position de détachement en qualité de sous-gouverneur du Crédit Foncier de France, pour une durée maximale de trois ans à compter du 9 janvier 1995, a été publié au Journal officiel du 6 mai 1995 ; qu'aucune disposition légale et réglementaire ni aucun principe n'imposaient à l'administration de notifier cette décision à la société X ; que les conclusions tendant à son annulation n'ont été enregistrées au Conseil d'Etat que le 23 octobre 1996 ; qu'elles sont donc tardives et par suite irrecevables ;
Sur les conclusions de M. Y. tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que la société X, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à M. Y. la somme de 12 000 F qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : Le décret en date du 29 décembre 1994 nommant M. Y. sous-gouverneur du Crédit Foncier de France est annulé.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : Les conclusions de M. Y. tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société X, à M. Y, au Président de la République, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.