Voir pour commentaire : Responsabilité civile et assurances du 1er janvier 2004, pages 24-26 |
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours, enregistré le 15 septembre 1998 sous le n° 98PA03275 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, et le mémoire complémentaire, enregistré le 7 juillet 1999 présentés pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS, par Me FOUSSARD, avocat ; l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 juin 1998 par lequel le tribunal administratif de Paris, à la demande des époux X, a condamné l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à leur verser, avec intérêts au taux légal capitalisés au 9 avril 1997 :
- au titre du préjudice moral, la somme de 120.000 F chacun et les sommes de 50.000 et 30.000 F pour leurs enfants mineurs A et Z,
- au titre du trouble dans les conditions d'existence, la somme de 1.000.000 F et une rente mensuelle de 30.000 F majorée des coefficients de revalorisation prévus à l'article L.431-1 du code de sécurité sociale et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris, avec intérêts au taux légal, la somme de 233.109 F ainsi que les arrérages d'une rente dont le capital représentatif est fixé à 1.889.310,06 F ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif par les époux X ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 juin 2003 :
- le rapport de M. DIDIERJEAN, premier conseiller,
- les observations de Me de la BURGADE, avocat, pour l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS et celles de Me CAPRON, avocat, pour M. et Mme X,
- et les conclusions de M. LAURENT, commissaire du Gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le tribunal administratif, en relevant qu'était constitutif d'une faute médicale le caractère catégorique des informations communiquées à M. et Mme X par le service spécialisé de l'hôpital Saint Vincent de Paul et concluant à l'absence de tout risque de naissance anormale d'un nouvel enfant alors que l'étiologie du syndrome dont souffrait l'enfant précédent était demeurée inconnue, a suffisamment motivé son jugement ;
Sur la responsabilité de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS :
Considérant que Mme X ayant donné naissance en 1985 à un enfant Z atteint d'une encéphalopathie se traduisant par un retard moteur important, une hypotonie et un état comitial, les époux X, souhaitant un nouvel enfant, ont cherché à obtenir des services de l'hôpital (...) l'assurance qu'une nouvelle grossesse ne comporterait aucun risque d'une naissance anormale ; qu'il résulte des pièces du dossier et notamment du rapport d'expertise médicale, que si en l'état des connaissances médicales, l'affection de l'enfant Z pouvait être considérée comme ayant pour cause probable une atteinte cérébrale d'origine anoxo-ischémique acquise et donc non-génétique, l'étiologie du syndrome dont souffrait l'enfant restait néanmoins inconnue ; que par suite, en l'absence de certitudes scientifiques, le caractère catégorique des assurances données aux époux X sur l'absence de risque d'une maladie identique pour un nouvel enfant alors que le diagnostic retenu ne permettait pas d'exclure totalement un tel risque, a constitué une imprudence fautive de nature à engager la responsabilité de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS ;
Considérant que les époux X n'ont envisagé la nouvelle grossesse de Mme X qui a conduit à la naissance de l'enfant Y qui souffre de la même maladie que son frère, qu'après avoir demandé à plusieurs reprises et obtenu des assurances sur l'absence de risques d'une nouvelle naissance ; que les informations qu'ils ont reçues des médecins du service hospitalier étant à l'origine de leur décision de concevoir un nouvel enfant, le lien de cause à effet entre la faute commise par les services médicaux et les préjudices subis par les requérants et leurs enfants paraît établi ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif a déclaré l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS responsable des préjudices subis par les époux X ;
Sur l'évaluation des préjudices :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que l'enfant Y est définitivement atteint de débilité mentale profonde et d'un handicap moteur majeur qui le rendent complètement dépendant pour tous les gestes de la vie courante ;
En ce qui concerne le préjudice moral :
Considérant que le tribunal administratif n'a pas fait une évaluation exagérée du préjudice moral subi par M. et Mme X et leurs enfants en accordant 120.000 F à chacun des deux époux, 50.000 F pour leur fille mineure A et 30.000 F à leur fils mineur Z ;
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice matériel subi par les époux X :
Considérant que les époux X présentent des conclusions incidentes tendant à ce que les préjudices résultant de leurs troubles dans les conditions d'existence et leur préjudice matériel passés et à venir soient évalués sur la base des nouvelles justifications détaillées qu'ils produisent, notamment en ce qui concerne les frais de garde de l'enfant handicapé ;
Sur le droit à indemnisation du préjudice causé par la naissance d'un enfant handicapé :
Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé "La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. Les dispositions du présent I sont applicables aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation. II. Toute personne handicapée a droit, quelle que soit la cause de sa déficience, à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale. III. Le conseil national consultatif des personnes handicapées est chargé, dans des conditions fixées par décret, d'évaluer la situation matérielle, financière et morale des personnes handicapées en France et des personnes handicapées de nationalité française établies hors de France prises en charge au titre de la solidarité nationale, et de présenter toutes les propositions jugées nécessaires au Parlement, visant à assurer, par une programmation pluriannuelle continue, la prise en charge de ces personnes (...)" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées qu'elles s'appliquent à l'indemnisation des handicaps causés par des fautes médicales intervenues pendant la gestation de l'enfant qui en a été victime et qu'elles ne sont pas applicables aux fautes qui ont pour effet, comme c'est le cas en l'espèce, de ne pas permettre aux parents concernés d'éviter la conception d'un enfant handicapé ; qu'il en résulte que les époux X sont fondés à demander l'indemnisation des troubles dans leurs conditions d'existence et des préjudices matériels relatifs aux charges particulières découlant, tout au long de la vie de leur enfant, de son handicap ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le tribunal administratif a fait une évaluation insuffisante des troubles dans les conditions d'existence subies par les époux X ainsi que de leur préjudice matériel ; que ce préjudice doit être évalué, pour la période allant de la naissance de l'enfant au 9 juin 1998 à la somme de 229.000 euros et, à compter de cette date et pendant toute la durée de la vie de l'enfant à une rente mensuelle de 5.800 euros correspondant aux charges particulières, notamment en matière de soins, d'assistance d'une tierce personne et d'éducation spécialisée, non remboursées par la sécurité sociale, rente qui sera majorée par application des coefficients de revalorisation prévus à l'article L.434-1 du code de sécurité sociale ;
Considérant que l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS ne conteste pas l'évaluation par le tribunal administratif du préjudice invoqué par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris ;
Sur les intérêts :
Considérant que M. et Mme X ont droit aux intérêts des indemnités et des arrérages de la rente mentionnés ci-dessus à compter du 17 décembre 1991 ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant que la capitalisation des intérêts demandée une première fois devant le tribunal administratif de Paris le 9 avril 1997 a été demandée à nouveau devant la Cour par les époux X le 20 décembre 1999 ; qu'à cette date il était dû au moins une année d'intérêts sur les indemnités en capital ; que dès lors en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :
Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS à payer aux époux X la somme de 1.500 euros et à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris la somme de 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DECIDE
Article 1er : Le recours de l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est rejeté.
Article 2 : l'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS est condamnée à verser à M. et Mme X la somme de 229.000 euros ainsi qu'une rente mensuelle de 5.800 euros à compter du 9 juin 1998.
Article 3 : Les sommes susmentionnées ainsi que les arrérages de la rente mentionnée à l'article 2 ci-dessus porteront intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 1991.
Article 4 : Les intérêts échus à la date du 20 décembre 1999 des sommes susmentionnées seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 5 : L'ASSISTANCE PUBLIQUE-HOPITAUX DE PARIS versera aux époux X la somme de 1.500 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris la somme de 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions incidentes présentées par les époux X et la caisse primaire d'assurance maladie de Paris est rejeté.
Article 7 : Le jugement du tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.