Une procédure de passation d'un marché d'acquisition d'un progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière est annulée par ce jugement, le juge considérant que « l'agence A a méconnu les dispositions de l'article 6-IV du code des marchés publics et que ce manquement est susceptible d'avoir lésé la Société N dès lors que celle-ci (…) subirait un surcoût pour adapter ses produits aux exigences techniques illégales figurant dans le dossier de consultation (…) ». L'article 6-IV du code des marchés publics dispose que « les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d'un mode ou procédé de fabrication particulier ou d'une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu'une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d'éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l'objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l'objet du marché n'est pas possible sans elle et à la condition qu'elle soit accompagnée des termes : "ou équivalent" ».
FAITS ET PROCEDURE
Vu la requête, enregistrée le 10 décembre 2010, présentée pour la société Nexedi par Me Daval, avocat ; la société Nexedi demande au juge des référés statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°/ d’annuler la procédure de passation du marché ayant pour objet l’acquisition d‘un progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière ainsi que les prestations associées lancée par l’Agence de l’eau Artois-Picardie ;
2°/ de condamner l‘Agence de l‘eau Artois-Picardie à lui verser 2000 € au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative ;
La société requérante soutient :



Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2010, présenté pour l’Agence de l’eau Artois-Picardie par Me Jaafar, avocat ; elle conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Nexedi à lui verser la somme de 3500 € au litre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle fait valoir :




Vu le mémoire en réplique, enregistré le 28 décembre 2010, présenté pour la société Nexedi par Me Daval, avocat ; elle conclut aux mêmes fins que par son mémoire initial ;
Elle soutient de façon nouvelle que seule GFI utilise de façon combinée Oracle et Business Objects ;
[…]
DISCUSSION
Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable à l’espèce : « Le président du tribunal administratif ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d’exploitation, ou la délégation d’un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat » ; qu’aux termes de l’article L. 551-2 du même code : « Le juge peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l’exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat sauf s’il estime, en considération de l’ensemble des intérêts susceptibles d’être lésés et notamment de l’intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l’emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations » ; qu’aux termes de l’article L. 551-3 du même code : « Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés. » ; qu’aux termes de l’article L. 551-40 du même code : « Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l’Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. (...) » ;
Considérant que par un avis d’appel public à la concurrence adressé au Journal officiel de l’Union européenne et au Bulletin officiel des annonces des marchés publics le 28 septembre 2010, l’Agence de l’eau Artois-Picardie, agissant en qualité de coordonnateur d’un groupement de commandes réunissant les Agences de l’eau Artois-Picardie, Adour-Garonne et Loire-Bretagne, a lancé une procédure de consultation sous forme d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un marché public ayant pour objet l’acquisition d’un progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière conforme à la réglementation M9.1 ainsi que la réalisation des prestations associées ; que la société Nexedi demande l’annulation de cette procédure ;
Sur la fin de non recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Nexedi
Considérant que la spécialité d’une société suffit à établir son intérêt à conclure un contrat, et par suite d’agir sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative sans qu’elle ait à établir qu’elle a été empêchée d’être candidate ; qu’il n’est pas contesté que la société Nexedi a pour activité la conception, le développement et le déploiement de solutions informatiques de gestion d’entreprises ; que, contrairement à ce que soutient l’Agence de l’eau Artois-Picardie, il ne ressort pas des écritures de la société Nexedi qu’elle aurait indiqué ne pas développer de solutions progicielles respectant la réglementation comptable M49.1 ; que la société Nexedi présente donc un intérêt à conclure le marché envisagé et est par suite recevable à en contester la procédure de passation sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative ;
Sur les conclusions tendant à l’annulation de la procédure et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête
Considérant qu’il appartient au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l‘avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ;
Considérant qu’aux termes de l’article 6 du code des marchés publics : « IV. - Les spécifications techniques ne peuvent pas faire mention d’un mode ou procédé de fabrication particulier ou d’une provenance ou origine déterminée, ni faire référence à une marque, à un brevet ou à un type, dès lors qu’une telle mention ou référence aurait pour effet de favoriser ou d’éliminer certains opérateurs économiques ou certains produits. Toutefois, une telle mention ou référence est possible si elle est justifiée par l’objet du marché ou, à titre exceptionnel, dans le cas où une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’est pas possible sans elle et à la condition qu’elle soit accompagnée des termes : ”ou équivalent”. » ;
Considérant qu’aux termes de l’article 3.0 du cahier des clauses particulières : « (...) Le présent marché comprend : (…) La fourniture d’un Univers BO (Business Objects] sur la plateforme Info-centre de l’Agence » ; qu’aux termes de l’article 3.1.3.2.1 du même document : « (...) Les données du progiciel seront stockées sur une base de données relationnelles Oracle. » ;
Considérant en premier lieu que « Oracle » et « Business Objects » sont des marques sous licence développées par des entreprises ; que si l’Agence de l’eau Artois-Picardie fait valoir qu’elle utilise déjà « Oracle » pour stocker les informations relatives à d’autres domaines de son activité, elle n’établit pas que ce système de gestion de base de données relationnel serait techniquement le seul à permettre le stockage des données générées par le nouveau progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière envisagé, ni que le stockage de ces données sous un système de gestion différent de celui qu’elle utilise déjà pour d’autres informations serait techniquement difficile ; que si l’Agence de l’eau Artois-Picardie fait valoir de la même façon que ses agents sont habitués à utiliser « Business Objects » pour effectuer des requêtes, elle n’établit pas que les logiciels d’informatique décisionnelle développés sous cette marque sont techniquement les seuls à répondre à ses besoins ; que l’exigence d’un stockage des données sous « Oracle » et la fourniture d’un « Univers BO » ne sont donc pas justifiées par l’objet du marché ;
Considérant en second lieu que l‘Agence de l’eau Artois-Picardie n’établit pas ni même ne soutient qu’une description suffisamment précise et intelligible de l’objet du marché n’aurait pas été possible sans référence à ces marques ;
Considérant qu’enfin et en tout état de cause ces références n’étaient pas accompagnées des termes « ou équivalent » ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que l‘Agence de l’eau Artois-Picardie a méconnu les dispositions précitées de l’article 6-IV du code des marchés publics ; que, ce manquement est susceptible d’avoir lésé la société Nexedi dès lors que celle-ci, qui développe des progiciels à partir de logiciels libres, subirait un surcoût pour adapter ses produits aux exigences techniques illégales figurant dans le dossier de consultation ; que l’Agence de l’eau Artois-Picardie a fait valoir lors de l’audience que les prescriptions précitées du cahier des clauses particulières n’étaient pas de nature à empêcher la société Nexedi de soumissionner avec sa propre solution dès lors que la « grille de réponse technique » figurant en annexe 1F de l’acte d’engagement comportait pour chaque prestation attendue une rubrique intitulée « Argumentation et/ou Commentaires et/ou solution alternative » ; que, toutefois, la mention dans cette seule annexe des termes « solution alternative » ne peut être regardée comme ayant autorisé les candidats à déroger aux prescriptions techniques précitées du cahier des clauses particulières compte tenu de la rédaction impérative et sans ambiguïté de ces dernières que la société Nexedi est par suite fondée à demander l’annulation de l’ensemble de la procédure de passation du marché d’acquisition d’un progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière lancée par l’Agence de l’eau Artois-Picardie ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
« Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. II peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation. » ;
Considérant d’une part que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Nexedi, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l‘Agence de l’eau Artois-Picardie demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, par suite, les conclusions de l’Agence de l’eau Artois-Picardie tendant à cette fin ne peuvent qu’être rejetées ;
Considérant d’autre part que, dans les circonstances de l‘espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Agence de l’eau Artois-Picardie la somme de 1200 € au titre des dispositions précitées ;
DECISION
Par ces motifs,
. Ordonne :
Article 1er : La procédure de passation du marché d’acquisition d’un progiciel de gestion budgétaire, comptable et financière lancée par l’Agence de l’eau Artois-Picardie est annulée.
Article 2 : L’Agence de l’eau Artois-Picardie versera à la société Nexedi la somme de 1200 € au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Nexedi et à l’Agence de l’eau Artois-Picardie.
Le tribunal : M. D. Moreau (premier conseiller)