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Cour administrative d'appel de Nantes, 12 avril 2012, n°10NT00310 (médecin libéral de garde - SAMU - responsabilité de l'établissement de santé)

Dans la nuit du 17 au 18 février 2002, M. C a été victime d'un malaise à son domicile alors qu'il s'y trouvait seul avec son fils alors âgé de 10 ans. Ce dernier, à la demande de son père, a contacté le médecin régulateur du SAMU qui a tenté de joindre sans succès le médecin libéral de garde afin de réorienter M. C vers lui puis a demandé au jeune garçon de tenter de joindre directement ce médecin libéral de garde avant de mettre fin à la conversation. En dépit d'un message laissé par l'enfant sur le répondeur du médecin de garde, ce dernier ne s'est jamais manifesté. Devant l'aggravation de l'état de santé de son père, l'enfant a rappelé le SAMU qui a dépêché sur place les pompiers puis le SMUR. Les médecins du SMUR n'ont pu que constater le décès de M. C.

La Cour d'appel de Bourges a condamné à trois mois de prison avec sursis le médecin régulateur du SAMU ainsi que le médecin libéral de garde du chef d'homicide involontaire par violation manifeste d'une obligation de sécurité ou de prudence. Seul le médecin de garde libéral a été condamné à réparer le préjudice moral des enfants de M. C.

Compte tenu de l'insolvabilité du médecin libéral, les ayants droit de M. C ont engagé une procédure devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions près le tribunal de grande instance de Bourges afin d'obtenir la réparation effective de leur préjudice moral. Le fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a ainsi été amené à leur verser des indemnités d'un montant de 65000 euros (à l'époque des faits, l'ONIAM n'était pas encore créé).

Le FGTI relève appel du jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 28 décembre 2009 qui n'a que partiellement fait droit à sa demande de condamnation de l'hôpital Y dont relève le SAMU concerné, le tribunal ayant limité la responsabilité du centre hospitalier à la réparation de la moitié des conséquences dommageables subies pour tenir compte de la faute commise par le médecin libérale de garde. In fine, le juge administratif se fondant sur le décret du 16 décembre 1987 précisant que "les SAMU exercent les missions suivantes : 1° assurer une écoute médicale permanente ; 2°déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels" retient à l'encontre de l'établissement de santé une part de responsabilité de 70%.

Cour Administrative d'Appel de Nantes

 N° 10NT00310   

Inédit au recueil Lebon

3ème Chambre

M. COIFFET, président

M. Laurent POUGET, rapporteur

M. DEGOMMIER, rapporteur public

CASSEL, avocat

lecture du jeudi 12 avril 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 11 février 2010, présentée pour le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS (FGTI), dont le siège est situé 64 rue Defrance à Vincennes (94682), par Me Cassel, avocat au barreau de Paris ; le FGTI demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 08-3667 du 28 décembre 2009 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a limité la responsabilité du centre hospitalier de Bourges à la réparation de la moitié des conséquences dommageables subies par Fabien, Yohann, Sabrina et Davina X à la suite du décès de leur père et mis à la charge de cet établissement la somme de 32 500 euros ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Bourges à lui verser la somme de 65 000 euros, cette somme devant être assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Bourges le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

 Vu le décret n° 87-1005 du 16 décembre 1987 ;

Vu l'arrêté du 14 septembre 2001 relatif à l'organisation des services de garde et à la mise en place du repos de sécurité dans les établissements publics de santé autres que les hôpitaux locaux ;

 Vu le code de la santé publique ;

 Vu le code de procédure pénale ;

 Vu le code de justice administrative ;

 Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

 Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 mars 2012 :

 - le rapport de M. Pouget, premier conseiller ;

 - les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

 - les observations de Me Bernard, substituant Me Cassel, avocat du FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS ;

 - et les observations de Me Demailly, substituant Me Le Prado, avocat du centre hospitalier de Bourges ;

 Considérant qu'à la suite du décès de M. Patrick X, survenu le 18 févier 2002, la cour d'appel de Bourges a condamné à trois mois de prison avec sursis du chef d'homicide involontaire par violation manifeste d'une obligation de sécurité ou de prudence le docteur Z, médecin régulateur du SAMU du Cher, ainsi que le docteur Y, médecin de garde libéral, et a condamné ce dernier à réparer le préjudice moral des enfants de M. X ; que compte tenu de l'insolvabilité du docteur Y, les deux enfants majeurs et l'administrateur des deux enfants mineurs de M. X ont engagé une procédure devant la commission d'indemnisation des victimes d'infractions près le tribunal de grande instance de Bourges afin d'obtenir la réparation effective de leur préjudice moral ; que le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS (FGTI) a ainsi été amené à leur verser à ce titre un montant total d'indemnités de 65 000 euros ; que le FGTI relève appel du jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 28 décembre 2009 qui n'a que partiellement fait droit à sa demande de condamnation du centre hospitalier de Bourges, dont relève le SAMU du Cher, à lui rembourser les sommes ainsi versées, le tribunal ayant limité la responsabilité du centre hospitalier à la réparation de la moitié des conséquences dommageables subies pour tenir compte de la faute commise par le médecin libéral de garde ; que le centre hospitalier de Bourges, par la voie de l'appel incident, demande à être mis totalement hors de cause ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, dans la nuit du 17 au 18 février 2002, M. Patrick X a été victime d'un malaise à son domicile alors qu'il s'y trouvait seul avec son fils Fabien, âgé de 10 ans ; que ce dernier, à la demande de son père, a contacté à 2 heures 49 la permanence téléphonique d'urgence du centre opérationnel départemental d'incendie et de secours (CODIS) et a été mis en relation avec le SAMU ; que le médecin régulateur de ce service, après avoir entendu les explications de M. X lui-même, a tenté sans succès de contacter le médecin libéral de garde afin de réorienter vers lui M. X, puis a demandé à Fabien X de le contacter lui-même au plus vite, avant de mettre fin à la conversation ; qu'en dépit d'un message laissé par l'enfant sur le répondeur téléphonique du médecin de garde, celui-ci ne s'est jamais manifesté ; que devant l'aggravation de l'état de son père, Fabien X a rappelé le CODIS et le SAMU à 4 heures 4 minutes ; que le médecin régulateur a alors dépêché sur place les pompiers puis, compte tenu du bilan de santé de l'intéressé communiqué par ceux-ci, a décidé à 4 heures 23 minutes l'intervention des médecins du SMUR de Cosne-sur-Loire ; que ces derniers constateront le décès de M. X à 5 heures 4 minutes ;

Considérant qu'aux termes de l'article 2 du chapitre premier du décret du 16 décembre 1987 susvisé : " Les SAMU ont pour mission de répondre par des moyens exclusivement médicaux aux situations d'urgence. (...) " ; qu'en vertu de l'article 3 du même décret et pour l'application de l'article 2 : " (...) les SAMU exercent les missions suivantes : 1° Assurer une écoute médicale permanente ; 2° Déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels (...) " ;

Considérant qu'alors même que les informations recueillies au téléphone par le médecin régulateur, en raison notamment de la multiplicité des symptômes évoqués, pouvaient orienter le diagnostic vers des hypothèses non coronariennes, les douleurs simultanées à la tête, au bras et à la poitrine décrites par M. Patrick X lors du premier appel téléphonique ne permettaient pas en tout état de cause d'exclure la possibilité d'un malaise cardio-vasculaire aigu nécessitant une intervention urgente ; que, dans les circonstances de l'espèce, en présence d'une personne potentiellement en état de détresse médicale en seule compagnie d'un enfant de 10 ans et devant la difficulté avérée à joindre le médecin libéral de garde, le médecin régulateur ne pouvait se borner à demander au jeune Fabien X de se mettre en relation lui-même avec le médecin de garde avant de mettre fin à la conversation téléphonique mais devait impérativement, au regard notamment des prescriptions de l'article 2 précité du décret du 16 décembre 1987, déclencher une intervention au domicile de M. X ou, à tout le moins, s'assurer que Fabien X avait pu joindre le médecin de garde ; qu'en ne procédant pas ainsi, le médecin régulateur a commis une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Bourges ; qu'ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la négligence fautive du médecin libéral de garde, qui n'a pas pris toutes les précautions nécessaires pour s'assurer qu'il pouvait être joint durant sa permanence, a également concouru à la réalisation du dommage ; que, toutefois, au regard de l'incidence des fautes respectivement commises par les deux médecins sur la situation de M. X, il y a lieu de considérer que la faute du médecin libéral de garde, dont l'intervention est étrangère aux attributions exercées par les services du SAMU, n'est de nature à exonérer de sa responsabilité le centre hospitalier de Bourges qu'à concurrence de 30 % et de porter en conséquence de 32 500 euros à 45 500 euros avec intérêts au taux légal à compter de la réception de la réclamation préalable du 21 août 2008 le montant de l'indemnité mise à la charge de cet établissement hospitalier ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le FGTI est seulement fondé, dans la mesure précisée ci-dessus, à demander la réformation du jugement attaqué du tribunal administratif d'Orléans en date du 28 décembre 2009 ; que les conclusions en appel incident du centre hospitalier de Bourges doivent être rejetées ;

Sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du

centre hospitalier de Bourges le versement au FGTI de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

 Article 1er : La somme que le centre hospitalier de Bourges a été condamné à verser au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS est portée à 45 500 euros (quarante-cinq mille cinq cents euros), avec intérêts au taux légal à compter de la réception de sa demande du 21 août 2008.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans du 28 décembre 2009 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions en appel incident du centre hospitalier de Bourges sont rejetés.

Article 4 : Le centre hospitalier de Bourges versera au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISMES ET D'AUTRES INFRACTIONS la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D'ACTES DE TERRORISMES ET D'AUTRES INFRACTIONS et au centre hospitalier de Bourges.