En l’espèce, le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) demande au Conseil d'Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret en date du 30 mai 2014 concernant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion nationale des personnes détenues en établissement pénitentiaire. La Haute juridiction administrative annule partiellement le décret en ce que « la durée de conservation de huit ans que fixent ces dispositions doit être regardée comme disproportionnée » mais juge qu’il n’y a aucune violation au secret médical dans la mesure où il détermine « les personnes ou catégories de personnes qui, à raison de leurs fonctions […] ou pour les besoins du service, peuvent directement accéder aux informations et données à caractère personnel enregistrées dans le traitement et strictement [ nécessaires à l'exercice de leurs attributions » lequel n’ouvre pas l’accès de ces données à tout le personnel de l’établissement.
Conseil d'État
N° 383313
ECLI:FR:CESSR:2015:383313.20151109
Inédit au recueil Lebon
10ème / 9ème SSR
M. Jacques Reiller, rapporteur
Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public
SCP BARTHELEMY, MATUCHANSKY, VEXLIARD, POUPOT, avocats
lecture du lundi 9 novembre 2015
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 31 juillet 2014, 29 octobre 2014 et 9 juillet 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-558 du 30 mai 2014 portant création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à la gestion nationale des personnes détenues en établissement pénitentiaire, dénommé GENESIS ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le décret n° 2011-817 du 6 juillet 2011 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jacques Reiller, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard, Poupot, avocat du Conseil national de l'ordre des médecins ;
Sur la légalité externe du décret attaqué :
1. Considérant que le décret attaqué crée un traitement nominatif relatif aux détenus et a été pris après avis publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) conformément à l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
2. Considérant que, contrairement à ce qui est soutenu, la liste des personnes susceptibles d'accéder en raison de leurs fonctions et des besoins qui en découlent, aux informations recueillies, n'a pas été modifiée, sinon pour en restreindre marginalement l'étendue, après la saisine de la CNIL ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'irrégularité de la consultation de la CNIL ne peut qu'être écarté ;
Sur la légalité interne du décret attaqué :
En ce qui concerne le secret médical :
3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-9-20 du code de procédure pénale, inséré dans ce code par l'article 1er du décret attaqué, peuvent être enregistrées dans le fichier GENESIS les informations et données suivantes : " (...) 3° Concernant la prise en charge pluridisciplinaire de la personne détenue : /(...) c) Entretien avec les services médicaux, sous la forme d'indication oui/non/ne se prononce pas : antécédents placement SMPR (services médicaux psychologiques régionaux), antécédents placement UMD (unités pour malades difficiles), antécédents hospitalisation d'office, nécessite un suivi somatique, suivi psychologique ou psychiatrique antérieur ou en cours, régime alimentaire particulier, addictions, aptitude au sport, aptitude au travail (...) " ; que, contrairement à ce que soutient le Conseil national, les dispositions de l'article L. 3211-5 du code de la santé publique, aux termes desquelles : " Une personne faisant, en raison de troubles mentaux, l'objet de soins psychiatriques prenant ou non la forme d'une hospitalisation complète conserve, à l'issue de ces soins, la totalité de ses droits et devoirs de citoyen, sous réserve des dispositions relatives aux mesures de protection des majeurs prévues aux sections 1 à 4 du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil, sans que ses antécédents psychiatriques puissent lui être opposés ", ne font nullement obstacle à la collecte, pour des finalités légitimes, de données mentionnant des soins psychiatriques antérieurs ; que, s'agissant du fichier litigieux, cette collecte n'intervient, en tout état de cause, pas pour opposer aux détenus ces antécédents dans l'exercice de leurs droits ; qu'à supposer que les unités pour malades difficiles qu'elles mentionnent n'aient plus d'existence, cette circonstance ne ferait pas obstacle à la collecte de cette information ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le respect du secret médical doit être concilié avec les exigences qui s'attachent à la préservation de la santé des personnes détenues ; que l'article R. 57-9-22 du code de procédure pénale, issu du décret attaqué, détermine les personnes ou catégories de personnes qui, à raison de leurs fonctions ou pour les besoins du service, peuvent directement accéder aux informations et données à caractère personnel enregistrées dans le traitement et strictement nécessaires à l'exercice de leurs attributions ; que, contrairement à ce que soutient le Conseil national, cet article n'ouvre pas à tous les personnels qu'il mentionne un accès indifférencié aux données du 3° de l'article R. 57-9-20, notamment à celles émanant des personnels de santé ; que, par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions combinées de l'article R. 57-9-20 et de l'article R. 57-9-22 du code de procédure pénale seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation et porteraient atteinte au secret médical doit être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, que le 4° de l'article R. 57-9-20 du code de procédure pénale issu du décret attaqué, fixe la liste des informations et données à caractère personnel susceptibles d'être enregistrées dans le traitement automatisé litigieux en ce qui concerne les risques de suicide des détenus ; qu'aux termes de l'article 12 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Les personnels de surveillance de 1'administration pénitentiaire (...) veillent au respect de 1'intégrité physique des personnes privées de liberté " et qu'aux termes de l'article 46 de la même loi : " L'état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur incarcération et pendant leur détention " ; que les dispositions de l'article L. 3211- 5 du code de la santé publique ne sauraient faire obstacle à ce que les antécédents psychiatriques d'un détenu, s'ils ne peuvent lui être opposés pour lui dénier un droit, soient pris en compte et utilisés à des fins de sauvegarde de l'intégrité physique et de la santé de ce détenu ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que constitue une donnée personnelle, au sens et pour l'application de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978, " toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres " ; que cette définition ne peut faire obstacle à ce que les informations et données relatives au comportement de la personne détenue mentionnées au d) du 4° de l'article R. 57-9-20, alors même qu'elles reposeraient sur des appréciations subjectives, soient collectées dans le traitement automatisé litigieux ; qu'aux termes de l'article R. 57-9-22 du code de procédure pénale, les données des 4°, 5° et 6° de l'article R. 57-9-20, relatives aux risques de suicide de la personne détenue et de la personne mineure détenue ainsi qu'à la dangerosité et à la vulnérabilité de la personne détenue, ne peuvent être collectées et utilisées que dans la stricte mesure nécessaire à l'exercice de leurs attributions, par les personnels et agents individuellement désignés et spécialement habilités par le chef d'établissement dans le cadre des missions énumérées à l'article R. 57-9-20 ; que le choix des autorités de collecte, parmi les personnels en contact avec les détenus, et à même, en raison de leurs fonctions et leur formation, de collecter ces données avec discernement, ne méconnaît nullement, en lui-même, les exigences d'une collecte loyale et licite posée à l'article 2 de la loi du 17 juillet 1978, au regard des contraintes que la détention fait peser sur les personnes concernées ;
7. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article R. 57-9-20 du code de procédure pénale issu du décret attaqué : " Peuvent être enregistrées dans le traitement automatisé les informations et les données à caractère personnel suivantes :/ (...) 8° Concernant la détention de la personne détenue : / (...) d) Observations : consignation des observations (...) des personnels de santé (...) " ; que ces dispositions n'ouvrent qu'une faculté aux professionnels de santé, qui ne peuvent, sans qu'il soit besoin que les dispositions attaquées le rappellent, y procéder que dans le respect du secret médical ; que, dès lors, les dispositions attaquées ne sauraient avoir pour effet de rendre accessibles des informations médicales à des personnels non habilités à partager un secret médical ;
En ce qui concerne la durée de conservation des données :
8. Considérant qu'aux termes de la loi du 6 janvier 1978 : " Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes : / (...) 5° Elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pour une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées " ; que l'article R. 57-9-21 du code de procédure pénale, issu du décret attaqué, dispose que : " Les informations et données à caractère personnel sont conservées deux ans à compter de la date de levée d'écrou, uniquement accessibles selon les distinctions mentionnées à l'article R. 57-9-22, aux personnels habilités de la direction de l'administration pénitentiaire et des directions interrégionales des services pénitentiaires, aux personnels en charge du greffe, aux personnels en charge de la régie des comptes nominatifs et aux personnels en charge de l'établissement. / A l'issue de ce délai, les informations et données à caractère personnel sont conservées pour une durée de huit ans, uniquement accessibles aux personnels habilités de la direction de l'administration pénitentiaire et des directions interrégionales des services pénitentiaires " ; que la durée de conservation de deux années à compter de la date de la levée d'écrou n'excède pas ce qui est nécessaire, compte tenu de la finalité de gestion des contentieux entre l'administration pénitentiaire et les personnes placées sous main de justice ou leurs ayants droits, pour lesquelles les données sont collectées et traitées dans le traitement GENESIS, dès lors que l'accès aux données ainsi conservées doit nécessairement être entendu comme étant réservé, dans la limite du besoin d'en connaître, aux catégories de personnes limitativement énumérées à l'article susvisé ; qu'en revanche, si la garde des sceaux a, devant la Commission nationale de l'informatique et des libertés, soutenu que la conservation ultérieure des données durant huit ans était justifiée par la conduite éventuelle de contentieux, cette finalité n'est pas explicitée par les dispositions attaquées, qui ne comportent, par suite, pas de fondement légal à la limitation de l'accès à ces données, par les personnes qu'il désigne, au seul besoin d'en connaître au regard de cette finalité ; qu'ainsi, faute de comporter aucune garantie quant aux finalités et aux limitations d'accès à ces données, la durée de conservation de huit ans que fixent ces dispositions doit être regardée comme disproportionnée ; que le Conseil national de l'ordre des médecins est fondé, pour ce motif, à en demander l'annulation, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen soutenu à l'encontre de ces dispositions ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le Conseil national de l'ordre des médecins n'est fondé à demander l'annulation du décret qu'il attaque qu'en tant que son article 1er insère dans le code de procédure pénale le deuxième alinéa de l'article R. 57-9-21 ;
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au Conseil national de l'ordre des médecins au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 1er du décret du 30 mai 2014 est annulé en tant qu'il insère dans le code de procédure pénale le deuxième alinéa de l'article R. 57-9-21.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : L'Etat versera au Conseil national de l'ordre des médecins une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Conseil national de l'ordre des médecins, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.