Revenir aux résultats de recherche

Cour administrative d’appel de Nantes, 20 juin 2013, n°12NT01581 (Défaut de surveillance – Décès – Obligation de moyens)

Un patient chute de son lit après une grave intervention et décède peu après. La Commission de conciliation et d’indemnisation considère que le décès du patient trouve son origine dans un défaut de surveillance du centre hospitalier de nature à engager sa responsabilité à hauteur de 25%. Mécontents de l’offre indemnitaire de l’assureur de l’hôpital, les ayants-droit saisissent le tribunal administratif, lequel estime que la responsabilité de l’établissement ne peut pas être recherchée pour défaut de surveillance. En effet, le patient a été laissé dans son lit équipé de barrières protectrices, d’une sonnette d’appel et des rondes régulières étaient effectuée par l’équipe médicale. La Cour d’appel confirme cette position et soutient que l’hôpital n’a commis aucune faute.

 

Cour Administrative d'Appel de Nantes

N° 12NT01581   
3ème Chambre

M. COIFFET, président
M. François LEMOINE, rapporteur
M. DEGOMMIER, rapporteur public
CHAUVEL, avocat

lecture du jeudi 20 juin 2013

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 


 Vu la requête, enregistrée le 13 juin 2012, présentée pour Mme A., demeurant..., Mme B... et M. C. demeurant..., et M. D, demeurant..., par Me Chauvel, avocat au barreau de Rennes ; les consorts X...demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 09-2438 du 11 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à ce que soit mise à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme globale de 202 456,72 euros, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts, en réparation de leurs préjudices résultant du décès au centre hospitalier de Y de M.X..., leur mari, père et grand-père ;

2°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, en réparation de leurs préjudices, les sommes suivantes avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts :

- au bénéfice de Mme A, son épouse, les sommes de 9 089,09 euros au titre des frais funéraires, 30 000 euros au titre de son préjudice moral, 2 668,89 euros au titre de frais divers et 122 698,74 euros au titre de son préjudice économique ;

- au bénéfice de chacun des trois enfants de M. X..., la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

- au bénéfice de chacun des deux petits-enfants de M. X..., la somme de 4 000 euros au titre de leur préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Ils soutiennent que si le décès de M. X...n'est pas lié à une faute de l'hôpital, conformément à ce qu'a retenu l'expert désigné par le président du tribunal administratif de Rennes, son décès relève incontestablement de l'aléa thérapeutique ouvrant droit à réparation au titre de la solidarité nationale ; que l'accident de M. X..., qui est directement imputable à un acte de soins, relève bien, en effet, du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 30 novembre 2012 à la mutuelle nationale de l'aviation marine, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu la mise en demeure adressée le 30 novembre 2012 à la caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2012, présenté pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, par Me Welsch, avocat au barreau de Paris qui conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et, à titre subsidiaire, au rejet de la demande d'indemnisation du préjudice économique de la veuve A., enfin, à ce que soient réduites à de plus justes proportions les sommes demandées au titre du préjudice moral des consorts X... ;

Il fait valoir que le décès de M. X...n'étant pas la conséquence directe d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins à l'origine d'un accident médical au sens du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les requérants ne sont pas fondés à demander à être indemnisés du décès de leur mari, père et grand-père ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 mai 2013, présenté pour les consorts X, qui concluent aux mêmes fins que dans leur requête par les mêmes moyens ;

Ils soutiennent en outre que le décès M. X... est en lien direct avec les soins médicaux pratiquées au centre hospitalier ; que le défaut de surveillance post opératoire à l'origine du décès est fautif ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 mai 2013 :

- le rapport de M. Lemoine, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

1. Considérant que, M. X..., alors âgé de 65 ans, a été hospitalisé au centre hospitalier de Y pour y subir le 27 mars 2003 une intervention de pneumectomie lobaire supérieure gauche associée à un curage ganglionnaire pour un adénocarcinome du lobe supérieur du poumon gauche ; qu'après avoir été placé en salle de réveil et de surveillance dans le service de soins intensifs, il a été transféré le lendemain dans le service de chirurgie thoracique ; que le 28 mars 2003, à 23h45, les infirmières du service, alertées par un bruit de chute, ont découvert le patient à terre ; qu'elles ont alors alerté sans retard le SAMU dont les efforts de réanimation, immédiatement engagés, sont demeurés vains ; que le décès de  M. X...a été constaté le 29 mars 2003 à 00h45 ; que saisie par les consorts X..., la commission régionale de conciliation et d'indemnisation (CRCI) de Bretagne, dans son avis du 12 avril 2004, a considéré que le décès de M. X...trouvait son origine dans un défaut de surveillance du centre hospitalier de nature à engager sa responsabilité à hauteur de 25 % ; que l'offre d'indemnisation de l'assureur de l'hôpital ayant été refusée par les consorts X..., ceux-ci ont alors saisi le tribunal administratif de Rennes en vue de l'organisation d'une expertise médicale ; que dans son rapport d'expertise, déposé le 5 juin 2007, l'expert a, quant à lui, indiqué que " le décès de Jean X...semblait devoir être pris en compte au titre de l'aléa thérapeutique et non pas au titre du défaut de surveillance " ; que sur cette base, les consorts X..., estimant que l'accident dont a été victime Jean X...relevait du régime légal d'indemnisation au titre de la solidarité nationale prévu au II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ont demandé la condamnation de l'ONIAM à réparer les préjudices ayant résulté pour eux du décès de leur époux, père ou grand-père ; que les consorts X...relèvent appel du jugement du 11 avril 2012 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ;
 

Sur l'indemnisation au titre de la solidarité nationale :

2. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de
soins (...) " ;

3. Considérant que M.X... a été admis dans le service de chirurgie thoracique du centre hospitalier de Yle 28 mars 2003 dans la matinée après avoir subi la veille une pneumectomie lobaire dans ce même établissement ; qu'aucune faute n'a été relevée à l'occasion de cette intervention et de son suivi ; qu'il résulte de l'instruction que, le même jour à 23h45, M. X...a été découvert par l'infirmière et l'aide-soignante de permanence dans le service de chirurgie thoracique, à terre, inerte, et déconnecté des dispositifs de drainage par aspiration et de perfusion nécessaires à son état ; que selon les conclusions du rapport de l'expert désigné par le président du tribunal, M. X..., après le premier passage des infirmières de permanence la nuit vers 21h30-22h00, installé dans son lit équipé de barrières protectrices pour éviter toute chute et d'une sonnette pour appeler en cas de nécessité, très probablement incommodé par des troubles digestifs intercurrents, s'est levé de son lit, a franchi les barrières de protection arrachant le système de perfusion et d'aspiration ; que l'expert ajoute que le décès par défaillance cardio-respiratoire est survenu à la suite du débranchement par le patient lui-même des dispositifs d'aspiration et d'oxygénothérapie ; que le décès accidentel du patient, qui avait été placé dans une chambre à proximité du bureau infirmier et a bénéficié d'une surveillance par des rondes infirmières effectuées selon les règles en vigueur dans les services de chirurgie, n'est dès lors pas dû à un défaut de surveillance ; qu'aucun retard n'a, par ailleurs, été relevé dans la mise en œuvre des secours ; que le décès de M. X...ne pouvant ainsi être regardé comme un accident médical directement imputable à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins au sens des dispositions précitées du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, ses conséquences ne sont pas susceptibles d'être indemnisées au titre de la solidarité nationale ;

4. Considérant que, par ailleurs, et en tout état de cause, contrairement à ce que soutiennent les consorts X...et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, la surveillance post opératoire ayant été adapté à l'état du patient, ceux-ci ne sont pas fondés à rechercher, même à titre subsidiaire, la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Y dans l'organisation ou le fonctionnement du service ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts X...ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête des consorts X...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A, à Mme B, à M. C, à M. D, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie du Nord-Finistère et à la Mutuelle nationale de l'aviation marine.