Un groupement de coopération sanitaire est constitué en 2008 entre un centre hospitalier public et un établissement de soins privé. Dans le cadre de cette coopération, un groupe unique d’anesthésistes – réanimateurs a notamment été mis en place. Le 9 juin 2011, Mme X a subi une intervention chirurgicale au sein de l’établissement de soins privé, réalisée par un médecin anesthésiste dont l’employeur est l’établissement de santé public. S’estimant victime d’un dommage, Mme X a saisi d’une demande d’expertise le juge des référés du TGI des Sables d’Olonne. Par une ordonnance du 2 décembre 2013, ce dernier s’est déclaré incompétent. Mme X a alors saisi de la même demande le juge des référés du Tribunal administratif de Nantes. Celui-ci estimant que cette demande relevait de la compétence du juge judiciaire, demande au Tribunal des conflits de trancher. Le Tribunal des conflits considère que dans un tel cas, un patient peut saisir aussi bien le juge des référés du tribunal de grande instance que celui du tribunal administratif d’une demande d’expertise. |
Tribunal des Conflits
N° C3951
M. Arrighi de Casanova, président
M. Alain Ménéménis, rapporteur
M. Desportes, commissaire du gouvernement
lecture du lundi 7 juillet 2014
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistrée à son secrétariat le 6 février 2014, l'expédition de l'ordonnance du 3 février 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi d'une demande de Mme X. tendant à la désignation d'un expert médical chargé de l'examiner en vue de déterminer les préjudices qu'elle estime avoir subis à la suite de l'intervention chirurgicale effectuée le 9 juin 2011 à la clinique A. , a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié, le soin de décider sur la question de compétence ;
Vu l'ordonnance du 2 décembre 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal de grande instance des Sables d'Olonne s'est déclaré incompétent pour connaître de la même demande ;
Vu, enregistrées le 1er avril 2014, les observations présentées pour Mme X. tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente et à ce que soit mise à la charge du docteur Y. et du centre hospitalier B. la somme de 3000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, par le motif que, dès lors qu'elle a été opérée dans une clinique privée, les actes d'anesthésie pratiqués par le docteur Y. doivent être regardés comme effectués dans le cadre d'une relation de droit privé ;
Vu le mémoire du ministre des affaires sociales et de la santé, enregistré le 22 mai 2014, tendant à ce que la juridiction judiciaire soit déclarée compétente, par le motif que Mme X. était liée à la clinique par un contrat de droit privé et que le docteur Y. était le préposé de celle-ci ;
Vu le mémoire du centre hospitalier B. , enregistré le 3 juin 2014, par lequel le centre hospitalier déclare s'en remettre à la sagesse du Tribunal ;
Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal des conflits a été notifiée aux autres parties, qui n'ont pas produit de mémoire ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Alain Ménéménis, membre du Tribunal,
- les observations de la SCP Boré et Salve de Bruneton pour MmeX. ,
- les conclusions de M. Frédéric Desportes, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par une convention conclue en 2008, modifiée notamment par un avenant du 21 octobre 2010, le centre hospitalier B. , établissement public hospitalier, et la clinique chirurgicale A., établissement de soins privé, ont constitué un groupement de coopération sanitaire, en application des dispositions des articles L.6133-1 et suivants et R.6133-1 et suivants du code de la santé publique ; qu'un groupe unique d'anesthésistes-réanimateurs a notamment été mis en place ; que, dans ce cadre, jusqu'au second semestre 2011, les anesthésistes-réanimateurs, praticiens hospitaliers à plein temps, ont été autorisés à effectuer des actes au sein de la clinique, le centre hospitalier les rémunérant et refacturant le coût de leurs prestations à la clinique ; que l'article 4.5 de la convention constitutive modifiée prévoit, d'une part, que la clinique est responsable envers les patients qui y sont admis des dommages causés par ses personnels, par des dysfonctionnements des moyens matériels ou encore par un défaut dans l'organisation, d'autre part, que " le centre hospitalier conserve la responsabilité qui lui incombe en raison de l'activité des praticiens hospitaliers et des personnels non médicaux qui interviennent au bénéfice des patients de la clinique " ;
Considérant que Mme X. a subi une intervention chirurgicale le 9 juin 2011, réalisée au sein de la clinique A. avec l'assistance d'un médecin-anesthésiste, praticien hospitalier à plein temps mis à la disposition de la clinique en application de la convention mentionnée ci-dessus ; que, s'estimant victime d'un dommage causé par une faute de son anesthésiste, elle a, par actes délivrés les 1er et 2 octobre à celui-ci et à la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Vendée, demandé au juge des référés du tribunal de grande instance des Sables d'Olonne d'ordonner une expertise ; que, par une ordonnance du 2 décembre 2013, ce juge s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande dont il était saisi ; que Mme X. a alors saisi d'une demande identique le juge des référés du tribunal administratif de Nantes ; qu'après avoir communiqué la demande au centre hospitalier B. et à la CPAM, ce juge, estimant que cette demande relevait de la compétence du juge judiciaire, a renvoyé au Tribunal le soin de décider sur la question de compétence en application de l'article 34 du décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Considérant que lorsqu'une demande ne tend qu'à voir ordonner une mesure d'instruction et que le litige est susceptible de relever, fût-ce pour partie, de l'ordre de juridiction devant lequel cette demande a été présentée, le juge des référés se trouve valablement saisi de celle-ci ;
Considérant, d'une part, que les fautes commises par un praticien hospitalier à l'occasion d'actes accomplis dans le cadre du service public hospitalier engagent en principe la seule responsabilité du centre hospitalier dont relève ce praticien, qu'il appartient au patient de poursuivre devant la juridiction administrative ;
Considérant, d'autre part, que le patient qui entend obtenir réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi à l'occasion de soins réalisés dans un établissement de soins privé auquel le lie un contrat de soins et d'hospitalisation incluant, en l'absence d'activité libérale du praticien qui les prodigue, les soins médicaux, est en droit de rechercher devant le juge judiciaire la responsabilité de cet établissement ; qu'il est par ailleurs loisible au patient de rechercher, devant le juge judiciaire, la responsabilité d'un médecin à raison des actes médicaux accomplis, à titre de praticien libéral, au sein de la clinique ;
Considérant que lorsqu'un praticien hospitalier accomplit des actes médicaux au sein d'un établissement de soins privé dans les conditions qui ont été analysées ci-dessus, en application d'une convention telle que celle qui a été mentionnée, il doit être regardé comme exerçant en qualité d'agent du service public hospitalier ; que si le patient qui estime avoir subi un préjudice à l'occasion des soins qui lui ont été prodigués par ce praticien est susceptible de poursuivre la responsabilité du centre hospitalier dont celui-ci dépend devant la juridiction administrative, il peut aussi rechercher devant la juridiction judiciaire la responsabilité de l'établissement de soins privé au sein duquel il a été soigné et avec lequel il a conclu un contrat de soins et d'hospitalisation de droit privé ; que, dans la cadre d'une telle action, et sans préjudice de l'action qu'il peut lui-même engager contre le centre hospitalier, l'établissement privé peut être déclaré responsable aussi bien des fautes commises par lui-même et par ses préposés que par le praticien ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que si le juge des référés du tribunal de grande instance des Sables d'Olonne était valablement saisi de la demande d'expertise présentée par Mme X. , le juge des référés du tribunal administratif de Nantes ne pouvait davantage décliner sa compétence et renvoyer au Tribunal la question de compétence ;
Considérant qu'il n'y pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande présentée par Mme X. au titre des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
Article 1er : La juridiction de l'ordre administratif est compétente pour connaître de la demande d'expertise de Mme X. .
Article 2 : L'ordonnance du 3 février 2014 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a décliné sa compétence est déclarée nulle et non avenue.
Article 3 : La cause et les parties sont renvoyées devant ce tribunal.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme X. au titre des dispositions de l'article 75 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme X. , au docteur Y., au centre hospitalier B., à la clinique A., à la Caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée et au garde des sceaux, ministre de la justice.