Abstrat
La responsabilité du service public est engagée dans les conditions établies par la jurisprudence Bianchi [Lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement d’un malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité] du fait de dommages causés à la suite d’une anesthésie générale et ce, même s’il est avéré par la suite que le patient était particulièrement prédisposé à ce risque. Les préjudices subis par les proches de la victime (parents, frères et sœurs, grands-parents) sont susceptibles d’être réparés lorsque la responsabilité sans faute du service public hospitalier est engagée (Cf. CE 29/03/2000, AP-HP). |
Faits :
Hospitalisé le 8 juin 1988 en raison d’une fracture du col huméral gauche au centre hospitalier de Seclin, M. X. décède le 11 juin des suites d’une hyperthermie maligne due à l’anesthésie générale pratiquée.
Solution :
Le Conseil d’Etat reprend en l’espèce les règles de la responsabilité sans faute établies par la jurisprudence Bianchi :
Lorsqu’un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement d’un malade présente un risque dont l’existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public est engagée si l’exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l’état initial du patient comme avec l’évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d’extrême gravité.
Les conditions de la responsabilité sans faute s’appliquent même s’il est avéré par la suite (par la réalisation d’examens complémentaires) que le patient était particulièrement prédisposé au risque lié au traitement effectué.
L’arrêt :
Mme Le Bihan-Graf, Rapporteur
M Chauvaux, Commissaire du gouvernement
Mme Aubin, Président
Me Le Prado, SCP Boré, Xavier, Avocat
Lecture du 27 Octobre 2000
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 7 octobre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN (Nord) ; le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêt du 8 avril 1999 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 22 septembre 1994 du tribunal administratif de Lille le déclarant responsable du décès du jeune M. X. et le condamnant à réparer le préjudice causé aux consorts X par ce décès ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Auditeur,
- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN et de la SCP Boré, Xavier, avocat de M X et autres,
- les conclusions de M Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le jeune X, alors âgé de onze ans, a été admis le 8 juin 1988 au CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN (Nord) en raison d'une fracture du col huméral gauche ; qu'il est décédé le 11 juin des suites d'une hyperthermie maligne provoquée par l'anesthésie générale nécessaire à son traitement ;
Considérant que la cour n'a pas répondu au moyen tiré de ce que le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN ne pouvait, sur le fondement de la responsabilité sans faute, être condamné à réparer le préjudice moral subi par les proches de la victime ; que le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN est fondé à demander pour ce motif l'annulation de l'arrêt du 8 avril 1999 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 et de statuer au fond ;
Sur la responsabilité :
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement d'un malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant que la responsabilité du service public est susceptible d'être engagée dans les conditions mentionnées ci-dessus du fait des dommages causés par une anesthésie générale ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X avait fait l'objet, la veille de l'opération, d'un bilan pré-opératoire complet qui n'avait fait apparaître aucune contre-indication à certains produits utilisés pour l'anesthésie ; qu'il avait d'ailleurs subi sans dommage quelques années auparavant une anesthésie générale réalisée à l'aide de ce type de produits ; que seuls des examens effectués après l'intervention ont révélé qu'il était atteint d'une affection rare qui le prédisposait, dans le cas d'utilisation de ces produits, au risque d'hyperthermie maligne ; que, dans ces conditions, aucune raison ne permettait de penser que le jeune patient fût particulièrement exposé au risque qui s'est réalisé ; qu'en l'espèce, le dommage subi par M. X., s'il s'explique par sa prédisposition à l'hyperthermie maligne, est sans rapport avec son état au moment de son hospitalisation ; que les autres conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de l'hôpital, qui ne sont d'ailleurs pas contestées, étant remplies, le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a estimé que le dommage pouvait être réparé sur ce fondement ;
Sur le préjudice et sur les conclusions incidentes des consorts X :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le centre hospitalier, le régime de la responsabilité sans faute du service hospitalier n'exclut pas la réparation du préjudice subi par les proches de la victime ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M et Mme X., le père et la mère de la victime, en l'évaluant à 100 000 F pour chacun d'entre eux ; qu'il y a lieu, dès lors, de porter à ce montant l'indemnité mise à ce titre à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN par le tribunal administratif ; qu'il y a lieu également de prendre en compte les frais d'obsèques supportés par les parents de l'enfant et qui s'élèvent au montant non contesté de 22 190,90 F ;
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par le frère et les sœurs mineurs de la victime, en l'évaluant à 30 000 F pour chacun d'entre eux ; qu'il y a lieu de porter à ce montant l'indemnité mise à ce titre à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN par le tribunal administratif ;
Considérant, en revanche, que le tribunal administratif s'est livré à une juste appréciation du préjudice moral subi par Mme Y et par M Z, grands-parents de la victime, en l'évaluant à 15 000 F pour chacun d'entre eux ;
que les conclusions incidentes des consorts X doivent, par suite, être rejetées sur ce point ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN n'est pas fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamné à indemniser les parents, le frère, les sœurs et les grands-parents du jeune M. X., d'autre part, que les consorts Prévost ne sont fondés à demander par la voie de l'appel incident, le rehaussement des indemnités allouées par le jugement attaqué qu'en ce qui concerne M et Mme X et le frère et les soeurs de la victime ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions analysées ci-dessus et de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN à verser aux consorts X. une somme de 10 000 F au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : L'arrêt du 8 avril 1999 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : La requête présentée devant la cour administrative d'appel de Nancy par le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN est rejetée.
Article 3 : La somme que le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN a été condamné à payer à M X. est portée à 122 190,10 F
Article 4 : La somme que le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN a été condamné à payer à Mme X. est portée à 100 000 F
Article 5 : La somme que le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN a été condamné à payer à M et Mme X. au nom de leurs enfants mineurs est portée à 90 000 F
Article 6 : Le surplus des conclusions incidentes présentées devant la cour administrative d'appel de Nancy par les consorts Prévost est rejeté.
Article 7 : Le jugement du 22 septembre 1994 du tribunal administratif de Lille est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 8 : Le CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN est condamné à verser aux consorts X une somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 9 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE SECLIN, à M et MmeX, à Mme Y, à M Z et au secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés.