En l'espèce, un médecin est condamné pour faute dans l'annonce d'un pronostic grave et erroné. Le Tribunal déclare que "l'erreur avérée de diagnostic, mais surtout son annonce comme étant le seul possible, sous une forme écrite dénuée d'alternative : "conclusion : maladie de Crohn colique droite et ileale en pleine poussée", sans précaution au moins langagière, constitue donc une faute à l'origine d'un choc indéniable sur une personne équilibrée". Il ajoute plus précisément, et c'est ce qu'il est intéressant de retenir, que "même si le diagnostic du Docteur X avait été juste, il aurait dû être annoncé avec des précautions d'autant plus grandes que l'état psychologique de la patiente était déjà incontestablement affaibli. Dans de telles conditions le code de déontologie autorise et même prescrit de n'informer le malade qu'avec d'infinies précautions, et au besoin de ne transmettre le diagnostic qu'à un proche" |
Tribunal de grande instance d’Aix en Provence
3ème Chambre, 2ème section
Jugement du 22 juin 2009
Vu l'assignation des 24 décembre 2002 et 24 mars 2004;
Vu le jugement avant dire droit du 6 janvier 2005 qui a ordonné une expertise médicale ;
Vu l'ordonnance de changement d'expert en date du 10 février 2005;
Vu le rapport du … en date du 28 novembre 2006;
Vu les conclusions de … en date du 14 septembre 2007;
Vu les conclusions de … en date du 19 novembre 2007;
Vu les conclusions de la … en date du 18
janvier 2008;
Vu les conclusions de la CPAM en date du 21 décembre 2007;
Vu l'ordonnance de clôture du 18 avril 2008;
ELEMENTS DU LITIGE:
A la suite d'une hospitalisation le 17 novembre 2000 au Centre Hospitalier Privé … en raison de violentes douleurs abdominales , … réalisa sur … le 21 novembre une coloscopie qui mettait selon lui en évidence des lésions ulcéreuses massives, un aspect congestif de la muqueuse « recouverte d'un enduit névrotique témoin d'une maladie de Crohn en pleine poussée ».
… Centre Hospitalier le 1er décembre et consultait le … les 7 décembre 2000 et 2 janvier 2001, puis un autre praticien le 10 janvier 2001, qui préconisait son hospitalisation immédiate à …
… restait hospitalisé jusqu’au 1er février, et une coloscopie réalisée par le … le 8 mars 2001 se révélait strictement normale.
Soutenant que l'annonce d'une maladie aussi grave que la maladie de Crohn lui a causé un traumatisme à l'origine d'une dégradation importante de son état psychique et de l'impossibilité de reprendre son travail d'une part; que d'autre part la prise en compte de sa douleur au moment de son hospitalisation au Centre Hospitalier … n'a pas été suffisante, … a saisi le tribunal de demandes tendant à la condamnation du Dr … et du Centre Hospitalier au paiement d'une somme de 80 000 euros à titre de dommages intérêts.
Par jugement du 6 janvier 2005 le tribunal a, avant dire droit, ordonné une expertise médicale.
Après expertise … reprend ses demandes antérieures et sollicite, au visa de la loi du 4 mars 2002 et de l'article 1147 du code civil, la condamnation du … et du Centre Hospitalier au paiement d'une somme de 80 000 euros à titre de dommages intérêts ainsi qu'une somme de 2500 euros au titre de ses frais irrépétibles.
A titre subsidiaire … sollicite une contre expertise.
Le Dr. … soutient que l’erreur de diagnostique constatée a postériori n’a eu aucune incidence sur l’état de Mme … et qu’elle a bénéficié de soins efficaces à l’origine de sa guérison.
Il conclut au rejet de toutes les demandes et sollicite une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du NCPC.
Le Centre Hospitalier Privé … soutient que les conclusions de l'expert et de son sapiteur ne mettent en évidence aucune faute du praticien, dont il ne pourrait répondre si elle existait, ni un défaut de soins ou d'organisation lors de son hospitalisation. Il conclut également au rejet des demandes et sollicite une somme de 8000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive, et celle de 3000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
La CPAM indique qu'elle ne formule aucune demande.
MOTIFS DE LA DECISION:
La maladie de Crohn devait être évoquée selon l’expert à titre principal compte tenu des symptômes, et son évocation ne peut donc être retenue comme fautive.
Il résulte cependant des constatations et conclusions de l’expert que ce diagnostic, le plus pessimiste, n'était pas le seul envisageable et qu’une autre hypothèse, celle qui s'est réalisée, était envisageable dès l'origine, et non pas seulement a posteriori comme le soutien le … L’expert note en effet, en page 9, de son rapport, que « l’âge de la patiente, les symptômes, pourraient orienter vers une maladie inflammatoire de l’intestin confirmée par une endoscopie ». l’expert ne dit pas que le diagnostic le plus grave était le seul envisageable, et par définition il ne l’était pas puisqu’il n’a pas été confirmé par la suite.
L'inquiétude ainsi provoquée inutilement s'est prolongée jusqu'au mois de mars 2001, date à laquelle une coloscopie a montré une restitution ad integrum du colon.
L'erreur avérée de diagnostic mais surtout son annonce comme étant le seul possible, sous une forme écrite dénuée d'alternative : « conclusion: maladie de Crohn colique droite et ileale en pleine poussée », sans précaution au moins langagière, constitue donc une faute à l'origine d'un choc indéniable sur une personne normalement équilibrée.
En vertu du code de déontologie médicale le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose.
Tout au long de la maladie, il tient compte également de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension.
Par ailleurs le médecin doit tenir compte de la maladie et de son pronostic (un médecin n'informe pas dans les mêmes conditions pour une angine banale ou pour un cancer bronchique généralisé) .
Compte tenu de la personnalité de … l’affirmation sans nuance ni réserve dans l'annonce d'un diagnostic au pronostic grave a pu avoir des conséquences indues.
L'expert rappelle en effet , en page 9 de son rapport, que « tout au long de l'hospitalisation il existait un état nerveux et psychiatrique qui avait alerté l’attention de l’ensemble des médecins ayant à prescrire des consultations spécialisées, et surtout un traitement médicamenteux pour traiter un syndrome dépressif.
Ainsi, même si le diagnostic du … avait été juste, il aurait dû être annoncé avec des précautions d'autant plus grandes que l'état psychologique de la patiente était déjà incontestablement affaibli. Dans de telles conditions le code de déontologie autorise et même prescrit de n’informer le malade qu’avec d’infinies précautions, et au besoin de ne transmettre le diagnostic qu’à un proche.
Le … expert psychiatre sapiteur, a noté que les réactions psychologiques de … à l’annonce du diagnostic tiennent essentiellement à sa pathologie psychiatrique ; qu'elles sont liées à une décompensation organique aigue sur un terrain prédisposé et particulièrement fragile et dans une situation de vie très délicate.
Il résulte de cet ensemble d'éléments que la faute commise par le … dans l'annonce d'un diagnostic grave et erroné est à l'origine seulement partielle des conséquences psychologiques de cette annonce, pendant une durée de trois mois, dans une proportion que le tribunal estime à 30%.
Il échet d'allouer à ce titre une somme de 4000 euros en réparation du préjudice subi.
Aucune faute n'est établie dans la prise en charge de Mme … par le Centre Hospitalier Privé ... L'expert indique que la prise en charge de … au centre hospitalier a été consciencieuse et attentive; qu'elle a bénéficié de soins qualifiés et donnés dans un délai normal.
Les demandes à son encontre seront rejetées.
L'abus de procédure n'est pas caractérisé en l'espèce, et la demande de dommages intérêts à ce titre sera rejetée.
Il apparaît équitable de laisser à la … la charge de ses frais irrépétibles, et d'allouer à Mme … une somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Les dépens suivront le sort fixé par l'article 696 du nouveau code de procédure civile et seront mis à la charge de M …
Enfin l'exécution provisoire, compatible avec la nature de la décision, sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS,
Le tribunal,
Statuant publiquement, par décision contradictoire, et en premier ressort,
Met hors de cause la …
Condamne … à verser à Mme … une somme de 4000 euros (quatre mille euros) en réparation du préjudice résultant de l’annonce sans réserve d’un diagnostic grave et erroné.
Condamne … à verser à Mme … une somme de 1500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Condamne … au dépens, distraits au profit de la …
Ordonne l’exécution provisoire,
Ainsi jugé par la troisième chambre du tribunal de grande instance d’Aix en Provence le 22 juin 2009.