REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 4 juillet 2001 et 19 juillet 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour les consorts X, demeurant ... ; ils demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 6 novembre 2000 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux, à la demande du centre hospitalier d'Angoulême, 1) a annulé le jugement du 26 mars 1997 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a déclaré cet hôpital responsable des conséquences dommageables des examens subis dans ses services par M. Saïd Y le 21 février 1994 et l'a condamné à verser à Mme Fatma X, à M. Nabil X et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente les sommes respectives de 345 000 F (52 594,91 euros), 185 000 F (28 203,07 euros) et 23 925 F (3 647,34 euros), assorties des intérêts légaux ; 2) les a condamnés à supporter les frais d'expertise s'élevant à la somme de 5 000 F (762,24 euros) ; 3) a rejeté leur demande présentée devant le tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême, au bénéfice de leur conseil, la somme de 10 000 F (1 524,49 euros) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Campeaux, Auditeur,
- les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat de M. Nabil X et de Mme Fatma X et de Me Le Prado, avocat du centre hospitalier d'Angoulême,
- les conclusions de M. Olson, Commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant que pour écarter l'engagement de la responsabilité sans faute du centre hospitalier d'Angoulême, la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé que le décès de M. Saïd Y, survenu le 7 mars 1994 à la suite d'une endoscopie bronchique et d'une biopsie bronchique pratiquées dans ce centre hospitalier le 21 février 1994, était lié à une anomalie de caractère congénital ou acquise pendant l'enfance, et en a déduit que le décès ne pouvait dès lors être regardé comme étant sans rapport avec l'état initial de la victime ; qu'il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'anomalie dans la vascularisation des voies respiratoires de M. Saïd Y relevée par la cour n'a été révélée que par la réalisation du dommage subi par celui-ci et qu'elle n'affectait pas son état de santé avant l'intervention ; qu'en jugeant, sur le seul fondement de cette anomalie, que l'état de santé du patient n'était pas sans rapport avec le dommage qui s'est réalisé, la cour a commis une erreur de droit dans l'application des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute du service hospitalier ; que, par suite, les consorts X sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. Saïd Y a subi le 21 février 1994 une endoscopie bronchique suivie d'une biopsie bronchique au centre hospitalier d'Angoulême ; qu'après avoir regagné son domicile le jour même, il a été victime d'une hémoptysie avec encombrement bronchique le 4 mars 1994, pour laquelle il a été admis en urgence dans le service de réanimation du centre hospitalier d'Angoulême puis transféré au centre hospitalier universitaire Xavier Arnozan de Bordeaux, où il a subi une lobectomie moyenne afin d'arrêter l'hémoptysie ; que M. X est décédé le 7 mars 1994 dans le service de réanimation médicale de l'hôpital Tripode à Bordeaux où il était arrivé ce même jour ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X, qui souffrait de diabète et d'hypertension artérielle, avait été traité à plusieurs reprises pour des bronchites lorsqu'il a été admis, à l'âge de 77 ans, au centre hospitalier d'Angoulême pour y subir les examens susdits, en raison d'une bronchite persistante et d'anomalies constatées lors d'une radiographie pulmonaire ; que dans ces conditions, le dommage subi par M. X ne saurait être regardé comme étant sans rapport avec l'état initial de celui-ci ou son évolution prévisible ; qu'il ne peut dès lors engager la responsabilité du centre hospitalier en l'absence de faute ; que, par suite, le centre hospitalier d'Angoulême est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers l'a condamné, sur le fondement de la responsabilité sans faute, à verser des indemnités aux consorts X et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente en réparation des conséquences dommageables des examens subis dans ses services par M. Saïd Y ;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par les consorts X devant le tribunal administratif de Poitiers ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise des professeurs Michaud et Fatte, que l'endoscopie et la biopsie bronchiques subies par M. Saïd Y au centre hospitalier d'Angoulême étaient nécessitées par son état et ont été réalisées conformément aux règles de l'art ; qu'aucune indication ne justifiait que M. Saïd Y fût gardé en observation au centre hospitalier après la réalisation de ces examens ; que, dès lors, aucune faute ne saurait être reprochée au centre hospitalier d'Angoulême ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le centre hospitalier d'Angoulême est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Poitiers l'a condamné à indemniser les consorts X des conséquences dommageables des examens subis par M. Saïd Y dans cet hôpital et à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente la somme correspondant au remboursement de ses débours ; que les conclusions incidentes présentées en appel par les consorts X, tendant à ce que les sommes allouées par le tribunal administratif de Poitiers portent intérêts au taux légal majoré de cinq points à compter du 11 juillet 1997, doivent en conséquence être rejetées ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême les frais de l'expertise ordonnée en référé par le président du tribunal administratif de Poitiers, liquidés à la somme de 5 000 F (762,24 euros) ;
Sur les conclusions tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier d'Angoulême qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande le conseil des consorts X au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux en date du 6 novembre 2000, ensemble le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 26 mars 1997, sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par les consorts X devant le tribunal administratif de Poitiers, ensemble leurs conclusions incidentes en appel, leurs conclusions tendant à l'application devant le Conseil d'Etat de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les conclusions de première instance de la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente sont rejetées.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée en référé sont mis à la charge du centre hospitalier d'Angoulême.
Article 4 : La présente décision sera notifiée aux consorts X, au centre hospitalier régional d'Angoulême, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente et au ministre de la santé et de la protection sociale.