En l'espèce, les ayants droit d'un patient décédé en 1989 demande la réparation de leur préjudice moral pour perte du dossier médical de leur proche par l'établissement de santé, cette perte les ayant privé de connaître les circonstances du décès de leur proche et de la possibilité de faire leur deuil.
Le Tribunal administratif de Paris, tout en énonçant que la perte d'un dossier médical "constitue un manquement de l'établissement à ses obligations relatives à la conservation des archives hospitalières, consitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité" de l'hôpital, rejette la requête dans la mesure où la démarche des demandeurs a été engagée 14 ans après le décès du patient. En l'absence de circonstance personnelle pouvant expliquer le retard important avec lequel ils ont demandé à avoir accès à ce dossier médical, le Tribunal considère que les ayants droit de M. X n'établissent pas de lien direct et certain entre la perte de ce dossier et le préjudice moral invoqué.
TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PARIS
Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 2008, présentée pour Mme M.A G, M. A M, Mme MF M, demeurant tous trois par Me Ouadi ; Mme G et autres demandent au Tribunal :
- de condamner l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser à Mme G et à M. MS une somme de 19 000 euros chacun, et à Mme M une somme de 12 000 euros, assorties des intérêts de droit à compter du 11 juin 2008, date de réception par l'AP-HP de leur demande indemnitaire, en réparation des préjudices résultant pour eux de la perte du dossier médical de leur fils et frère, M. JA G M ;
- de mettre à la charge de l'AP-HP une somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent :
- que la responsabilité pour faute de l'AP-HP est engagée en raison de la perte du dossier médical de leur fils et frère, cette perte constituant un manquement à l'obligation pesant, en vertu des dispositions des articles L. 1111-7, L. 1110-4 et L. 1112-1 du code de la santé publique, sur les établissements de santé, qui leur impose de communiquer le dossier médical lorsqu'une telle demande leur est adressée ; qu'elle traduit, à tout le moins, une négligence constitutive d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service hospitalier ;
- que les requérants ont été privés de la faculté de Connaître les circonstances du décès de leur proche, et ainsi de la possibilité de faire leur deuil ; que Mme M, sœur du défunt, a subi, du fait de l'impossibilité d'obtenir ces informations, une dépression chronique à compter de 2005, qui a nécessité plusieurs hospitalisations et un suivi en psychiatrie ; que la dégradation de son état de santé, en lien direct avec la disparition inexpliquée de son frère, a porté préjudice à son activité professionnelle, ses employeurs successifs ayant été contraints, du fait de ses absences répétées, de mettre fin à ses contrats de travail ; que Mme G et M. M, parents du défunt, sont très affectés moralement par l'impossibilité de faire leur deuil ; qu'il suit de là que doivent leur être octroyées, en réparation de leur préjudice moral, les sommes respectives de 15 000 euros pour Mme G, 15 000 euros pour M. M et 10 000 euros pour Mme M ;
- que du fait de la perte, peut-être délibérée, du dossier médical de leur parent, les requérants ont été privés d'une chance d'engager des actions en responsabilité pour une faute éventuellement commise à l'occasion de l'hospitalisation M. JA G Marques à l'hôpital en 1989, qui avait précédé son décès de quelques jours ; qu'en réparation de ce préjudice, doivent leur être accordées les sommes respectives de 4000 euros pour Mme G, 4 000 euros pour M. M et 2000 euros pour Mme M ;
Vu la mise en demeure adressée le 16 juin 2010 à l'AP-HP, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 août 2010, présenté par l'AP-HP ; celle-ci conclut au rejet de la requête ;
L'AP-HP soutient :
- que l'impossibilité matérielle de communiquer le dossier médical, a fortiori quinze ans après les faits, n'est pas constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité ;
- qu'en ce qui concerne le préjudice moral invoqué par les requérants, ces derniers n'apportent aucune justification au délai de quinze ans qui s'est écoulé avant qu'ils ne demandent à consulter le dossier de leur proche ; qu'au demeurant, les parents du défunt n'ont jamais formulé de demande en ce sens, seule Mme M ayant engagé une telle démarche ; qu'ainsi le moyen tiré de l'existence d'un préjudice moral doit être écarté ;
- qu'il ne ressort aucunement de l'instruction que la perte par l'AP-HP du dossier médical sollicité ait procédé d'une volonté de cacher des documents de nature à révéler l'existence de fautes, volonté qui aurait eu pour objectif de priver les requérants de la possibilité d'engager des actions en responsabilité du fait du décès de leur parent ; qu'ainsi le moyen tiré de l'existence d'un préjudice du fait d'une perte de chance d'indemnisation en raison du décès de M. JA G Marques ne peut qu'être écarté ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 octobre 2010, présenté par Mme M, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et soutient en outre :
- que le courrier qui lui a été adressé par l'AP-HP le 12 février 2004 laisse planer un doute sur la réalité du caractère involontaire de la perte du dossier par l'AP-HP
- que la consultation du dossier médical de leur parent n'est apparue nécessaire qu'en 2003, pour combattre les insinuations malveillantes d'un membre de la famille au sujet des
du décès ;
Vu l'ordonnance en date du 25 octobre 2010 fixant la clôture d'instruction au 9 novembre 2010, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu la demande préalable d'indemnisation ; Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu l'arrêté du Vice-président du Conseil d'Etat du 18 mars 2009 fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 décembre 2010 ;
- le rapport de M. Langrognet, rapporteur,
- les conclusions de M. Fouassier, rapporteur public,
Considérant que M. J A G M, qui avait été admis dans le service de néphrologie de l'hôpital le 18 avril 1989, a rejoint le 17 mai 1989 son domicile, où il est brutalement décédé le 8 juin suivant à l'âge de vingt-huit ans ; que désirant connaître les circonstances de l'hospitalisation ainsi que les causes du décès de son frère, Mme M F M a engagé, à partir de l'année 2003, des démarches auprès de l'hôpital visant à obtenir le dossier médical du défunt ; que par un courrier en date du 20 juillet 2004, la direction de l'hôpital a informé Mme M que les recherches du dossier s'étaient révélées infructueuses ; qu'après avoir tenté d'obtenir, en vain, la communication dudit dossier médical, en saisissant notamment la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA), laquelle, par un avis notifié le 18 mai 2005, a pris acte de ce que l'AP-HP était dans l'impossibilité matérielle de produire ce dossier, M M et ses parents, Mme G et M. M ont demandé la réparation des préjudices par eux subis du fait de la perte du dossier médical de leur parent ; que par une lettre du 16 juillet 2008, l'AP-HP a refusé de faire droit à cette demande ;
Sur la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique : « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats
d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, 'l'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en œuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. [...] En cas de décès du malade, l'accès des ayants droit à son dossier médical s'effectue dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article L. 1110-4. », et qu'aux termes de l'article L. 1110-4 du code du même code : « Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. » ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 7 de l'arrêté interministériel du 11 mars 1968 portant règlement des archives hospitalières : « Les archives hospitalières...et les archives médicales sont conservées au siège de l'établissement [...] »; qu'en vertu du tableau relatif aux délais de conservation des archives médicales qui figure dans cet arrêté, les registres d'entrées et de sorties des malades sont conservés indéfiniment ; que les dossiers médicaux des malades (diagnostics, observations...) sont conservés indéfiniment pour les affections de nature héréditaire susceptibles d'avoir des répercussions pathologiques ou traumatisantes sur la descendance, 70 ans pour la pédiatrie, la neurologie, la stomatologie et les maladies chroniques, et 20 ans dans les autres cas ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées, il appartenait à l'hôpital Tenon, quelle qu'eût été la pathologie dont souffrait M. J A G M et pour laquelle il avait été hospitalisé en 1989, de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la conservation de son dossier médical pendant au moins 20 ans ; qu'en conséquence, alors même que l'administration, dans les circonstances de l'espèce, n'était pas tenue de communiquer un document qu'elle ne détenait pas, la disparition du dossier médical de M. J A G M, dont Mme M a été informée le 20 juillet 2004, constitue un manquement de l'établissement à ses obligations relatives à la conservation des archives hospitalières, constitutif d'une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris ;
Considérant cependant qu'ainsi qu'il résulte des faits relatés ci-dessus, la première démarche en vue d'obtenir le dossier médical du défunt n'a été engagée que quatorze ans après son décès ; que si Mme M, Mme G et M. M soutiennent que celui-ci est survenu dans des circonstances de nature à susciter le doute, et s'ils invoquent la nécessité d'obtenir des précisions sur les causes de la maladie, le traitement et les circonstances du décès de leur parent aux fins notamment de pouvoir accomplir leur travail de deuil, ils ne font état d'aucune circonstance personnelle pouvant expliquer le retard important avec lequel ils ont demandé à consulter le dossier médical litigieux ; qu'ils ne justifient de ce retard que par la nécessité, apparue en 2003, de démentir des insinuations malveillantes répandues par un membre de la famille sur les circonstances du décès de leur fils et frère ; qu'ainsi, l'existence d'un lien direct et certain entre la perte du dossier dont s'agit et le préjudice moral dont ils se prévalent n'est pas établie ; que, s'agissant de la privation d'une chance d'engager des actions en responsabilité sur le fondement d'une faute éventuellement commise à l'occasion de l'hospitalisation de leur proche en 1989, les requérants, qui indiquent ignorer jusqu'à la nature de la pathologie dont soufflait le défunt, n'apportent pas le moindre commencement de preuve ni le moindre indice précis permettant de supposer, à défaut de pouvoir l'établir, l'existence d'un tel préjudice ;
Considérant qu'il, résulte de ce qui précède que la responsabilité de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris n'est pas engagée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, qui n'est pas la partie perdante, la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE:
Article ler : La requête susvisée de Mme G, de M. M et de Mme M est rejetée
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme M G, à M. A M, à Mme M F M et à l'Assistance publique-hôpitaux de Paris.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2010, à laquelle siégeaient :
Mme de Segonzac, président, Mme Portes, premier conseiller, M. Langrognet, conseiller.
Lu en audience publique le 17 décembre 2010.La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi et de la santé en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.