En l'espèce, un médecin avait été condamné à un an d'emprisonnement avec sursis par la Cour d'appel d'Angers le 28 janvier 2010 pour non-dénonciation de mauvais traitements sur personnes vulnérables. La Cour de cassation casse cet arrêt et estime que, contrairement à ce qu'ont déclaré les juges d'appel, le secret médical ne concerne pas uniquement les informations à caractère confidentiel reçues de la personne protégée : "attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que M. X, médecin attaché au pôle gérontologique N, alors qu'il avait eu connaissance à plusieurs reprises d'actes de maltraitance physique et psychologique subis, entre 2001 et le 2 février 2005, par plusieurs pensionnaires dépendants de l'hôpital B., membre du pôle, s'est abstenu de dénoncer ces faits aux autorités judiciaires en invoquant, notamment, le respect du secret médical ; que, pour déclarer le prévenu coupable de non-dénonciation de mauvais traitements infligés à des personnes vulnérables, les juges énoncent que le médecin a choisi de ne pas révéler ces actes alors qu'ils ne pouvaient être couverts par le secret médical, ce dernier ne concernant que des informations à caractère confidentiel reçues de la personne protégée ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs erronés relatifs à la portée du secret médical, et sans rechercher si le prévenu avait reçu l'accord des victimes, condition imposée, pour la levée du secret médical, par l'article 226-14 2° du code pénal, dans sa rédaction applicable à la date des faits, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision".
Cour de cassation, chambre criminelle
Audience publique du mercredi 27 avril 2011
N° de pourvoi: 10-82200
Cassation
Non publié au bulletin
M. Louvel (président), président
SCP Richard, avocat(s)
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
M. Gérard X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 28 janvier 2010, qui, pour non-dénonciation de mauvais traitements sur personnes vulnérables, l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 15 mars 2011 où étaient présents : M. Louvel président, Mme Koering-Joulin conseiller rapporteur, M. Blondet, Mmes Palisse, Guirimand, MM. Beauvais, Guérin, Straehli, Finidori, Monfort conseillers de la chambre, Mmes Divialle, Degorce, conseillers référendaires, M. Maziau conseiller référendaire stagiaire ayant prêté serment ;
Avocat général : M. Robert ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de Mme le conseiller KOERING-JOULIN, les observations de la société civile professionnelle RICHARD, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général ROBERT ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 226-13, 226-14, 434-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le docteur X... coupable de non-dénonciation de mauvais traitements, privations ou atteintes sexuelles infligées à une personne vulnérable, puis l'a condamné à la peine d'un an d'emprisonnement avec sursis ;
" aux motifs qu'il résulte des différents témoignages recueillis que le prévenu, contrairement à ce qu'il soutient, a été informé des faits de maltraitance, a constaté certains faits qui ne pouvaient que le conduire à admettre cette situation et que, délibérément, il a décidé de ne pas les révéler ; que Mme Y..., agent hospitalier, a constaté qu'une employée ne donnait pas à manger aux personnes les plus dépendantes, elle jetait à la poubelle les repas les plus mixés ; qu'elle agissait ainsi surtout le soir, moment où il y avait le moins de monde pour le constater ; que cette même personne menaçait de mettre les patients sous la douche pour les calmer ; qu'elle a vu un autre agent pousser brusquement un patient qui était sourd et non-voyant ; qu'elle a vu un troisième agent soulever brusquement une patiente pour qu'elle quitte l'endroit où elle se trouvait ; que le témoin a déclaré s'être opposé au docteur X... par rapport à la maltraitance, ce dernier lui répondait systématiquement que la maltraitance était uniquement institutionnelle ; que cette réponse a été confirmée par Mme Z..., infirmière ; que Mme A... a vu cette même personne asperger brutalement un patient dans le bain, ce résident criait ; qu'elle a entendu dire qu'un agent donnait des doses de Risperdale supérieures à la prescription pour les calmer ; que Mme B... a témoigné que M. X..., informé du comportement de cette personne, a réuni le personnel et a demandé à ce qu'on lui adresse par écrit les témoignages sur le comportement de celle-ci ; qu'il en a référé à la directrice de l'époque, Mme C..., qui a dit « pas de scandale à l'hôpital local » ; qu'elle a eu une autre occasion d'informer M. X... de ces problèmes, alors que ce dernier avait demandé à la voir pour un problème particulier avec un résident ; que Mme D..., qui a été hospitalisée pendant cinq semaines, a rencontré M. X..., a été l'objet de maltraitance, gestes brusques, mise nue sur une jambe (elle est amputée de l'autre), on lui a fait une rapide toilette sans tenir compte d'une fracture du sacrum ; qu'elle lui a dit que notamment deux des employées étaient méchantes et qu'il devait s'en séparer ; que M. X... a constaté des maltraitances ; que Mme E..., qui a été infirmière d'octobre 2001 à mars 2002, a quitté l'établissement en raison de ce qui s'y passait, a fait la déposition suivante : « le docteur X... savait parfaitement qu'il y avait de la maltraitance. Un jour, une patiente du deuxième étage avait une brûlure à la lèvre provoquée par son alimentation. Il l'a examinée à la demande de la surveillante générale, Mme G... » ; que le prévenu a reconnu devant le magistrat instructeur qu'il avait constaté que des membres du personnel faisaient prendre les repas brutalement alors que, selon lui, les repas sont pour ses patients un soin et doivent être pris à leur rythme ; que ces membres du personnel n'ont pas la fibre ; qu'il avait également remarqué des brûlures pour des repas pris trop chauds, que des patients vomissaient pour avoir mangé trop vite ; qu'il s'est interrogé sur des amaigrissements suspects de résidents qui pouvaient être liés à une mauvaise alimentation ; qu'il a également eu des interrogations sur des patients qui présentaient des ecchymoses, lesquelles pouvaient être liées à des violences ; qu'il n'a pas eu de certitudes sur ces maltraitances ; qu'il a également constaté la trop grande consommation de Risperdale par rapport aux prescriptions ; que face à cette situation, il a prescrit ce sédatif sous forme de comprimé ; qu'une surconsommation pouvait entraîner des troubles cardio-vasculaires ; qu'il estime le nombre de personnes maltraitantes à cinq ou six ; qu'enfin, il a reconnu devant le magistrat instructeur qu'il savait depuis plusieurs années qu'il y avait du personnel maltraitant à l'hôpital local de Bonnetable ; qu'il a expliqué son absence de signalement par la rivalité avec l'hôpital de Sille-le-Guillaume, qu'il considérait mieux traité ; qu'il voulait valoriser les équipes et ne pas faire apparaître que cela n'allait pas ; qu'il admet avoir agi par orgueil et manque de recul ; qu'il résulte de nombreux témoignages que M. X... a choisi de ne pas révéler ; que selon Mme F..., agent administratif, le prévenu et la surveillante générale, Mme G..., qualifiés d'amis intimes, savaient parfaitement que des faits de maltraitance avaient lieu à l'hôpital, mais ils filtraient l'information et lâchaient quelques renseignements aux directeurs, parfois ; qu'il a lui même reconnu, lors de son audition par les enquêteurs et lors de sa mise en examen, qu'il avait eu connaissance dès 1999 d'acte de maltraitance (signalement de certains professionnels le 22 janvier 1999, dont il a été destinataire) ; que cet état de fait lui avait été confirmé par la victime elle-même ; qu'il avait adressé un courrier à la directrice ; que Mme A..., qui a été infirmière à l'hôpital entre 1977 et 2001, a également attesté qu'il ne fallait pas embêter M. X... avec la maltraitance « surtout pas de vague » ; qu'il résulte également du témoignage du docteur H..., médecin chef à la DASS de la Sarthe, que la question de la maltraitance à l'hôpital de Bonnetable a été évoquée au cours d'un comité médical qui s'est tenu le 9 octobre 2001, auquel participait M. X... ; qu'au cours de ce comité, M. X... a conclu son intervention en disant qu'il ne pouvait accepter que cet établissement soit catalogué comme établissement maltraitant ; que le témoin a ressenti que le directeur de l'époque, M. I..., et M. X... étaient très gênés par le signalement parvenu à la DASS ; que M. J..., médecin gériatre, a été contacté par un cadre de santé, Mme K..., en septembre 2001, pour provoquer une réunion sur les actes de maltraitance constatés à l'hôpital de Bonnetable ; qu'à l'issue de cette réunion, le docteur J... a avisé la direction et la DASS ; qu'elle a été contactée par M. X..., qui n'a pas compris cette démarche et lui a demandé si elle voulait détruire l'hôpital, qu'elle aurait dû l'avertir avant toute démarche ; que Mme L..., inspectrice de la DASS, a rédigé suite à ce signalement un rapport ; que le prévenu l'a appelé en criant au téléphone et en lui demandant de changer son rapport ; que l'ensemble de ces éléments démontre que le prévenu savait que des actes de maltraitance étaient commis à l'hôpital, qu'il en a constatés et choisi de ne pas les révéler ; que ces actes ne peuvent être couverts par le secret médical qui concerne des informations à caractère confidentiel reçues de la personne protégée ; que l'élément intentionnel existe manifestement comme il a été démontré dans les motifs sus-exposés ; que la culpabilité sera confirmée ; que M. X... avait d'ailleurs admis cette culpabilité au cours de la procédure ;
" et aux motifs à les supposer adoptés des premiers juges, que M. X... se trouvait donc bien en présence d'une option de conscience, qui lui permettait de choisir en conscience entre la dénonciation et le secret ; que ce dernier n'a pas opté, au moment où la dénonciation devait être effectuée, soit immédiatement après, avoir eu connaissance des mauvais traitements ou, en tout cas, le plus tôt possible, pour le respect de son secret professionnel tout en prenant toutes les dispositions nécessaires pour que les faits de maltraitance cessent ; qu'au contraire, il s'est contenté de taire volontairement les faits de maltraitances dont il avait eu connaissance pour des raisons que le tribunal ne pourra que qualifier de mauvaises et en tout cas éloignées de l'intérêt de ses patients ; qu'ainsi, a-t-il déclaré aux gendarmes le 27 janvier 2005 qu'il « n'avait jamais été le témoin direct d'actes de maltraitance », mais qu'il « était évident que dans ce cas précis, un signalement aurait été immédiatement fait », et plus loin, qu'« il allait de soi que s'il avait eu connaissance de tels actes, sa réaction aurait été immédiate » ; que cependant, lors de son interrogatoire de première comparution, le 2 juin 2005, il a admis qu'il avait été alerté de certains mauvais traitements, avait constaté lui même des brûlures, ecchymoses ou encore une fracture douteuse et qu'il savait que certains personnels étaient maltraitants dans l'établissement depuis plusieurs années, mais qu'il n'avait pas voulu faire de signalement par orgueil et manque de recul ; qu'ainsi, expose-t-il, « j'avais pris très à coeur le développement et l'amélioration de cet établissement dans lequel je me suis beaucoup investi. Il existait une rivalité au sein du pôle gérontologique entre mon hôpital et celui de Sillé-le-Guillaume que j'estimais mieux traité que nous en ce qui concerne les moyens accordés. En fait, je voulais faire apparaître ce qui se passait de bien dans mon établissement, j'avais envie de valoriser mes actions positives et les équipes et je ne voulais pas faire apparaître ce qui n'allait pas. Je pense que j'ai agi par orgueil et par manque de recul. C'est ainsi que j'analyse maintenant les choses et que j'explique mon absence de signalement judiciaire. » ; qu'ainsi la volonté de ne pas révéler de faits de mauvais traitements dans le souci de respecter la vie privé de ses patients et la confiance nécessaire à la relation patient/ médecin était totalement éloignée de la préoccupation de M. X... à l'époque où il devait exercer sa liberté de conscience, son choix de ne pas révéler que l'établissement dont il dirigeait le service médical ne fonctionnait pas aussi bien que son égo le souhaitait ; que M. X... ne peut donc valablement arguer avoir fait jouer son option de conscience ;
" 1°) alors que le secret médical couvre l'ensemble des informations concernant la personne prise en charge, venues à la connaissance du professionnel de santé ; que, sauf lorsque la loi en dispose autrement, le médecin, tenu au secret dans les conditions de l'article 226-13 du code pénal, n'a pas l'obligation d'informer les autorités judiciaires ou administratives de l'existence de mauvais traitements infligés à une personne n'étant pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique, de sorte que son silence n'est pas pénalement répréhensible ; qu'en décidant néanmoins que les actes de maltraitance commis à l'hôpital de Bonnetable, dont le docteur X... aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions de médecin, ne pouvaient être couverts par le secret médical, pour en déduire qu'il aurait dû les dénoncer à une autorité administrative ou judiciaire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors qu'en déclarant M. X... coupable de non-dénonciation de mauvais traitements infligés à une personne vulnérable, au motif inopérant qu'il avait choisi de se taire pour des raisons très éloignées de l'intérêt de ses patients, bien qu'il ait disposé de la libre faculté de révéler ou de ne pas révéler des actes de maltraitance commis sur ses patients, la cour d'appel a exposé sa décision à la censure de la Cour de cassation ;
" 3°) alors que n'est pas pénalement punissable, la personne qui justifie avoir cru, par une erreur de droit qu'elle n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte qui lui est reproché ; que M. X... soutenait qu'il pensait qu'il était en droit de ne pas révéler les actes de maltraitance commis sur des personnes vulnérables, en raison du secret médical dont il était dépositaire ; qu'en se bornant à affirmer que l'élément intentionnel existait manifestement, sans rechercher, comme elle y était invitée, si M. X... avait commis une erreur de droit exonératoire de responsabilité, en s'estimant être autorisé à ne pas dénoncer les faits de maltraitance commis sur ses patients, la cour d'appel a privé sa décision au regard des textes susvisés " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que M. X..., médecin attaché au pôle gérontologique Nord-Sarthe, alors qu'il avait eu connaissance à plusieurs reprises d'actes de maltraitance physique et psychologique subis, entre 2001 et le 2 février 2005, par plusieurs pensionnaires dépendants de l'hôpital de Bonnetable, membre du pôle, s'est abstenu de dénoncer ces faits aux autorités judiciaires en invoquant, notamment, le respect du secret médical ; que, pour déclarer le prévenu coupable de non-dénonciation de mauvais traitements infligés à des personnes vulnérables, les juges énoncent que le médecin a choisi de ne pas révéler ces actes alors qu'ils ne pouvaient être couverts par le secret médical, ce dernier ne concernant que des informations à caractère confidentiel reçues de la personne protégée ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs erronés relatifs à la portée du secret médical, et sans rechercher si le prévenu avait reçu l'accord des victimes, condition imposée, pour la levée du secret médical, par l'article 226-14 2° du code pénal, dans sa rédaction applicable à la date des faits, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'ANGERS, en date du 28 janvier 2010, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept avril deux mille onze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;