Dans cette affaire, Monsieur X., auteur d’une tentative d’assassinat, est déclaré pénalement irresponsable en raison d’une psychose chronique schizophrénique marquée par des épisodes délirants de persécution. Il est hospitalisé d’office dans un centre hospitalier spécialisé. A la suite d’une expertise psychiatrique favorable, le préfet autorise à Monsieur X. des sorties d’essai. A l’occasion de l’une d’elles, le patient ne se rend pas à une consultation, est blessé, reviens au centre hospitalier à plusieurs reprises, d’où il s’enfuit. Pour finir, il assassine le compagnon de sa grand-mère à la suite d’une altercation. La Cour accède à la demande de la famille en ce qu’elle demande réparation auprès du centre hospitalier en estimant que le fait que Monsieur X. ait pu s’enfuir de l’enceinte de l’établissement révèle un fonctionnement défectueux du service de nature à engager la responsabilité de l’hôpital. En revanche, la responsabilité de l’Etat ne saurait être engagée dès lors que le régime de sortie d’essai dont bénéficiait Monsieur X. par décision du préfet ne se trouve pas à l’origine du décès de la victime, lequel est imputable aux seules défaillances du centre hospitalier dans la surveillance du patient.
3ème chambre
N° 07MA03488
1er octobre 2009
Vu la requête, enregistrée le 22 août 2007, présentée pour M. X, Mme X, M. BX demeurant (...) et Mlle X, demeurant (...) par Me Guy ; Les consorts X demandent à la Cour :
1°) de réformer l'article 2 du jugement n° 0502205 en date du 19 juin 2007 du Tribunal administratif de Marseille en tant que le tribunal a limité à la somme de 15 000 euros l’indemnisation accordée à M. X, mise à la charge de l’Etat en réparation du préjudice moral subi à la suite de l’assassinat de son père, et d'annuler les articles 4 et 5 du même jugement par lequel le tribunal a mis hors de cause le centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille et les a condamnés à verser au centre hospitalier la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner l’Etat et le centre hospitalier Edouard Toulouse à verser solidairement et conjointement à M.X la somme de 100 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et du centre hospitalier Edouard Toulouse la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 octobre 2007, présenté pour le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, qui déclare que seul le préfet des Bouches-du-Rhône est compétent pour assurer en la matière la défense de l’Etat ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 janvier 2008, présenté pour le centre hospitalier Edouard Toulouse par Me Sylvain Pontier de la SELARL Abeille et associés ;
Le centre hospitalier demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête des consorts X ;
2°) de mettre à la charge des consorts X la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
….….
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu l’arrêté du vice-président du Conseil d'Etat en date du 27 janvier 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l’article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Considérant qu’à la suite du meurtre de M. X par M. Y, patient atteint de troubles psychiques graves bénéficiant par arrêté préfectoral d’un régime de sorties à l’essai sous la responsabilité du centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille, M. X, fils de la victime, Mme X, sa belle-fille, M. BX et Mlle X, ses petits-enfants, ont demandé dans un premier temps à la Cour de réformer l'article 2 du jugement en date du 19 juin 2007 du Tribunal administratif de Marseille en tant que le tribunal a limité à la somme de 15 000 euros l’indemnisation accordée à M. X, mise à la charge de l’Etat en réparation du préjudice moral subi à la suite de l’assassinat de son père, et d'annuler les articles 4 et 5 du même jugement par lequel le tribunal a mis hors de cause le centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille et les a condamnés à verser au centre hospitalier la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'en appel, dans le dernier état des conclusions dont la Cour est saisie, le seul M. X reprend les conclusions précédentes et demande que l’Etat et le centre hospitalier Edouard Toulouse soient condamnés à lui verser chacun la somme de 100 000 euros ; que, par la voie de l’appel incident, l’Etat, régulièrement représenté par le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône, demande l’annulation des articles 1er à 3 du jugement par lesquels le tribunal a annulé la décision rejetant la demande d'indemnisation des consorts X, condamné l’Etat à verser la somme de 15 000 euros à M. X et mis à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur la recevabilité de la requête :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier Edouard Toulouse, la requête des consorts X, reprise par le seul M. X, était accompagnée du jugement attaqué ; qu’elle est, par suite, recevable ;
Sur la responsabilité de l’Etat et du centre hospitalier Edouard Toulouse :
Considérant qu’aux termes de l’article L.3211-11 du code de la santé publique : « Afin de favoriser leur guérison, leur réadaptation ou leur réinsertion sociale, les personnes qui ont fait l'objet d'une hospitalisation sur demande d'un tiers ou d'une hospitalisation d'office peuvent bénéficier d'aménagements de leurs conditions de traitement sous forme de sorties d'essai, éventuellement au sein d'équipements et services ne comportant pas d'hospitalisation à temps complet mentionnés à l'article L.6121-2. La sortie d'essai comporte une surveillance médicale. Sa durée ne peut dépasser trois mois ; elle est renouvelable. Le suivi de la sortie d'essai est assuré par le secteur psychiatrique compétent. La sortie d'essai, son renouvellement éventuel ou sa cessation sont décidés : (…) 2º Dans le cas d'une hospitalisation d'office, par le représentant de l'Etat dans le département, sur proposition écrite et motivée d'un psychiatre de l'établissement d'accueil » ;
Considérant qu'il résulte de l’instruction qu’à la suite d’une tentative d’assassinat perpétrée le 26 mai 2001, qui succédait elle-même à plusieurs actes de violence et délits ayant justifié une première hospitalisation d’office en janvier 2001, M. Y a été jugé, après expertise psychiatrique, pénalement irresponsable en raison d’une psychose chronique schizophrénique marquée par des épisodes délirants de persécution ; que M. Y, qui avait commis une agression violente sur un codétenu en septembre 2001, a alors été à nouveau hospitalisé d’office au centre hospitalier Edouard Toulouse par arrêté du préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône, en date du 28 septembre 2001 en raison des troubles mentaux sévères dont il était atteint et du caractère dangereux de son comportement ; que M. Y a été maintenu dans cette situation jusqu’en avril 2003 ; qu’à la faveur d’une expertise psychiatrique préconisant pour le patient la possibilité de sorties à l’essai, réalisée par un praticien ne dépendant pas du centre hospitalier Edouard Toulouse, et sur proposition du médecin en charge de M. Y dans cet établissement, le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône, a pris, en application des dispositions de l'article L. 3211-11 du code de la santé publique, sept arrêtés successifs accordant à M. X le bénéfice de sorties à l’essai à temps complet ; que le dernier de ces arrêtés, en date du 26 janvier 2004, autorisait le patient à sortir du centre hospitalier pour la période du 27 janvier au 27 février 2004 ; que le 18 février 2004, M. X ne s’est pas présenté à la consultation prévue au centre hospitalier Edouard Toulouse et a informé l'établissement par téléphone que, blessé, il se trouvait au service des urgences du centre hospitalier de la Conception à Marseille ; que M. Y, après avoir subi une intervention chirurgicale dans ce dernier établissement, a été transféré le lendemain au centre hospitalier Edouard Toulouse ; qu'il a alors refusé l'hospitalisation qui lui était proposée et a quitté précipitamment le service où il se trouvait sans que les trois membres présents du centre hospitalier ne puissent le retenir ; qu’il résulte des énonciations d’un procès-verbal d’audition du médecin en charge de M. X dans cet établissement, en date du 8 avril 2004, que le patient s’est présenté à l’accueil du centre hospitalier le lendemain ou le surlendemain de sa fuite pour obtenir des documents et qu’il s’est de nouveau enfui à la vue du praticien qui le prenait en charge ; que, sept jours plus tard, le 26 février 2004, M. Y a eu une altercation avec le compagnon de sa grand-mère, M. X, qui a nécessité l'intervention de la police sans que M.Y puisse être appréhendé ; que, quelques jours plus tard, le 9 mars 2004, M. Y s'est rendu au domicile de sa grand-mère, où il a assassiné M. X ;
En ce qui concerne les conditions de la sortie de M.Y du centre hospitalier le 19 février 2004 :
Considérant que, même si M. Y bénéficiait à la date du 19 février 2004 d’un régime de sortie à l’essai, il demeurait, comme le précisait d’ailleurs l’arrêté préfectoral du 26 janvier 2004 le plaçant sous ce régime, sous la surveillance et la responsabilité du centre hospitalier ; que, d’une façon générale, il appartenait à celui-ci, compte tenu des antécédents et du lourd passé psychiatrique du patient, de prendre les mesures de surveillance renforcées qu’exigeait son état ; que ces mesures s’imposaient tout particulièrement à la date du 19 février 2004, compte tenu des circonstances confuses entourant, la veille, l’hospitalisation de M. Y pour blessure aux urgences du centre hospitalier de la Conception ; que, dans ces conditions, le fait que M. Y ait pu s’enfuir précipitamment de l’enceinte du centre hospitalier Edouard Toulouse, établissement pourtant spécialisé dans le traitement des pathologies psychiatriques, révèle, quelles qu'aient été les méthodes thérapeutiques employées par l’établissement, un fonctionnement défectueux du service de nature a engager la responsabilité de l'hôpital ; que la circonstance que celui-ci a aussitôt fait procéder à une visite au domicile de M. Y avant d'avertir, trois heures trente après la fuite de ce dernier, les services sanitaires et les différents services de police compétents n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité étant observé qu’à l’occasion du retour de M. Y dans les locaux de l’établissement le lendemain ou le surlendemain de sa fuite, le centre hospitalier n’a, de nouveau, pas été en mesure de retenir le patient ;
En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute du centre hospitalier et le décès de M. X :
Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment de la relation des faits figurant dans l’ordonnance de non-lieu du 4 janvier 2005 par laquelle le juge d’instruction du Tribunal de grande instance de Gap a constaté l’irresponsabilité pénale de M. Y que celui-ci manifestait en février 2004 un comportement délirant particulièrement hostile envers M. X pour des motifs d’ordre familial ; que, comme il a été dit, une altercation nécessitant l'intervention de la police a opposé le 26 février 2004 M. X et M. Y sept jours après le départ précipité de ce dernier du centre hospitalier ; que le meurtre de M. X a été commis le 9 mars 2004 dans la continuité de cette période au cours de laquelle M. Y, après s’être échappé du centre hospitalier, était libre de ses faits et gestes ; que, dans ces conditions, le lien de causalité entre la faute du centre hospitalier et le décès de M. X doit être regardé comme établi ; qu’en outre, la responsabilité sans faute de l’Etat ne saurait être engagée dès lors que le régime de sortie à l’essai, dont bénéficiait M. Y par décision du représentant de l’Etat, ne se trouve pas à l’origine du décès de M. X , lequel est imputable aux seules défaillances du centre hospitalier dans la surveillance du patient ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier Edouard Toulouse doit assurer seul la réparation du préjudice subi par M. MX, fils de la victime ;
Sur l'évaluation du préjudice moral de M. MX :
Considérant qu’il sera fait une juste appréciation de la réparation due à M. MX au titre de son préjudice moral, même en tenant compte des circonstances particulièrement douloureuses dans lesquelles est intervenu le décès de son père, en la fixant à la somme de 15 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône est fondé à demander l’annulation des articles 1er à 3 du jugement en date du 19 juin 2007 ; que M. MX est quant à lui fondé à demander, d’une part, l’annulation des articles 4 et 5 du même jugement par lesquels le tribunal a mis hors de cause le centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille et a condamné les consorts X à verser au centre hospitalier la somme de 1 500 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative et, d’autre part, la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 15 000 euros ;
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s’opposent à ce qu’il fait droit à la demande du centre hospitalier Edouard Toulouse qui est, dans la présente instance, la partie perdante ; qu‘en outre, il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des mêmes dispositions au profit de M. MX ;
:
Article 1er : Le jugement en date du 19 juin 2007 du Tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille est condamné à verser à M. MX la somme de 15 000 euros.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. MX et les conclusions du centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. MX, Mme X, Mlle X, M. X, au centre hospitalier Edouard Toulouse, au préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône et au ministre de la santé et des sports.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 septembre 2009 :
- le rapport de M. Bédier, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Dubois, rapporteur public ;
- et les observations de Me Chemla pour M. MX, de Me Ricciotti pour le centre hospitalier Edouard Toulouse et de M. Poggionovo, représentant le préfet de la région Provence Alpes Côte d'Azur, préfet des Bouches-du-Rhône ;
M. Bédier, Président.