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Cour administrative d'appel de Paris, 4 novembre 2013 n°11PA01390 (Marchés publics – Attributions – Préjudices - Manque à gagner)

L'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a lancé le 26 mars 2002 un avis d’appel public à la concurrence sous la forme d'un appel d'offres ouvert, pour la passation d'un marché ayant pour objet la fourniture de sacs pour déchets d'activité de soins à risques infectieux mous. Le 10 juin 2002 la société X a été informée du rejet de son offre par décision de la commission d'appel d'offres du 4 juin 2002. Le Tribunal administratif de Paris a annulé cette décision de la commission d'appel d'offres par un jugement du 24 octobre 2006 pour vice de procédure, l'AP-HP n'ayant pas établi avoir convoqué les membres de la commission d'appel d'offres ayant voix consultative. La Société X estimant avoir subi un préjudice du fait des illégalités fautives commises par l'AP-HP a présenté une demande préalable d'indemnisation le 1er juin 2006, qui a été implicitement rejetée. Dans un jugement du 21 janvier 2011 le Tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société X tendant à la condamnation de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) à lui verser la somme de 223 777,88 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la décision fautive de ne pas lui attribuer le marchéau  motif que, si la société avait perdu une chance sérieuse d'emporter le marché litigieux, elle ne justifiait pas de ses préjudices.  La société X fait alors appel de cette décision.La cour administrative d’appel de Paris considère  que « la société X a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, qui doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité, mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu ; que la requérante, qui se borne, comme en première instance, à produire un tableau détaillant une marge brute de 123 777,88 euros, sans préciser la marge nette qu'elle pratique habituellement concernant ce type de fournitures, n'établit pas son manque à gagner ; que, par ailleurs, le préjudice correspondant " à la perte d'une chance d'améliorer sa compétitivité et d'obtenir d'autres marchés ", évalué à 100 000 euros, n'est pas, en tout état de cause, justifié ; que, par suite, les conclusions indemnitaires de la société X ne peuvent qu'être rejetées. »

 

Cour administrative d'appel de Paris

N° 11PA01390   
Inédit au recueil Lebon
6ème Chambre
Mme HERBELIN, président
Mme Virginie LARSONNIER, rapporteur
M. DEWAILLY, rapporteur public
LEVY, avocat

lecture du lundi 4 novembre 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 18 mars 2011, présentée pour la société X, dont le siège est (...), par MeA... ;

La société X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0811596/6-1 en date du 21 janvier 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 223 777,88 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la décision fautive de ne pas lui attribuer un marché de fourniture de sacs pour déchets d'activité de soins à risques infectieux mous ;

2°) de condamner l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 223 777,88 euros en réparation de son préjudice ;

3°) de mettre à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

...................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 octobre 2013 :

- le rapport de Mme Larsonnier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Dewailly, rapporteur public,

- les observations de Me B...de la SCP Seban et Associés, représentant l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ;

1. Considérant que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 26 mars 2002, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris a lancé une consultation, sous la forme d'un appel d'offres ouvert, pour la passation d'un marché ayant pour objet la fourniture de sacs pour déchets d'activité de soins à risques infectieux mous ; que, le 10 juin 2002, la société X a été informée du rejet de son offre ; que, par jugement du 24 octobre 2006, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision de la commission d'appel d'offres du 4 juin 2002 rejetant l'offre de la société X pour vice de procédure, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris n'ayant pas établi avoir convoqué les membres de la commission d'appel d'offres ayant voix consultative, visés par le IV de l'article 22 du code des marchés publics applicable ; qu'estimant avoir subi un préjudice du fait des illégalités fautives commises par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la société X a présenté une demande préalable d'indemnisation le 1er juin 2006, qui a été implicitement rejetée ; que la société X fait appel du jugement du 21 janvier 2011 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande indemnitaire au motif que, si la société avait perdu une chance sérieuse d'emporter le marché litigieux, elle ne justifiait pas de ses préjudices ;

Sur les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris dirigées contre le jugement du Tribunal administratif de Paris du 24 octobre 2006 :

2. Considérant que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris soutient que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a annulé, par jugement du 24 octobre 2006, la décision de la commission d'appel d'offres du 4 juin 2002 rejetant l'offre de la société X pour vice de procédure, et produit devant la Cour les pièces justifiant de la convocation des membres de la commission d'appel d'offres ayant voix consultative, visés par le IV de l'article 22 du code des marchés publics applicable au marché litigieux ; que, toutefois, le jugement du 24 octobre 2006, faute d'avoir été frappé d'appel, est devenu définitif ; que, par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris dirigées contre ce jugement ;

Sur la demande de la société X :

3. Considérant que, lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de celui-ci, il appartient au juge de vérifier d'abord si elle était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit, en principe, au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre ; qu'il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché ; que, dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du règlement de consultation adressé aux candidats du marché en cause, que les offres étaient appréciées en fonction de trois critères, hiérarchisés dans un ordre décroissant : 1°) le dossier technique, 2°) le prix des fournitures et 3°) les délais de livraison ; qu'il ressort du procès-verbal du rapport d'ouverture des secondes enveloppes que les offres des trois candidats ont obtenu la même note au dossier technique ; que, s'agissant du deuxième critère, la société X et la société attributaire du marché ont obtenu la même note, alors que la requérante a présenté l'offre la moins disante, évaluée par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris à 305 812 euros HT, alors que celle de la société Y était évaluée à 322 283 euros HT ; que, concernant le dernier critère, la société X a indiqué un délai de livraison de 8 jours, pouvant être ramené en cas d'urgence à 3 jours, avec un surcoût de 15 euros, alors que la société Y avait indiqué un délai de livraison de 3 jours, pouvant être ramené à un jour, sans que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris ne précise si celui-ci engendrait un surcoût ni en quoi l'offre de la société X devenait la " moins avantageuse économiquement " au regard de ce troisième critère ; que, par ailleurs, les trois critères de sélection ont été affectés de coefficients (3 pour le dossier technique, 2,5 pour le prix des fournitures et 2 pour les délais de livraison), sans que cette pondération ait été préalablement portée à la connaissance des candidats par le règlement de consultation ou par l'avis d'appel d'offres ; que ce manquement, qui, au demeurant, entache substantiellement d'irrégularité la procédure de passation du marché en cause, a affecté la fiabilité des informations transmises aux soumissionnaires et, par là même, le contenu de leurs offres ; qu'enfin, il ressort du procès-verbal que la société X a été classée deuxième ; que, dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société X avait perdu une chance sérieuse d'emporter le marché litigieux ;

5. Considérant que, dans ces conditions, la société X a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner en résultant pour elle, qui doit être déterminé non en fonction du taux de marge brute constaté dans son activité, mais en fonction du bénéfice net que lui aurait procuré le marché si elle l'avait obtenu ; que la requérante, qui se borne, comme en première instance, à produire un tableau détaillant une marge brute de 123 777,88 euros, sans préciser la marge nette qu'elle pratique habituellement concernant ce type de fournitures, n'établit pas son manque à gagner ; que, par ailleurs, le préjudice correspondant " à la perte d'une chance d'améliorer sa compétitivité et d'obtenir d'autres marchés ", évalué à 100 000 euros, n'est pas, en tout état de cause, justifié ; que, par suite, les conclusions indemnitaires de la société X ne peuvent qu'être rejetées ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société X n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société X demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société X le versement de la somme que l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris demande sur le fondement des mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société X est rejetée.
Article 2: Les conclusions de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.