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Avis du CCNE n° 89 du 22 septembre 2005 à propos de la conservation des corps des fœtus et enfants mort-nés, en réponse à la saisine du Premier Ministre

Plan

Introduction
1- Historiques
2- La situation juridique
A - Avant la loi du 6 août 2004
B - Le régime juridique de la loi du 6 août 2004 traite des prélèvements destinés à la recherche dans le cas de l'interruption de grossesse
3- Les bonnes pratiques scientifiques issues de réflexions professionnelles consensuelles
4- Problèmes particuliers
I - Les prélèvements
II - Le délai
III - L'organisation

5- Aspects éthiques et anthropologiques
6- Le Comité propose les recommandations suivantes
Conclusion

Membres du groupe de travail :
Mmes : Chantal Deschamps
Pascale Cossart
Jacqueline Mandelbaum

MM. : Jean-Claude Ameisen
Jean-Paul Caverni
Olivier de Dinechin
Pierre Le Coz
Philippe Rouvillois
Michel Roux
Maxime Seligmann
Mario Stasi
Claude Sureau

Le Premier Ministre a saisi le CCNE le 2 août 2005 en lui demandant de " porter une appréciation sur les règles qui enserrent les modalités de prise en charge des corps des fœtus et des enfants décédés dans la période périnatale, à la lumière des principes éthiques et des éléments d'ordre juridique et scientifique à prendre en considération ".

Le regard porté sur le fœtus a considérablement changé depuis les années 70. Cette mutation est due pour une part au progrès des techniques d'Assistance Médicale à la Procréation mais aussi et surtout aux progrès des images fœtales obtenues grâce à l'échographie et à l'IRM, aux progrès des diagnostics de maladies génétiques, chromosomiques ou infectieuses et aux progrès de la réanimation des prématurés. Les différentes étapes du développement sont de plus en plus visibles. Le fœtus est ainsi devenu, du fait notamment de ces progrès, un être reconnu avant sa naissance voire nommé, étant parfois même un " patient " individualisé. Sa naissance est un aboutissement plus que le début d'une existence.

On conçoit que la fœtopathologie, ou plus largement la fœtologie, ait peu à peu acquis une place importante, même si l'Université et les instances hospitalières n'ont pas encore fait droit à la reconnaissance que devrait avoir cette spécialité.

Les progrès de cette reconnaissance du fœtus ont mobilisé à maintes reprises, le droit et le législateur, sollicités par certains, pour lui donner un statut juridique et ainsi pouvoir répondre de cette situation nouvelle. Le droit et le législateur s'y sont toujours refusés, et le CCNE n'abordera pas dans le présent avis une réflexion sur ce statut, même s'il perçoit les interrogations de la société sur les contradictions suscitées par l'existence du " projet parental ", donnant aux parents dans les limites de la loi toute liberté pour la mise en route d'une conception ou son arrêt d'une part, et l'existence en elle-même d'un être à venir d'autre part.

Si les opinions en France demeurent controversées s'agissant du statut que l'on devrait ou non accorder au fœtus , en revanche il ne fait aucun doute aux yeux de tous que l'enfant né vivant, fut ce une seconde, est une personne. Avant sa naissance, il n'est pas une personne. Cette frontière radicale au plan du droit ne justifie pas évidemment une attitude binaire de respect absolu dans un cas et de respect relatif dans un autre, d'autant que cette frontière peut correspondre à des âges chronologiques différents : une naissance prématurée suffit à transformer soudain un fœtus en nouveau-né. Le droit a son formalisme mais le regard porté sur le fœtus, reconnaissant son origine humaine, impose le respect. Ceci implique pour les soignants de prendre en compte le corps de ce fœtus ou de cet enfant mort né.

Ce respect s'est traduit depuis plus de 10 ans pour les familles par un certain nombre de pratiques professionnelles encadrées et d'accompagnement des fœtus morts in utero ou mort-nés. La recherche des causes de la mort à des fins diagnostiques et scientifiques toujours essentielles pour comprendre le décès et éventuellement prévenir une nouvelle pathologie fœtale lors d'une grossesse ultérieure, ne peut justifier des mesures de conservation systématique du corps, d'autant plus que les familles peuvent souhaiter procéder à des conduites et gestes rituels d'incinération ou d'inhumation adaptées à la souffrance qu'elles éprouvent lors de la perte de ce fœtus ou de cet enfant.

C'est dans ce contexte que la découverte d'un nombre important de fœtus et de mort-nés (plus de 300) dans la chambre mortuaire d'un hôpital parisien, a suscité une émotion et des interrogations sur l'adéquation entre ces nouvelles exigences de respect et la réalité

1- Historique

Longtemps la mort fœtale in utero ou au moment de la naissance était, le plus souvent, entourée de silence, le fœtus caché à la mère et les rituels funéraires absents. Cette attitude était souvent associée, en particulier durant le 19ème siècle, et au début du 20ème siècle, à un intérêt médical, et à une forme de fascination de la médecine et de la société pour les " musées " et les " collections " préservant des fœtus présentant des anomalies morphologiques majeures Peu à peu, depuis les années 1980, la prise de conscience s'est faite de la difficulté pour les parents, et en particulier la mère, d'un travail de deuil dans ces conditions d'escamotage du fœtus, avec le risque de séquelles psychiques graves. Des psychiatres et des obstétriciens ont commencé alors à accompagner les parents pour que cet enfant mort soit reconnu, accueilli, vu, avant d'être enseveli ou incinéré. Des responsables religieux ou d'aumôneries se sont également rendus présents à ces situations et attentifs aux demandes rituelles qui y sont parfois exprimées. Il est donc difficile de rapprocher la situation contemporaine des situations antérieures, qui n'avaient jamais fait l'objet d'une attention particulière.

On peut ainsi noter une évolution importante depuis ces 20 dernières années. En effet, auparavant, la relative indifférence de la société à l'égard du devenir du foetus ou du nouveau-né mort accidentellement s'accompagnait d'une absence de maîtrise des parents sur la décision de conception de l'embryon et de son devenir, car il n'existait pas de méthode fiable et autorisée de contraception et parce que l'interruption volontaire de grossesse était interdite. La contraception et l'interruption volontaire de grossesse ont renforcé la notion d'enfant désiré et de " projet parental ". Cette dimension nouvelle a eu pour conséquence de renforcer, pour les familles, l'investissement affectif et la représentation de l'enfant avant sa naissance, et ce d'autant que l'imagerie médicale a permis de concrétiser cette représentation. Il est compréhensible que, dans un tel contexte, la mort prématurée du fœtus ou du nouveau-né, à la source d'un désarroi et d'une souffrance croissants, fasse parfois l'objet de demandes de pratiques de deuil nouvelles.

2- La situation juridique

I - Une première distinction a été opérée entre les fœtus vivants ou mort-nés, ou enfants décédés avant une déclaration de naissance d'une part, et les enfants décédés après avoir vécu et été inscrits sur les registres de l'état civil d'autre part.

Pour ces derniers, le statut de personne (mineure) est applicable, et le régime général du consentement en matière de don et d'utilisation des éléments et produits du corps humain, tel qu'il est défini par les lois de 1994 et 2004, est ici applicable.

II - Pour les dispositions juridiques relatives au prélèvement ou à la conservation de tissus ou d'éléments embryonnaires ou fœtaux, il faut distinguer entre la situation avant 2004, et le régime instauré par la loi du 6 août 2004 : Cependant les deux régimes ont des champs d'application distincts mais qui coexistent.

A - Avant la loi du 6 août 2004 :

Les textes applicables sont :
- la loi du 8 janvier 1993
- la circulaire du 22 juillet 1993
- la circulaire du 30 novembre 2001

Ils traitent 1- des actes d'état civil
2- du devenir des corps

- La loi du 8 janvier 1993 reprise de l'article 79-1 du code civil détermine le régime juridique applicable dans le cas où un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l'état civil. Dans cette hypothèse, il est prévu que l'officier d'état civil établisse un acte de naissance, puis un acte de décès délivré au vu d'un certificat attestant que l'enfant est né vivant et viable.
A défaut de ce certificat, l'officier d'état civil délivrera un acte d'enfant sans vie (qui n'est pas un acte d'état civil au sens propre du terme mais " établi " à l'état civil), qui couvre les cas où l'enfant est vivant et non viable, ou mort né.

Dès lors, une précision des critères de viabilité s'impose. Elle sera effectuée par la circulaire du 23 juillet 1993. Cette circulaire (plus spécifiquement destinée aux officiers d'état civil), en référence aux critères de l'OMS, détermine comme limites basses, la durée de gestation de 22 semaines, ou le poids de 500g.
Reprenant les critères énoncés ci-dessus, la circulaire du 30 novembre 2001 (plus spécifiquement destinée aux établissements de santé), en tire les conséquences quant au devenir des corps.

Deux grandes catégories sont à distinguer selon que l'on se trouve en présence de l'établissement d'un acte de l'état civil, quel qu'il soit, ou en l'absence d'un tel acte.

- acte d'état civil d'un enfant né vivant et viable, et mort après la naissance.

Il comporte un acte de naissance puis un acte de décès avec inscription sur le livret de famille ;

Le transport du corps est réglementé.

L'inhumation ou la crémation sont obligatoires, à la charge de la famille.

- acte " d'enfant sans vie ", mort né ou né vivant mais non viable

L'inhumation ou la crémation sont soit à la charge de la famille, soit, en cas de difficultés matérielles, à la charge de l'hôpital, mais elles ne sont pas obligatoires. En l'absence d'informations, l'incinération est obligatoire et à la charge de l'établissement hospitalier. Il n'y a pas d'inscription sur le livret de famille à la place habituelle de l'enfant, mais éventuellement à la partie basse du livret si les parents le demandent.

- en l'absence d'acte d'état civil, ce qui est le cas des fœtus de moins de 22 semaines ou de moins de 500 g, en conformité avec les textes européens, les corps sont incinérés. L'incinération est à la charge de l'hôpital, sauf dans les cas où les communes acceptent de recevoir les corps des fœtus dans les cimetières.

Dans les deux dernières situations (b et c) l'établissement de santé est tenu d'informer les familles des différentes possibilités, et s'il n'obtient pas de réponse de la part de la famille dans un délai de 10 jours, il procède à l'inhumation ou à l'incinération.

B - Le régime juridique de la loi du 6 août 2004 traite des prélèvements destinés à la recherche dans le cas de l'interruption de grossesse

La loi du 6 août 2004 dans son article 27, concerne le devenir des tissus embryonnaires ou fœtaux. après une interruption de grossesse. Ces tissus ne peuvent être prélevés, conservés et utilisés qu'après un consentement écrit de la femme, après information sur les finalités, et postérieurement à la décision d'interruption de grossesse.

Ces prélèvements ne peuvent être effectués pour une femme mineure ou incapable, sauf pour rechercher les causes de l'interruption de grossesse, mais après que la femme ait été informée de sa possibilité de s'y opposer.

D'une manière générale, la loi prévoit l'établissement d'un protocole de recherche soumis à l'Agence de la Biomédecine, et communiqué au Ministre en charge de la recherche, pour les prélèvements à finalités diagnostiques, thérapeutiques ou scientifiques, autres que ceux ayant pour finalité la recherche de la cause de l'interruption de grossesse.

Sanctions :

La loi du 6 août 2004 prévoit dans son article 511-19-1 des sanctions de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 € d'amendes, pour le non respect des conditions prévues à l'article 1241-5 du Code de la santé publique, alinéa 1-2 et 4, et notamment al. 1, relatifs aux finalités du prélèvement, au consentement de la femme et à son information préalable, intervenant postérieurement à sa décision d'interrompre sa grossesse. " Des tissus ou cellules embryonnaires ou fœtaux ne peuvent être prélevés, conservés et utilisés à l'issue d'une interruption de grossesse qu'à des fins diagnostiques, thérapeutiques ou scientifiques. La femme ayant subi une interruption de grossesse donne son consentement écrit après avoir reçu une information appropriée sur les finalités d'un tel prélèvement. Cette information doit être postérieure à la décision prise par la femme d'interrompre sa grossesse. "

En conclusion, il n'est jamais autorisé de conserver sans le consentement des parents des tissus provenant d'un enfant né et ayant vécu. Pour les fœtus, avant 2004, un simple texte réglementaire organisait le devenir des corps sans sanctions pénales possibles en cas de non respect, mais depuis 2004, la loi intervient de manière formelle pour exiger le consentement et elle est assortie de sanctions pénales.

3 - Les bonnes pratiques scientifiques issues de réflexions professionnelles consensuelles

Un fœtus mort, quel que soit son âge, doit toujours être muni d'un bracelet d'identification :
- placé avec son placenta, dans un container à usage unique,
- avec un résumé de l'observation médicale,
accompagné
- d'une feuille de demande d'examen fœto-pathologique si les parents ont donné leur autorisation. Cette feuille de demande d'examen fœto-pathologique doit être associée à l'autorisation d'examen de fœtus avec prélèvements signée des parents, avec ou non autorisation de prélèvements à visées scientifiques ou de recherches cognitives sur un document distinct,
- d'une attestation sur le devenir du corps, signée des parents s'ils souhaitent confier le corps à l'hôpital ou le donner à la science,
- acheminé dans des boîtes directement dans le service d'anatomo-pathologie pour les fœtus de moins de 22 semaines et à la chambre mortuaire pour les fœtus de plus de 22 semaines ou plus de 500g. En effet, la circulaire, de 2001 précise bien les différents statuts :

- moins de 22 semaines, moins de 500g.
- moins de 22 semaines, plus de 500g.
- plus de 22 semaines.


I - Le fœtus mort-né de moins de 22 semaines ET de moins de 500g, et son placenta, s'il est théoriquement considéré comme une " pièce opératoire ", doit cependant être enregistré dans le cahier de fœto-pathologie du laboratoire. Il est photographié, décrit, mesuré, radiographié. Son examen nécessite une demande d'examen fœto-pathologique et une autorisation parentale. Après examen le fœtus et ses organes sont mis dans un sac plastique scellé et confié, comme pièce anatomique identifiable à la chambre mortuaire. A ce moment le choix peut se faire selon la décision de la famille entre :

- l'inscription sur le registre des pièces anatomiques par les agents de la chambre mortuaire et éliminés, à la charge de l'établissement, par le circuit des pièces anatomiques identifiables.
- La remise du corps du fœtus à la famille, après restauration tégumentaire, selon ses souhaits pour être incinéré ou inhumé.

II - Le corps de l'enfant de plus de 22 semaines ou de plus de 500g, né mort, est enregistré dans le cahier de fœto-pathologie, photographié, radiographié. Son examen nécessite une demande d'examen anatomo-pathologique et une autorisation parentale. Après l'examen et d'éventuels prélèvements scientifiques (avec autorisation parentale spécifique) le corps fait l'objet d'une restauration tégumentaire. Il peut alors être confié à l'hôpital pour être incinéré ou inscrit sur le registre des enfants sans vie et faire éventuellement l'objet d'obsèques.

III - Le corps de l'enfant de plus de 22 semaines ou de plus de 500g, né vivant puis décédé, est inscrit comme né puis décédé à l'état civil. Ses obsèques sont obligatoires. Son autopsie est soumise aux réglementations inscrites dans les lois de bioéthique de 2004.

Dans tous les cas, un délai de 10 jours maximum suivant le décès est laissé aux parents pour réclamer le corps, avant que l'établissement de santé ne fasse procéder à une incinération.

Ainsi, depuis le décès jusqu'à l'incinération ou l'inhumation, les parents doivent être informés d'une demande d'examen foeto-pathologique, pour lequel leur autorisation préalable est requise ; d'une demande de prélèvements scientifiques, pour lequel leur consentement spécifique est requis, et de la possibilité ou non d'une incinération par l'hôpital ou de la remise du corps à la famille.

4- Problèmes particuliers

I - Les prélèvements

1.1 Les prélèvements scientifiques concernent :
Les prélèvements pour études cytogénétiques (caryotype), qui doivent faire l'objet d'un consentement parental spécifique
Les prélèvements bactériologiques, virologiques ou parasitologiques, qui ne doivent pas exiger une autorisation spécifique, car ils rentrent dans le cadre des examens diagnostiques d'une infection maternelle
Les prélèvements de différents organes


1.2 Les prélèvements des gonades doivent faire l'objet d'un consentement spécifique en raison du caractère particulier des ovaires et de la présence d'ovocytes

1.3 Le cerveau fixé et formolé peut être conservé au laboratoire pendant une période de 3 mois (les nécessités de la fixation exigent une durée plus longue que pour les autres organes), voire plus en cas de nécessité scientifique. La famille doit alors être informée de ce prélèvement et de sa conservation, et donner son autorisation.

1.4 Les prélèvements d'organes entiers (cœur-poumon, cerveau, tube digestif) deviennent des pièces anatomiques puis des déchets de soins après dissection.

1.5 La conservation sine die dans le formol des éléments anatomiques identifiants ou identifiables, tels que le visage, n'a aucune justification, en dehors de cas particuliers qui font l'objet d'une autorisation spécifique parentale et d'un protocole de recherche approuvé par un CPPR et déclaré comme biothèque ou banque de tissus fœtaux (gérés par un centre de ressources biologiques).

1.6 En revanche la conservation d'éléments fixés en paraffine entiers ou sur lame se justifie de façon indéfinie comme tout examen anatomo-pathologique.

1.7 Les corps de fœtus doivent être confiés à la chambre mortuaire dans les délais les plus courts possibles.

II - Le délai

2 - 1 Dans le délai de 10 jours après le décès, la famille peut réclamer le corps du fœtus, qu'il ait fait l'objet d'un examen ou non, en fonction de l'autorisation qu'elle a donnée.

2 - 2 L'examen anatomo-pathologique n'a pas nécessairement à être fait dans les 10 jours, même s'il est recommandé de le faire dans ce délai. Il doit en tout cas être fait dans un délai convenable.

2 - 3 L'examen foeto-pathologique fait, le corps doit être inhumé ou incinéré dans les 6 jours.

2 - 4 Ces délais ne concernent pas les pièces anatomiques qui peuvent être conservées entières dans le formol pendant quelques mois en cas d'autorisation ou sous forme d'éléments inclus dans la paraffine ou lames de façon indéfinie.

2 - 5 Ces délais ne concernent pas la conservation sine die de fœtus porteurs d'anomalies morphologiques majeures (actuellement très rares en raison de leur découverte plus précoce entraînant une interruption de grossesse) qui permettent la préservation de la mémoire scientifique et médicale et servent de références. Mais ces pratiques sont désormais obsolètes en raison des possibilités de photographies numériques et de radiographies par scanner et IRM.

III - L'organisation

3 - 1 Le rattachement des chambres mortuaires à un service médical ou administratif n'est pas sans poser des questions de responsabilités importantes. L'intérêt d'une gestion harmonieuse réside plutôt dans leur rattachement à un service médical anatomo-pathologique ou histologique cyto-génétique.

3 - 2 Les actes fœto-pathologiques ont un cadre réglementaire assez imprécis.

En effet l'examen fœto-placentaire est un acte médical qui n'appartient pas à la nomenclature des actes biologiques. Seul l'examen anatomo-pathologique appartient à cette nomenclature.
Leur pratique relève en fonction des spécificités hospitalières locales des services d'histologie et cytogénétique ou d'anatomo-pathologie justifiant la différence de la mise en œuvre des procédures.

3 - 3 Les actes de fœto-pathologies sont très consommateurs de temps, de personnel médical et de laboratoire. L'examen de trois fœtus justifie deux demi journées. La gestion est lourde sur le plan scientifique, morphologique (reconstitution des corps) et administratif. Cette discipline encore mal reconnue avec un nombre de spécialistes encore très réduite est en pleine mutation en passant d'un aspect conservatoire (limité à la morphologie) à un aspect plus scientifique (étude génétique, caryotype, banque de cellules, banque d'ADN).

3 - 4 La recherche scientifique fœto-pathologique revêt une importance majeure pour déterminer bien sûr les causes de la mort mais surtout pour permettre d'éventuelles préventions de grossesses pathologiques ultérieures, permettant une recherche cognitive dans le cadre de procédures transparentes.

5- Aspects éthiques et anthropologiques

Malgré les précautions prises, les réglementations et les pratiques peuvent donner le sentiment d'inhumanité, lorsqu'elles sont appliquées dans une situation souvent douloureuse.

Il convient donc de veiller à ce que le regard forcément analytique porté par la médecine et la loi sur les caractéristiques objectives du fœtus ou du nouveau-né mort (âge chronologique, poids, viabilité, pathologie…) ne heurte pas de front les représentations affectives que se faisaient les parents de leur enfant en devenir. En effet, pour eux, ce processus ne peut être réduit aux caractéristiques précises du stade particulier auquel son développement s'est soudain interrompu. Dans le même esprit, les distinctions légales précises (enfant né mort, vivant, viable ou non viable, enfant décédé avant ou après que sa naissance ait été déclarée à l'état civil…), même si on peut concevoir leur éventuelle utilité, ont, au regard des représentations et de la détresse des parents, une dimension arbitraire qu'on ne peut négliger. Les effets que peuvent entraîner ces distinctions, dans la mesure où elles influeraient sur les modalités de prise en charge des corps, ne sont pas sans rappeler les conséquences qu'ont pu avoir dans le passé certaines distinctions religieuses quant au devenir des âmes et aux modalités d'inhumation des nouveau-nés en fonction du fait qu'ils avaient pu ou non recevoir des sacrements avant leur mort.

Il ne saurait être question de dégager une vérité anthropologique universelle et encore moins une démarche normative. Chaque couple doit pouvoir réagir en toute liberté, en fonction de ses valeurs et de sa sensibilité. On peut seulement remarquer que l'histoire des civilisations et des religions atteste que les vivants ont toujours été tourmentés par la question du devenir des morts. Rien n'est plus naturel que cette possible interrogation de parents d'un fœtus mort prématurément : " où est allé son corps ? ". Pour certains, la réponse à cette question a pu être donnée par des rites funéraires scandés en phases destinées à assurer la réintégration des personnes endeuillées au sein de la communauté : séparation dans la dimension de l'espace, mais aussi dans la dimension du temps.
En instaurant une séparation ritualisée entre les vivants et les morts (à la fois dans l'espace et dans le temps), le rituel funéraire peut permettre la réadaptation de la personne endeuillée à la vie du groupe. Il s'agit pour la famille d'un accompagnement psychologique qui peut revêtir en certains cas une dimension spirituelle. Il ne s'agit en aucune façon de proposer ou d'imposer un tel accompagnement à des familles qui souhaitent le silence et simplement de l'attention.

Le drame de la mort périnatale interroge notre conscience sur le devoir que nous avons de faire honneur à l'humanité. L'humain ne saurait être réifié. Le nouveau-né même mort devient un enfant, y compris pour le soignant. Etre mis au monde, vivant ou mort c'est être remis entre des mains humaines.
Il ne faut pas mélanger compassion et éthique. L'éthique réside dans l'attention portée à la souffrance, pas dans les pratiques, fussent-elles rituelles. Le tragique de la mort prématurée d'un fœtus ou d'un nouveau-né exige la manifestation d'une attitude responsable face à une telle situation.

6- Le Comité propose les recommandations suivantes :

1.- Même s'il est considéré d'un point de vue juridique comme une " res nullius " le fœtus doit faire l'objet du respect que l'on doit à son origine humaine. Il ne peut en aucune façon être considéré comme un " déchet hospitalier ".

2. - Le désir des parents concernant le devenir du corps du fœtus ou du nouveau-né doit toujours être respecté quelqu'il soit.

3.- Tout fœtus issu d'une interruption de grossesse spontanée ou provoquée pour raison pathologique, quel que soit l'âge de survenue de cette interruption, doit pouvoir faire l'objet d'une demande d'expertise anatomo-pathologique par un service de fœtopathologie dans les conditions rigoureuses d'une information exhaustive avant le consentement des parents qui précisent :

l'autorisation ou non de l'autopsier ainsi que de pratiquer d'autres examens complémentaires nécessaires à la recherche de la cause de la mort.
l'autorisation ou non des examens et prélèvements à visée scientifique autre que la recherche des causes de la mort.
Toutes ces procédures d'information doivent être conduites avec tact et précaution pour atténuer la violence de ce qui pourrait paradoxalement apparaître comme excessivement procédural dans l'intérêt prioritaire de l'administration.

4.- Il serait grave d'entraver par un formalisme excessif la recherche des causes de la mort fœtale et la recherche scientifique visant à prévenir la survenue de nouvelles pathologies fœtales, mais il est éthiquement fondamental que la finalité de la recherche soit clairement exprimée.

5.- Tout élément identifiant en totalité ou partie le fœtus doit être incinéré ou inhumé, après autopsie, dans des délais courts prescrits. Aucune conservation à moyen ou long terme d'un fœtus ne doit se faire en effet en dehors d'une raison scientifique majeure, accompagnée alors du consentement des parents. Les " collections " sont désormais obsolètes et contraires à l'éthique.

6.- Tout élément non identifiant (viscères, cerveau, bloc cœur poumons etc.) peut être conservé au laboratoire en fonction des nécessités scientifiques et de protocoles de recherche soumis à des CPP (Comités de Protection des Personnes) après autorisation parentale.

7.- Tout élément inclus dans la paraffine ou sur lame peut être conservé au laboratoire sans limite de durée et sans nouvelle autorisation parentale après l'examen, car il fait partie du matériel habituel anatomo-pathologique conservé dans ces services.

8.- Les procédures de remise à la famille du corps d'un fœtus restauré après autopsie ne doivent pas être trop rigoureusement déterminées en fonction de l'âge du fœtus à plus ou moins 22 semaines. Avant cette date, en effet, la possibilité de procéder à des pratiques d'inhumation ou d'incinération doit être laissé au choix des parents.

9.- Il est souhaitable que soit élaboré un code de bonnes pratiques pour que chaque laboratoire de fœtopathologie, qu'il appartienne à un service d'anatomo-pathologie ou de cytologie-histologie-cytogénétique, connaisse de façon précise les procédures à respecter dans chaque situation. Les formulaires de demande d'autorisation d'examens fœto-pathologiques très divers selon les établissements, mériteraient tous d'être revus, clarifiés et uniformisés (vocabulaire, lieu de l'examen, engagement de l'établissement pour le respect de la filière).

10. - Il serait souhaitable de nommer un responsable médical de la chambre mortuaire des établissements où sont pratiqués des autopsies, des actes de fœto-pathologie ou des prélèvements d'organes (cornée par exemple). Un cadre administratif devrait leur être rattaché. Il serait essentiel que le personnel de la chambre mortuaire, le personnel médical, et le personnel administratif bénéficient d'une formation particulière qui les aide dans leur difficile tache d'accompagnement des familles. Cette formation pourrait se faire au sein des Espaces Ethiques et devrait assurer une reconnaissance en particulier du personnel spécialisé. Ces propositions supposent en tout cas l'attribution de moyens spécifiques.

11.- La fœtopathologie est une discipline difficile qui doit être encouragée, avec une reconnaissance universitaire et hospitalière (inscription à la nomenclature des actes de fœtopathologie) c'est à dire des moyens humains et financiers en accord avec les besoins. En effet, toute procédure complexe, respectueuse de l'éthique, l'absence d'attribution de moyens suffisants, aboutirait rapidement à la disparition de la fœtopathologie, ce qui constituerait un recul important pour la prise en charge des grossesses interrompues par la mort d'un fœtus ou la venue au monde d'un enfant mort né.

En conclusion, de même que la rigueur des pratiques médicales et scientifiques,la transparence des pratiques et l'attention portée à l'information et à la demande de consentement des parents constituent des exigences éthiques.

La mort d'un fœtus ou d'un enfant mort né est le plus souvent vécue par ses parents comme la mort d'un enfant. En tout état de cause cette mort impose aux soignants et à l'administration le respect du corps et la nécessité d'un accompagnement mené avec compréhension, compassion, et attention. Tout doit être fait pour que cette mort soit entourée avec humanité et permette aux proches, à commencer par les parents, d'en vivre le deuil, avec le sentiment plutôt d'être compris par la société que d'être culpabilisés, jugés ou stigmatisés.

Le 22 septembre 2005