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Cour de cassation, première chambre civile, 15 octobre 2014, n° 13-12220 (Soins psychiatriques sans consentement – Décision du représentant de l’État)

En l’espèce, à la suite d’une agression commise sur un voisin en mars 2011, un homme a fait l’objet d’un arrêté préfectoral ordonnant son hospitalisation d’office dans un établissement psychiatrique. Sa prise en charge s’est par la suite poursuivie sous des formes alternées d’hospitalisation complète et de programmes ambulatoires jusqu’à un arrêté préfectoral du 15 novembre 2012, ordonnant, à la demande du médecin dirigeant le service où ces soins ambulatoires étaient dispensées, sa réadmission en hospitalisation complète.

Afin de prononcer la mainlevée de cette mesure dans le délai de vingt-quatre heures pour permettre à l'établissement de mettre en place un programme de soins, l'ordonnance rendue par le premier président de la Cour d’appel relève que si le patient présentait effectivement des troubles mentaux le rendant dangereux pour lui-même et pour autrui et causant un trouble grave à l’ordre public au moment de son admission en soins psychiatriques notamment au regard de son comportement agressif, ces incidents remontaient à plus d’un an. La Cour d’appel considère ainsi que « la dangerosité pour autrui du patient devait s'apprécier au moment de la décision » et relève « qu'il n'est pas établi que le patient aurait, depuis la fin de la précédente mesure d'hospitalisation complète, perpétré quelque fait que ce fût de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter atteinte de façon grave à l'ordre public , ni qu'il présente un danger pour autrui, conformément aux exigences légales ».

Or, la Cour de cassation casse et annule cette ordonnance en précisant « qu'en statuant ainsi, alors qu'une telle circonstance n'excluait pas la nécessité de faire suivre au patient un traitement sous la forme d'une hospitalisation complète, le premier président a méconnu les textes susvisés ».

 

Cour de cassation

chambre civile 1

Audience publique du mercredi 15 octobre 2014

N° de pourvoi: 13-12220
Publié au bulletin Cassation

Mme Batut (président), président
SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat(s)

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu les articles L. 3213-1, L. 3211-2-1 dans sa version applicable en la cause, et L. 3211-11 du code de la santé publique ;

Attendu qu'il résulte de la combinaison de ces textes que, si une personne ne peut être admise ni maintenue en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat, sous la forme d'une hospitalisation complète ou sous une autre forme, qu'à la condition qu'il soit constaté qu'elle souffre de troubles mentaux compromettant la sécurité des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public, les modalités de sa prise en charge peuvent être modifiées, sur proposition du psychiatre qui y participe, pour tenir compte de l'évolution de son état, notamment dans l'hypothèse où la mesure, décidée sous une autre forme que l'hospitalisation complète ne permet plus, du fait du comportement du patient, de lui dispenser les soins adaptés, sans qu'il soit alors nécessaire de constater qu'il a commis de nouveaux actes de nature à compromettre la sécurité des personnes ou à porter atteinte à l'ordre public ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée et les productions, que M. X..., qui avait commis une agression sur un de ses voisins le 26 mars 2011, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral ordonnant son hospitalisation d'office au sein d'un établissement psychiatrique ; que la prise en charge du patient s'est poursuivie sous des formes alternées d'hospitalisation complète et de programmes ambulatoires jusqu'à un arrêté préfectoral du 15 novembre 2012, ordonnant, à la demande du médecin dirigeant le service où ces soins ambulatoires étaient dispensés, sa réadmission en hospitalisation complète ;

Attendu que pour prononcer la mainlevée de cette mesure dans le délai de vingt-quatre heures afin de permettre l'établissement d'un programme de soins, l'ordonnance, rendue à l'occasion du contrôle des mesures d'hospitalisation sous contrainte, constate que, si, lors de sa première hospitalisation sans consentement, faisant suite à l'agression de son voisin, M. X... présentait des troubles mentaux le rendant dangereux pour lui-même et pour autrui et causant un trouble grave à l'ordre public, et s'il s'était montré agressif envers un infirmier, ce qui avait fondé une décision de réadmission en hospitalisation complète le 2 décembre 2011, ces incidents remontaient respectivement à plus de vingt mois et à un an, que la dangerosité pour autrui du patient devait s'apprécier au moment de la décision, que le certificat du 14 novembre 2012 mentionnait que M. X..., depuis la sortie du milieu hospitalier, n'avait pas eu de troubles du comportement de type hétéro-agressivité ; que l'ordonnance ajoute qu'il n'est pas établi que le patient aurait, depuis la fin de la précédente mesure d'hospitalisation complète, perpétré quelque fait que ce fût de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter atteinte de façon grave à l'ordre public , ni qu'il présente un danger pour autrui, conformément aux exigences légales résultant des dispositions de l'article L. 3213-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'une telle circonstance n'excluait pas la nécessité de faire suivre au patient un traitement sous la forme d'une hospitalisation complète, le premier président a méconnu les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 14 décembre 2012, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel d'Amiens ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze octobre deux mille quatorze.

 

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour le préfet du Nord

Le moyen reproche à l'ordonnance attaquée d'avoir ordonné la mainlevée de l'hospitalisation complète de M. X... dans un délai de 24 heures pour permettre l'établissement d'un programme de soins;

AUX MOTIFS QUE

"en application des dispositions de l'article L. 3213-1 du code de la santé publique, le représentant de l'Etat dans le département prononce par arrêté au vu d'un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d'un psychiatre exerçant dans l'établissement d'accueil; l'admission en soins psychiatriques de personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté de personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public.

Il convient de souligner qu'une hospitalisation sous contrainte, décidée par le représentant de l'Etat dans le département est une mesure grandement attentatoire à la liberté individuelle de telle manière que le juge judiciaire doit vérifier scrupuleusement s'il a été satisfait aux exigences légales posées par la disposition précitée notamment s'agissant du fait que la personne concernée est bien atteinte actuellement de troubles mentaux compromettant effectivement la sûreté des personnes ou pourtant atteinte de façon grave à l'ordre public.

Certes, le certificat médical du 26 mars 2011 contemporain de la première hospitalisation sans consentement de M. X... qui faisait suite à une agression sur un voisin, mentionnait notamment que ce patient présentait un délire de persécution hétéro et auto-agressif, et que de tels troubles mentaux le rendaient dangereux pour lui-même et pour autrui et causaient un trouble grave à l'ordre public. Il s'était aussi montré agressif à l'égard d'un infirmier du CMP début décembre 2011 ce qui avait fondé une décision de réadmission en hospitalisation complète du préfet du Nord le 2 décembre 2011.

Il convient toutefois de souligner que ces incidents apparaissent relativement anciens puisqu'ils remontent respectivement à plus de 20 mois et un an. Or, la dangerosité pour autrui du patient doit s'apprécier actuellement, étant entendu que les troubles mentaux de celui-ci peuvent au fil du temps connaître une évolution sensible et rapide.

Il est éminemment symptomatique que le Docteur Y... lui-même, dans son certificat du 14 novembre 2012, mentionne expressément s'agissant de M. X... que : "depuis la sortie du milieu hospitalier il n'a pas eu de troubles du comportement à type hétéro agressivité.

Il ne résulte d'évidence d'aucun élément objectif du dossier que ce patient ait, depuis la fin de la précédente mesure d'hospitalisation complète, perpétré quelque fait que ce soit de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter atteinte de façon grave à l'ordre public.

Il n'est dès lors pas dûment établi que M. X... présente actuellement un danger pour autrui conformément aux exigences légales résultant des dispositions de l'article L. 3213-1-1° alinéa 1er du code de la santé publique.

C'est donc à bon droit que le premier juge a ordonné la mainlevée de l'hospitalisation complète de M. X... étant entendu qu'il n'apparaît pas qu'au cas particulier ce patient souffre de troubles mentaux qui compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public. L'ordonnance querellée sera donc confirmée en toutes ses dispositions" (ordonnance p. 3 et 4),

ET AUX MOTIFS, EVENTUELLEMENT ADOPTES, QU'

"aucun élément figurant dans le dossier ou évoqué lors des débats ne démontre que les trouble mentaux dont souffre Monsieur X... compromettent la sécurité des personnes ou portent atteinte de façon grave à l'ordre public; qu'en conséquence, et sans avoir à examiner les autres moyens développés par la défense, la mainlevée de l'hospitalisation complète de Monsieur X... sera ordonnée avec l'établissement d'un programme de soins" (ordonnance du juge des libertés et de la détention, p. 3),

ALORS, D'UNE PART, QUE lorsqu'une personne fait l'objet de soins psychiatriques non consentis, sous une forme autre que l'hospitalisation complète, c'est-à-dire suivant un programme de soins établi par un psychiatre incluant des soins ambulatoires, pouvant comporter des soins à domicile, dispensés par un établissement mentionné à l'article L. 3222-1 du code de la santé publique et, le cas échéant, des séjours effectués dans un établissement de ce type, cette mesure peut être remplacée par une hospitalisation complète lorsqu'un psychiatre constate que la prise en charge de la personne initialement décidée sous une autre forme ne permet plus, notamment du fait de son comportement, de dispenser les soins nécessaires à son état ; qu'en l'espèce, alors que suivant arrêté du 24 juillet 2012 le Préfet du NORD avait ordonné le suivi psychiatrique sous une forme autre que l'hospitalisation complète à compter du 26 juillet 2012 suivant les modalités définies dans un programme établi par le docteur Z..., le docteur Y... avait établi le 14 novembre 2012 un certificat indiquant que M. X... refusait actuellement le traitement prescrit et que compte-tenu de ses antécédents où l'on retrouvait plusieurs passages à l'acte hétéro agressifs liés à une recrudescence délirante elle-même liée à l'arrêt d'un traitement médicamenteux, il sollicitait la réintégration en milieu hospitalier du patient avec l'aide de forces de l'ordre ; que par arrêté du 15 novembre 2012, le Préfet du NORD avait donc ordonné la poursuite des soins de M. X... sous la forme d'une hospitalisation complète si bien qu'en ordonnant la mainlevée de cette mesure, au motif qu'il ne résultait pas du dossier que ce patient avait, depuis la fin de la précédente mesure d'hospitalisation complète, perpétré quelque fait que ce soit de nature à compromettre la sécurité des personnes ou à porter atteinte de façon grave à l'ordre public, alors qu'elle aurait dû rechercher si le refus du traitement exprimé par M. X... n'était pas, compte-tenu de ses antécédents, de nature à compromettre la sécurité des personnes ou à porter gravement atteinte à l'ordre public et si l'hospitalisation complète n'était donc pas rendue nécessaire par le fait qu'il n'était plus possible de le prendre en charge sous une autre forme, la cour d'appel de DOUAI a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 3213-1, L. 3211-2-1 et L. 3211-11 du code de la santé publique,

ALORS, D'AUTRE PART, QUE si l'hospitalisation complète, à l'initiative du préfet, d'une personne faisant l'objet d'un suivi sous une autre forme ne permettant plus de lui dispenser les soins nécessaires à son état nécessite qu'elle souffre de troubles mentaux compromettant la sécurité des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public, cette mesure ne requiert pas la commission effective de faits de nature compromettre la sureté des personnes ou à porter gravement atteinte à l'ordre public, mais peut se justifier par la nécessité de les éviter en prodiguant à la personne les soins qu'elle doit impérativement recevoir qui ne peuvent plus être administrés sous une autre forme de sorte qu'en ordonnant la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète de M. X..., au motif qu'il ne résultait pas des éléments du dossier qu'il avait perpétré des faits de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter gravement atteinte à l'ordre public, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas et violé les articles L. 3213-1, L. 3211-2-1 et L. 3211-11 du code de la santé publique.