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Le refus de soins (Article L.1111-4 du code de la santé publique)

Le principe d’inviolabilité du corps humain énoncé à l’article 16-3 du code civil a pour effet de subordonner lors d’une situation d’urgence médicale, une intervention sur le corps humain à un consentement libre et éclairé du patient.

Toutefois, ce principe trouve sa limite dans l’obligation qu’a également le médecin de protéger la santé et donc la vie de son patient. Le juge français a dû, à plusieurs reprises, trancher le litige né de la confrontation de ces deux principes.

Le Titre 2 “ Démocratie sanitaire ” de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 consacre les droits de la personne malade et reconnaît au profit du patient un pouvoir de décision concernant sa santé.

Cette question revêt actuellement un grand intérêt face au refus de soins d’un témoin de Jéhovah et ce, tant à la lumière de la jurisprudence administrative que des nouvelles dispositions de la loi du 4 mars 2002.

1. LE REFUS DE SOINS AVANT LA LOI DU 4 MARS 2002

1.1 Arrêt du Conseil d’Etat du 26 octobre 2001, Mme S.

En l’espèce, un patient, hospitalisé à la suite d’une insuffisance rénale aiguë, avait à plusieurs reprises indiqué par écrit puis verbalement qu’en qualité de témoin de Jéhovah, il refusait que lui soient administrés des produits sanguins y compris en l’absence d’alternative thérapeutique.

Malgré la volonté du patient, les médecins ont été amenés à pratiquer des transfusions sanguines en raison de l’apparition d’une grave anémie, faute de thérapeutique alternative. Malgré cette thérapeutique, le patient est décédé.

Ses ayants droits (sa femme et ses enfants mineurs) ont réclamé la réparation du préjudice moral consécutif à la violation du refus de consentement du patient décédé.

Le Tribunal administratif de Paris a le 5 avril 1995 rejeté cette requête. L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 9 juin 1998 est venu confirmer le premier jugement. Les juges d’appel considèrent que l’obligation déontologique du professionnel de santé de protéger la santé de son patient prévaut sur l’obligation légale de respecter la volonté de son patient.

Le Conseil d’Etat a débouté la requérante de son pourvoi tout en réfutant les moyens juridiques sur lesquels reposait la décision des juges d’appel.
Le Conseil d’Etat a en effet estimé que ne commettait pas de faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, le médecin qui transfuse un patient en situation extrême, lorsque le pronostic vital est en jeu et pour lequel les transfusions sanguines représentent le seul choix thérapeutique. Pour autant, le Conseil d’Etat se défend de reconnaître la prévalence de l’obligation déontologique d’un médecin de protéger la santé de son patient sur l’obligation légale de respecter la volonté du patient.

Cette décision a par conséquent eu le mérite de fixer l’état du droit en la matière.

Arrêt du Conseil d’Etat, 26.10.2001, Mme S.

“ (…) Considérant que compte tenu de la situation extrême dans laquelle M. X se trouvait, les médecins qui le soignaient ont choisi, dans le seul but de tenter de le sauver, d’accomplir un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état ; que, dans ces conditions, et quelle que fût par ailleurs leur obligation de respecter sa volonté fondée sur ses convictions religieuses, ils n’ont pas commis de faute de nature à envisager la responsabilité de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (…) ”.

1.2 L’article L.1111-4 du code de la santé publique

1.2.1 Cas de la personne majeure

A première vue, l’article L.1111-4 CSP semble se détacher de la position retenue par le Conseil d’Etat. L’article L.1111-4 CSP consacre en effet la prééminence de la volonté du patient sur la décision médicale, ou tout le moins une nouvelle forme de coopération dans la décision médicale.

L’article L.1111-4 CSP dispose : “Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment (…) ”.

1.2.2 Cas de la personne mineure ou majeure sous tutelle

Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être recherché de manière systématique s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à toute prise de décision concernant sa santé.

S’agissant du refus d’un traitement effectué sur un mineur ou un majeur sous tutelle, l’article L.1111-4 du code de la santé publique dispose :

“ Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ”.

Dans ce cas précis, il n’est donc pas nécessaire de saisir le Parquet ou le Juge des enfants.

L’équipe médicale devra s’efforcer de convaincre le ou les titulaires de l’autorité parentale de l’utilité des soins proposés ainsi que de l’absence d’alternatives thérapeutiques dans le traitement proposé.

A l’appui de ces nouvelles dispositions, deux décisions de jurisprudence ont déjà été rendues.

2. LE REFUS DE SOINS DEPUIS LA LOI DU 4 MARS 2002

Deux solutions jurisprudentielles ont été rendues dans un intervalle de quinze jours :

2.1 Tribunal administratif de Lille, 25 août 2002

Le juge des référés avait été saisi par un couple de témoins de Jéhovah dont l’épouse était hospitalisée dans le service de réanimation du CHR de Valenciennes. L’équipe médicale avait pratiqué une transfusion sanguine à la jeune femme en dépit d’un refus exprimé oralement et par écrit.

Redoutant qu’une seconde transfusion sanguine lui soit administrée, Mme G a saisi le juge des référés afin que ce dernier ordonne au CHR de Valenciennes de ne procéder à aucune nouvelle transfusion contre son gré et à son insu.

Le juge des référés a donné droit à cette requête et considère “ qu’en l’espèce, et alors qu’il n’est pas allégué par le défendeur que le refus de respecter la volonté de la patiente serait rendu nécessaire du fait d’un danger immédiat pour sa vie, l’absence de respect de la volonté de Madame Carole G., personne majeure, par le CHR de Valenciennes constitue une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales ”.

En relevant que rien ne démontrait un danger grave et immédiat pour la patiente – la situation n’aurait pas été la même dans une situation médicale inverse – le juge administratif ne prévoit aucune dérogation à l’interdiction faite au centre hospitalier de Valenciennes de ne procéder à aucune transfusion sanguine.

L’ordonnance s’appuie en effet sur l’article L.1111-4 du code de la santé publique qui invite seulement le médecin “ à tout mettre en œuvre pour la convaincre si son refus met sa vie en danger ”. Et le juge des référés considère que les dispositions de l’article L.1111-4 CSP réglemente le principe de l’inviolabilité du corps humain qui se rattache au principe constitutionnel de la sauvegarde de la personne humaine et de la liberté individuelle. Toutefois, il se réserve la possibilité de donner une solution contraire si le fait de l’urgence médicale avait été établi.

Le Conseil d’Etat maintient ainsi une position d’équilibre au regard de sa jurisprudence antérieure et fait une juste application de la loi du 4 mars 2002.

2.2 Conseil d’Etat, ordonnance du 16 août 2002, affaire F. c/. CHU de Saint-Etienne

Hospitalisée au CHU de Saint-Etienne, le 28 juillet 2002, Madame Valérie F. informe les professionnels de santé de son refus de toute transfusion sanguine. Malgré son refus oral et écrit, elle a subi le 5 août 2002 une transfusion sanguine indispensable à sa survie selon l’équipe médicale.

Madame F. ainsi que sa sœur en qualité de personne de confiance [Cf art. L.1111-6 CSP : “ Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions ”] ont saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon en se fondant sur une atteinte grave à sa liberté individuelle (le principe du respect du consentement aux soins) ainsi qu’à sa liberté de conscience et de religion.

Le Tribunal administratif de Lyon a, le 9 août 2002, ordonné l’interdiction de toute nouvelle transfusion sanguine. Conscient de la situation médicale de la patiente, le Tribunal précise toutefois que cette interdiction cesserait dans une situation médicale extrême mettant en jeu le pronostic vital.

Insatisfait par cette réserve, eu égard à sa pratique religieuse (interdiction de toute transfusion quelles que soient les circonstances médicales), Madame Valérie F. et sa sœur demandent au Conseil d’Etat l’annulation de l’ordonnance du Tribunal administratif.

Le Conseil d’Etat confirme en partie la solution des premiers juges. S’il approuve le Tribunal Administratif dans sa possible dérogation au respect de l’ordonnance lorsque la patiente est dans une situation extrême mettant en jeu son pronostic vital, les hauts magistrats indiquent que les soins doivent être indispensables et proportionnés à la survie du patient.

A ce stade, le Conseil d’Etat confirme avec cet arrêt sa jurisprudence antérieure tout en imposant, comme la loi du 4 mars 2002 l’y invite, aux professionnels de santé de tout mettre en œuvre pour obtenir le consentement du patient au traitement médical.

ANNEXE

Conseil d’état, ordonnance du 16 août 2002

Conseil d’état statuant au contentieux
N° 249552

République française
Mme V. F. et Mme I. F.

Ordonnance du 16 août 2002
Au nom du peuple français, le juge des référés :

(…) Considérant que le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale; que toutefois les médecins ne portent pas à cette liberté fondamentale, telle qu’elle est protégée par les dispositions de l’article 16-3 du code civil et par celles de l’article L. 1111-4 du code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsqu’après avoir tout mis en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de tenter de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état; que le recours, dans de telles conditions, à un acte de cette nature n’est pas non plus manifestement incompatible avec les exigences qui découlent de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment de son article 9 (…) ”.

Commentaire : le Conseil d’Etat se fondant tant sur l’article 16-3 du code civil que sur l’article L.1111-4 du code de la santé publique, énonce que si le consentement préalable à un acte médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale, les professionnels de santé ne portent pas à cette liberté, une atteinte grave et manifestement illégale, si après avoir tout mis en œuvre pour convaincre le patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent un acte indispensable et proportionné à l’état de santé du patient.

Il apparaît que le Conseil d’Etat maintient sa jurisprudence antérieure, qu’il ne considère pas comme incompatible avec les nouvelles dispositions de la loi du 4 mars 2002.

Toutefois, si la faculté de passer outre le refus de soins et de ce fait de porter atteinte aux droits fondamentaux du patient est reconnue, elle est subordonnée à de strictes et cumulatives conditions :

- le médecin doit tout mettre en œuvre pour s’efforcer de convaincre le patient d’accepter les soins indispensables ;
- l’acte médical (en l’espèce une transfusion sanguine) est accompli dans le but de sauver le patient ;
- le patient doit se trouver dans une situation extrême mettant en jeu le pronostic vital ;
- l’acte médical constitue un acte indispensable et proportionné à l’état de santé du patient (absence d’alternatives thérapeutiques).

Pour aller plus loin…

S. PORCHY-SIMON “ Le refus de soins vitaux à l’aune de la loi du 4 mars 2002 ”, Responsabilité civile et assurances, Jurisclasseur décembre 2002, chroniques, p. 4 et s.

A. MERSCH “ le refus de soins devant le Conseil d’Etat ”, Droit administratif, Jurisclasseur juillet 2002, chroniques, p. 5 et s.

C. CLEMENT “ référé liberté fondamentale et refus de soins ”, Petites affiches, 26 mars 2003, n°61, p. 4 et s.