Par un avis d'appel public à la concurrence du 26 juin 2006, le département X. a lancé un appel d'offres ouvert en vue de la conclusion d'un marché à bons de commande ayant pour objet la location de longue durée de véhicules de fonction pour les services du conseil général. Par une délibération en date du 20 novembre 2006, la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l'assemblée départementale à signer le marché avec la société Z., retenue comme attributaire par la commission d'appel d'offres. Le 18 janvier 2007, M. Y., conseiller général de X., a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 20 novembre 2006. Ledit tribunal administratif a annulé la délibération attaquée et a invité les parties, à défaut de résolution amiable du contrat, à saisir le juge du contrat. Le conseil général a fait appel du jugement. La Cour administrative d’appel de Bordeaux ayant rejeté sa requête, celui-ci s’est pourvu en cassation. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat a redéfini les modalités du recours en contestation de la validité du contrat dont disposent les tiers, lesquelles s’appliqueront contre les contrats signés à compter du 4 avril 2014 : - le recours direct contre le contrat est désormais ouvert à tous les tiers susceptibles d’être lésés, dans leurs intérêts, par sa passation ou ses clauses ; - la voie du recours pour excès de pouvoir contre ces actes détachables est désormais fermée ; - pour pouvoir saisir le juge du contrat, les tiers doivent ainsi justifier que leurs intérêts sont susceptibles d’être lésés de manière suffisamment directe et certaine. Sur le fond, ils ne peuvent se plaindre que des vices du contrat en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou de ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ; - le juge peut, selon les cas, décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, inviter les parties à le régulariser, ou encore décider de résilier le contrat à compter d’une date fixée par lui ; - c’est seulement dans les cas où le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité, que le juge, après avoir vérifié que sa décision ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, en prononce l’annulation totale ; - il peut dans certains cas condamner les parties à verser une indemnité à l’auteur du recours qui a subi un préjudice ; - le même recours est ouvert aux élus des collectivités territoriales concernées par le contrat et au préfet de département chargé du contrôle de légalité. Toutefois, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, ces requérants peuvent invoquer tout vice entachant le contrat. En outre, dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet de département peut continuer de demander l’annulation des actes détachables du contrat tant que celui-ci n’est pas signé. |
Conseil d'État
N° 358994
Assemblée
M. Jean-Dominique Nuttens, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP DELVOLVE ; FOUSSARD, avocat
lecture du vendredi 4 avril 2014
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 30 avril et 11 juillet 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour le département X., représenté par le président du conseil général ; le département X. demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 10BX02641 du 28 février 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement n° 0700239 du 20 juillet 2010 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a, à la demande de M. Y., annulé la délibération en date du 20 novembre 2006 de la commission permanente du conseil général X. autorisant le président du conseil général à signer avec la société Z. un marché à bons de commande ayant pour objet la location en longue durée de véhicules de fonction pour les services du conseil général et enjoint au département d’obtenir la résolution du contrat ;
2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à sa requête d’appel ;
3°) de mettre à la charge de M. Y. le versement d’une somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les frais de contribution à l’aide juridique ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le règlement (CE) n° 1564/2005 de la Commission du 7 septembre 2005 ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Dominique Nuttens, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat du département X. et à la SCP Delvolvé, avocat de M. François Bonhomme ;
1. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un avis d’appel public à la concurrence du 26 juin 2006, le département X. a lancé un appel d’offres ouvert en vue de la conclusion d’un marché à bons de commande ayant pour objet la location de longue durée de véhicules de fonction pour les services du conseil général ; que, par une délibération en date du 20 novembre 2006, la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l’assemblée départementale à signer le marché avec la société Z., retenue comme attributaire par la commission d’appel d’offres ; que le 18 janvier 2007, M. Y., conseiller général de X., a saisi le tribunal administratif de Toulouse d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 20 novembre 2006 ; que le conseil général X. se pourvoit en cassation contre l’arrêt du 28 février 2012 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du tribunal administratif de Toulouse du 20 juillet 2010 annulant la délibération attaquée et invitant les parties, à défaut de résolution amiable du contrat, à saisir le juge du contrat ;
Sur les recours en contestation de la validité du contrat dont disposent les tiers :
2. Considérant qu’indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ; que les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d’une demande tendant, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l’exécution du contrat ; que ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l’accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d’un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ; que la légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu’à l’occasion du recours ainsi défini ; que, toutefois, dans le cadre du contrôle de légalité, le représentant de l’Etat dans le département est recevable à contester la légalité de ces actes devant le juge de l’excès de pouvoir jusqu’à la conclusion du contrat, date à laquelle les recours déjà engagés et non encore jugés perdent leur objet ;
3. Considérant que le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini ; que les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ;
4. Considérant que, saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l’auteur du recours autre que le représentant de l’Etat dans le département ou qu’un membre de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d’un intérêt susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu’il critique sont de celles qu’il peut utilement invoquer, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, d’en apprécier l’importance et les conséquences ; qu’ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l’exécution du contrat est possible, soit d’inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu’il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat ; qu’en présence d’irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l’exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s’il se trouve affecté d’un vice de consentement ou de tout autre vice d’une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d’office, l’annulation totale ou partielle de celui-ci ; qu’il peut enfin, s’il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu’il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l’indemnisation du préjudice découlant de l’atteinte à des droits lésés ;
5. Considérant qu’il appartient en principe au juge d’appliquer les règles définies ci-dessus qui, prises dans leur ensemble, n’apportent pas de limitation au droit fondamental qu’est le droit au recours ; que toutefois, eu égard à l’impératif de sécurité juridique tenant à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours, le recours ci-dessus défini ne pourra être exercé par les tiers qui n’en bénéficiaient pas et selon les modalités précitées qu’à l’encontre des contrats signés à compter de la lecture de la présente décision ; que l’existence d’un recours contre le contrat, qui, hormis le déféré préfectoral, n’était ouvert avant la présente décision qu’aux seuls concurrents évincés, ne prive pas d’objet les recours pour excès de pouvoir déposés par d’autres tiers contre les actes détachables de contrats signés jusqu’à la date de lecture de la présente décision ; qu’il en résulte que le présent litige a conservé son objet ;
Sur le pourvoi du département X. :
6. Considérant que, pour confirmer l’annulation de la délibération du 20 novembre 2006 par laquelle la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l’assemblée départementale à signer le marché avec la société Z., la cour administrative d’appel de Bordeaux a énoncé qu’en omettant de porter les renseignements requis à la rubrique de l’avis d’appel public à la concurrence consacrée aux procédures de recours, le département avait méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombaient en vertu des obligations du règlement de la Commission du 7 septembre 2005 établissant les formulaires standard pour la publication d’avis dans le cadre des procédures de passation des marchés publics conformément aux directives 2004/17/CE et 2004/18/CE du Parlement et du Conseil ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher si l’irrégularité constatée avait été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la délibération contestée ou de priver d’une garantie les personnes susceptibles d’être concernées par l’indication des procédures de recours contentieux, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, le département X. est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
7. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
8. Considérant que si M. Y. soutient que l’avis d’appel public à la concurrence publié par le département X. ne comportait pas la rubrique « Procédures de recours » en méconnaissance des dispositions du règlement de la Commission du 7 septembre 2005, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette irrégularité ait été, dans les circonstances de l’espèce, susceptible d’exercer une influence sur le sens de la délibération contestée ou de priver des concurrents évincés d’une garantie, la société attributaire ayant été, d’ailleurs, la seule candidate ; que, par suite, le département X. est fondé à soutenir que c’est à tort que, pour annuler la délibération du 20 novembre 2006, le tribunal administratif de Toulouse s’est fondé sur la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence qui incombaient au département en ne portant pas les renseignements requis à la rubrique « Procédures de recours » de l’avis d’appel public à la concurrence ;
9. Considérant toutefois qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par M. Y. devant le tribunal administratif de Toulouse ;
10. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier que les membres de la commission permanente ont été, contrairement à ce que soutient M. Y., destinataires d’un rapport mentionnant les principales caractéristiques du marché ;
11. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 71 du code des marchés publics alors en vigueur : « Lorsque, pour des raisons économiques, techniques ou financières, le rythme ou l’étendue des besoins à satisfaire ne peuvent être entièrement arrêtés dans le marché, la personne publique peut passer un marché fractionné sous la forme d’un marché à bons de commande » ; que si M. Y. fait valoir que le département X. a méconnu ces dispositions en recourant au marché fractionné pour la location de ses véhicules de service, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu du renouvellement à venir de l’assemblée départementale et de la perspective du transfert de nouvelles compétences aux départements, le département X. n’était pas en mesure d’arrêter entièrement l’étendue de ses besoins dans le marché ;
12. Considérant, en dernier lieu, qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 57 du code des marchés publics alors en vigueur : « Le délai de réception des offres ne peut être inférieur à 52 jours à compter de l’envoi de l’appel public à la concurrence (…) » ; que si M. Y. soutient que le département X. aurait méconnu ces dispositions en fixant le délai de réception des offres à dix-sept heures le cinquante-deuxième jour suivant l’envoi de l’avis d’appel public à la concurrence, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n’est pas même soutenu, qu’un candidat aurait été empêché de présenter utilement son offre en raison de la réduction alléguée de quelques heures du délai de 52 jours de réception des offres ; qu’ainsi, le vice allégué affectant la procédure de passation du marché n’a été susceptible, dans les circonstances de l’espèce, ni d’exercer une influence sur le sens de la délibération contestée ni de priver d’autres candidats d’une garantie ;
13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la demande de M. Y. par le département X., que ce dernier est fondé à soutenir que c’est à tort que par son jugement du 10 juillet 2010, le tribunal administratif de Toulouse a annulé la délibération du 20 novembre 2006 par laquelle la commission permanente du conseil général a autorisé le président de l’assemblée départementale à signer le contrat ;
14. Considérant que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du département X., qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes demandées par M. Y. devant la cour administrative d’appel au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le département X. au titre des mêmes dispositions et de l’article R. 761-1 du code de justice administrative dans sa rédaction applicable à la présente affaire ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 28 février 2012 de la cour administrative d’appel de Bordeaux et le jugement du 20 juillet 2010 du tribunal administratif de Toulouse sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par M. Y. devant le tribunal administratif de Toulouse et ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, présentées devant la cour administrative d’appel de Bordeaux, sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi du département X. est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département X., à M. Y. et à la société Z..