Un établissement de santé est exonéré de toute responsabilité dès lors qu'il apporte la preuve qu'il a mis en œuvre l'ensemble des mesures d'hygiène et d'asepsie pour prévenir toute infection nosocomiale et que l'état de santé de la patiente était particulièrement vulnérable.
En l'espèce, Mme R, atteinte d'une leucémie aiguë, a été admise au sein du service d'hématologie du CHU de Saint-Etienne où elle a reçu deux cures d'induction chimiothérapique. Une allogreffe de moelle a été reportée à deux reprises à la suite d'une pneumopathie bilatérale et d'un pneumothorax. Cette allogreffe a finalement été réalisée mais sans succès, Mme R étant décédée le 24 mai 2004. Ses ayants droit ont recherché la responsabilité de l'établissement de santé devant le Tribunal administratif de Lyon. Ce dernier a (seulement) condamné le 29 janvier 2008 le CHU à verser une somme aux ayants droit de Mme R en réparation des préjudices d'ordre personnel dont cette dernière a souffert pendant 15 jours correspondant à son incapacité temporaire totale à la suite de l'infection nosocomiale contractée en décembre 2003. Les ayants droit de Mme R font appel de ce jugement.
La cour administrative d'appel de Lyon estime que "compte tenu tout particulièrement de l'état de vulnérabilité de la patiente aux complications infectieuses susceptibles d'être générées par un tel traitement, l'hôpital, qui démontre avoir mis en œuvre l'ensemble des mesures d'hygiène et d'asepsie connues pour prévenir de telles complications, doit être regardé comme rapportant la preuve d'une cause étrangère au sens des dispositions précitées de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique ; qu'ainsi l'hôpital ne saurait être tenu pour responsable des conséquences dommageables de l'infection dont a été victime Mme R".
COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE LYON
6ème chambre - formation à 3
N° 08LY00653
Mme SERRE, président
M. Vincent-Marie PICARD, rapporteur
Mme MARGINEAN-FAURE, commissaire du gouvernement
GILLES DEVERS, avocat
Lecture du mardi 29 juin 2010
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu, enregistrée le 25 mars 2008, la requête présentée pour M. Alex A, compagnon, de Mme B domicilié ..., Mme Evelyne C, sa soeur, domiciliée ... et les enfants de la victime, M. Rémy B, domicilié ... et M. Thomas B domicilé ..., agissant en leur nom personnel et en qualité d'ayants droit de Mme Mireille B ;
Ils demandent à la Cour :
1°) la réformation du jugement n° 0605289 du 29 janvier 2008 du Tribunal administratif de Lyon qui a fait partiellement droit à leur demande en condamnant le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne à leur verser une indemnité de 1 600 euros en réparation des préjudices subis par Mme Mireille B, décédée le 27 mai 2004, à la suite des soins et actes médicaux dont elle a fait l'objet dans cet établissement ;
2°) de faire droit à leur demande en leur accordant, en leur qualité d'ayants droit de la victime, une somme de 62 000 euros et, à titre personnel, des sommes de 192 554 euros à M. Alex A et de 25 000 euros chacun à Mme C et MM. Remy et Thomas B ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne le paiement d'une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- le décès dont a été victime Mme Mireille B a été provoqué par la maladie nosocomiale qu'elle a contractée le 2 ou 3 décembre 2003 qui a empêché la réalisation rapide d'une greffe de la moelle osseuse ;
- le délai de report de la greffe est la conséquence de cette infection ;
- l'expert n'a jamais considéré que la greffe, qui constituait une perspective thérapeutique réelle, était inutile et que l'évolution de la maladie était inexorable ;
- Mme B a été privée d'une chance sérieuse de survie ;
- il y a faute à avoir considéré évidente la nécessité de reporter la greffe du fait de la maladie nosocomiale ;
- la survenue d'un pneumothorax lors de la mise en place d'une voie veineuse révèle une faute consécutive à l'intervention d'un professionnel peu expérimenté ;
- elle a de nouveau entraîné un report de près d'un mois de la greffe ;
- les chances de survie en cas de greffe pratiquée à temps étaient sérieuses ;
- ils ont subi un préjudice tant à titre personnel que comme ayants droits ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu, enregistré le 6 août 2008, le mémoire présenté par la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne qui laisse à la Cour le soin d'apprécier le bien fondé de la requête des consorts A, C et B ;
Vu, enregistré le 10 septembre 2008, le mémoire en défense présenté pour l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogenes et des infections nosocomiales (O.N.I.A.M.) qui conclut au rejet de la requête et subsidiairement à ce qu'une expertise judiciaire soit ordonnée ;
Il expose que :
- l'expertise n'a pas été contradictoire ;
- aucune demande d'indemnisation préalable ne lui a été présentée ;
- les fautes invoquées sont exclusives de toute mise en cause de l'O.N.I.AM. ;
- le caractère nosocomial de l'infection n'est pas établi ;
- les seuils de gravité justifiant la solidarité nationale ne sont pas atteints ;
- ni le seuil de 6 mois d'interruption temporaire du travail ni le taux de 24 % d'incapacité permanente partielle ou de celui de 25 %, ni la nécessité d'une causalité directe de l'affection nosocomiale avec le décès ne sont caractérisés ;
- cette affection fongique n'a pas été la cause du décès ;
Vu, enregistré le 8 février 2010, le mémoire en défense présenté pour le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne qui conclut à l'annulation du jugement attaqué et, subsidiairement, au rejet de la requête ;
Il fait valoir que :
- l'existence d'une infection à aspergillus n'est pas démontrée ;
- à la supposer avérée, cette infection résulte uniquement de l'état de santé immunodéprimé de la victime et est donc consécutif à une cause étrangère ;
- le centre a respecté l'ensemble des règles d'hygiène ;
- si on devait considérer que le décès de l'intéressée est dû à cette infection, l'indemnisation serait de la seule responsabilité de la solidarité nationale ;
- aucune faute ne saurait être imputée au centre pour avoir décidé de reporter la greffe compte tenu de l'aspergillose dont l'intéressée a été victime ;
- les conditions de pose d'une voie veineuse par un interne ne révèlent aucune faute ;
- aucune des circonstances invoquées à l'encontre du centre n'est directement à l'origine du décès de Mme B ;
- le centre ne pourrait tout au plus être condamné qu'à réparer une fraction minime du préjudice résultant de son décès ;
- les indemnités demandées sont excessives ;
Vu l'ordonnance en date du 26 mars 2010 qui fixe au 9 avril 2010 la date de clôture de l'instruction ;
Vu la note en délibéré enregistrée le 23 juin 2010, présentée pour M. A et autres ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 juin 2010 :
- le rapport de M. Picard, premier conseiller ;
- les observations de Me Gueyraud, substituant Me Devers avocat de M. Alex A et autres ;
- et les conclusions de Mme Marginean-Faure, rapporteur public ;
La parole ayant été de nouveau donnée aux parties présentes ;
Considérant que Mme Mireille B, alors âgée de 52 ans, qui était atteinte d'une leucémie aiguë myéloblastique type LAM 7, a été admise dans le service d'hématologie du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne où elle a reçu entre les 20 octobre et 22 décembre 2003 deux cures d'induction chimiothérapique ; que l'allogreffe de moelle dont l'indication avait été retenue dans le cadre d'un protocole thérapeutique dit LAM 2001, suivi en partenariat avec le centre hospitalier universitaire de Nantes, a été reportée à deux reprises à la suite d'une pneumopathie bilatérale en sortie d'aplasie en décembre 2003 et d'un pneumothorax le 23 janvier 2004 ; qu'elle a finalement été réalisée le 4 mars 2004 mais sans succès, Mme B étant décédée le 24 mai suivant ; que M. Alex A, compagnon de Mme B, Mme Evelyne C, sa soeur, et MM Rémy et Thomas B, ses enfants, agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité d'ayants droit de l'intéressée, ont recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire devant le Tribunal administratif de Lyon ; que par un jugement du 29 janvier 2008 le Tribunal a seulement condamné le centre à verser aux ayants droits de Mme B une somme de 1 600 euros en réparation des préjudices d'ordre personnel dont cette dernière a souffert pendant une période de 15 jours correspondant à son incapacité temporaire totale à la suite de l'infection nosocomiale contractée en décembre 2003 ; que le Tribunal a également condamné le centre à verser une somme de 418,80 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne ; qu'il a en revanche estimé que cette infection n'avait pas privé Mme B d'une chance de survie, que ni la décision de reporter la greffe à la suite de cette infection ni les conditions de mise en place de la voie veineuse à l'origine du pneumothorax n'étaient fautives et que l'aléa thérapeutique constitué par le pneumothorax était sans lien avec le décès ; qu'il a donc écarté toute responsabilité de l'hôpital à chacun de ces titres ; que tant les consorts A, C et B, que le centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne relèvent appel de ce jugement ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère... ;
Sur l'infection dont a été victime Mme B :
Considérant que pour retenir la responsabilité du centre hospitalier, le Tribunal a jugé, qu'en l'absence de cause étrangère rapportée par l'établissement, l'aspergillose à l'origine de l'infection pulmonaire dont s'est trouvée atteinte Mme B au début du mois de décembre 2003 révélait une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service ; qu'il résulte de l'instruction que Mme B était immunodéprimée du fait du traitement chimiothérapique lourd dont elle faisait l'objet afin de lutter contre sa maladie et de rendre possible une greffe ; qu'en l'espèce, compte tenu tout particulièrement de l'état de vulnérabilité de la patiente aux complications infectieuses susceptibles d'être générées par un tel traitement, l'hôpital, qui démontre avoir mis en oeuvre l'ensemble des mesures d'hygiène et d'asepsie connues pour prévenir de telles complications, doit être regardé comme rapportant la preuve d'une cause étrangère au sens des dispositions précitées de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ; qu'ainsi l'hôpital ne saurait être tenu pour responsable des conséquences dommageables de l'infection dont a été victime Mme B ; que c'est en conséquence à tort que le Tribunal administratif de Lyon a jugé, pour le motif rappelé ci-dessus, que la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne était engagée au titre de ces dispositions ;
Sur les autres manquements reprochés à l'hôpital :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction et il n'est pas démontré que le centre hospitalier aurait commis une faute en décidant, compte tenu de l'infection aspergillaire dont Mme B était atteinte, de reporter la greffe à une date ultérieure ; que, dès lors, même à considérer comme fautive l'absence supposée de toute discussion, dans le cadre du protocole LAM 2001, sur l'opportunité d'un tel report, un tel manquement serait sans la moindre incidence sur la responsabilité de l'établissement à cet égard ;
Considérant que Mme B, dont la greffe de moelle osseuse était prévue le 30 janvier 2004, a été victime d'un pneumothorax ayant pour origine une brèche pulmonaire survenue lors de la mise en place, justifiée, d'une voie veineuse sous clavière le 23 janvier 2004; que si les requérants mettent en cause l'inexpérience de l'interne spécialisé du service d'hématologie initialement chargé de la pose de cette voie, il résulte de l'instruction que le chef de clinique, intervenu ensuite à sa demande, a éprouvé les mêmes difficultés dans la réalisation de cet acte qui, selon l'expert, constitue un geste technique difficile compte tenu, en particulier, des variations morphologiques d'un individu à l'autre et de la position variable des vaisseaux sanguins ; que la survenue d'un pneumothorax, qui figure au nombre des complications possibles d'un tel geste, ne révèle pas, en l'espèce, une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint Etienne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon l'a condamné à payer la somme de 1 600 euros aux ayants droit de Mme B et la somme de 418,80 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de Saint Etienne ; qu'en revanche, les consorts A, C et B ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par ce même jugement, le Tribunal a rejeté le surplus de leurs conclusions ;
Considérant que les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 050 euros doivent être mis à la charge des consorts A, C et B ;
Considérant que, compte tenu de ce qui précède, les conclusions formées par les consorts A, C et B sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées ;
DECIDE :
Article 1er : Les articles 2, 3 et 4 du jugement du Tribunal administratif de Lyon du 29 janvier 2008 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions des consorts A, C et B et de la caisse primaire d'assurance maladie de Saint-Etienne devant le Tribunal administratif de Lyon sont rejetées.
Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 050 euros, sont mis à la charge des consorts A, C et B.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif de Lyon du 29 janvier 2008 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions des consorts A, C et B est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. Alex A, à Mme Evelyne C, à M. Rémy B, à M. Thomas B, au centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, à l'office nationale d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).
Délibéré après l'audience du 18 juin 2010 à laquelle siégeaient :
Mme Serre, présidente de chambre,
Mme Verley-Cheynel, président-assesseur,
M. Picard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 29 juin 2010.