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Cour administrative d'appel de Paris, 13 mai 2013, n° 12PA00933 (Responsabilité hospitalière - Expertise - Indépendance - Irrégularité de la procédure)

M. X. est atteint de spondylarthrite ankylosante depuis 1994, et a été admis aux urgences du centre hospitalier Y.  en 2007, après une chute accidentelle en arrière sur le crâne. Compte tenu de l'absence de complication neurologique et eu égard à la pathologie préexistante de l'intéressé, l'équipe médicale a choisi "de ne pratiquer une intervention chirurgicale que le surlendemain [...] après consultation anesthésique préalable". La veille de cette consultation préalable, M. X.  a éprouvé des paresthésies des quatre membres, conduisant à une tétraplégie vers 5h du matin. Estimant  "la paraplégie dont il reste atteint imputable au retard affectant la réalisation de l'opération chirurgicale, M. X. a, après avoir obtenu la nomination d'un expert, saisi le centre hospitalier Y.  d'une demande indemnitaire".

La Cour juge "qu'il résulte de l'instruction que l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif [...] exerce une activité de médecin neurologue à la Fondation Z., où M. X. a été hospitalisé à compter du 29 octobre 2007, et a, ainsi que l'a relevé le tribunal, prodigué des soins à l'intéressé ; qu'ainsi, cet expert aurait dû se récuser en application des règles [...] qui découlent du principe de l'indépendance de la profession médicale ; que cette irrégularité, qui est susceptible d'avoir exercé une influence sur les conclusions expertales, a vicié l'ensemble des opérations d'expertise ; qu'il suit de là que le jugement attaqué, qui se fonde notamment sur le rapport établi par l'expert, a été rendu sur une procédure irrégulière et doit être annulé".

 

 

 

LA COUR ADMINISTRATIVE D’ APPEL

DE PARIS

 

N° 12PA00933

 

M. X.

 

Mme Mille

Président

 

Mme Bailly

Rapporteur

 

M. Ladreyt

Rapporteur public

 

Audience du 25 mars 2013

Lecture du 8 avril 2013

 

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

Vu la requête, enregistrée le 24 février 2012, présentée pour M. X., demeurant …, par Me Mestre ; M. X.  demande à la Cour :

1°) de réformer le jugement n°1100275 du 25 octobre 2011 du Tribunal administratif de Polynésie française en tant qu'il l'a insuffisamment indemnisé des conséquences de l'accident médical survenu le 29 août 2007, engageant la responsabilité du centre hospitalier Y.  ;

2°) de condamner le centre hospitalier Y. à lui payer la somme totale de 192 250 914 F CFP en réparation des préjudices résultant des conséquences de la faute médicale commise ainsi que, chaque année, durant toute sa vie, la somme de 10 977 396 F CFP au titre de l'assistance par une tierce personne ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Y.  une somme de 600 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 mars 2013:

- le rapport de Mme Bailly, rapporteur,

- les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public,

- et connaissance prise de la note en délibéré présentée, par Me Fanet, le 28 mars 2013 ;

 

1. Considérant que M. X. , alors âgé de 42 ans, et atteint de spondylarthrite ankylosante depuis 1994, a été admis aux urgences du centre hospitalier Y.  le 29 août 2007 après une chute accidentelle en arrière sur le crâne ; que des lésions ayant été diagnostiquées sur les vertèbres C5-C6, l'équipe médicale a décidé, compte tenu de l'absence de complication neurologique et eu égard à la pathologie préexistante de l'intéressé, de ne pratiquer une intervention chirurgicale que le surlendemain, soit le 31 août, après consultation anesthésique préalable le 30 août ; que cependant dans la nuit du 29 au 30 août, M. X.  a éprouvé des paresthésies des quatre membres conduisant à une tétraplégie vers 5h du matin ; qu'une intervention a alors été réalisée en urgence à 7h30, qui a permis d'évacuer un hématome collecté compressif, sans cependant faire disparaître la tétraplégie ; qu'estimant la paraplégie dont il reste atteint imputable au retard affectant la réalisation de l'opération chirurgicale, M. X. a, après avoir obtenu la nomination d'un expert, saisi le centre hospitalier Y.  d'une demande indemnitaire ; que par le jugement attaqué du 25 octobre 2011 dont M. X. , d'une part, et, par appel incident, le centre hospitalier Y., d'autre part, relèvent régulièrement appel, le Tribunal administratif de Polynésie française a condamné ce dernier à indemniser M. X. du préjudice constitué par la perte d'une chance d'éviter le dommage résultant de la faute commise lors de sa prise en charge ;

 

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 4127-105 du code de la santé publique : « Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d'un même malade. / Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. » et que selon l'article R. 4127-106 : « Lorsqu'il est investi d'une mission, le médecin expert doit se récuser s'il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu'elles l'exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code. » ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif de Polynésie française exerce une activité de médecin neurologue à la Fondation Z., où M. X. a été hospitalisé à compter du 29 octobre 2007, et a, ainsi que l'a relevé le tribunal, prodigué des soins à l'intéressé ; qu'ainsi, cet expert aurait dû se récuser en application des règles précitées qui découlent du principe de l'indépendance de la profession médicale ; que cette irrégularité, qui est susceptible d'avoir exercé une influence sur les conclusions expertales, a vicié l'ensemble des opérations d'expertise ; qu'il suit de là que le jugement attaqué, qui se fonde notamment sur le rapport établi par l'expert, a été rendu sur une procédure irrégulière et doit être annulé ;

4.  Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. X. devant le Tribunal administratif de Polynésie française ;

5.  Considérant qu'il y a lieu, avant dire droit, de prescrire une expertise portant sur les conditions de l'hospitalisation de M. X. au centre hospitalier Y.  à compter du 29 août 2007 et sur les choix thérapeutiques opérés par l'équipe médicale et de fixer la mission d'expertise, comme précisé aux articles 2 à 4 du présent arrêt ;

 

DECIDE :

Article 1: Le jugement du Tribunal administratif de Polynésie Française du 25 octobre 2011 est annulé.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la requête de M. X. , procédé à une expertise médicale en vue de permettre à la Cour de se prononcer sur le choix thérapeutique opéré par l'équipe médicale lors de la prise en charge de M. X.  le 29 août 2007.

Article 3 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Pour l'accomplissement de cette mission, il se fera communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de M. X. et notamment, tous ceux relatifs aux examens, soins et interventions pratiqués sur l'intéressé au cours de son hospitalisation au centre hospitalier Y. Il pourra entendre toute personne du service hospitalier ayant pratiqué les actes mis en cause. Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la Cour en quatre exemplaires dans le délai de quatre mois suivant la prestation de serment.

Article 4 :

L'expert aura pour mission :

- de décrire les conditions dans lesquelles M. X.  a été admis et soigné au centre hospitalier Y.  le 29 août 2007, et les conditions dans Iesquelles son état a été surveillé durant la nuit du 29 au 30 août ;

-  de réunir tous éléments utiles sur les modalités de traitement d'une fracture sur la colonne vertébrale pour un patient atteint de spondylarthrite ankylosante, compte tenu des données acquises de la science en 2007, et sur les différents choix thérapeutiques possibles ;

- de dire en conséquence si le traitement proposé était adapté à l'état de santé de M. X.  et conforme aux données acquises de la science ;

-  de donner tous éléments utiles sur les risques encourus en cas d'opération réalisée en urgence, notamment s'agissant d'un patient atteint d'une spondylarthrite ankylosante ;

-  de dire si la décision de différer l'intervention chirurgicale a fait perdre au patient une chance de ne pas devenir paraplégique et de quantifier cette perte de chance ;

- d'évaluer les différents chefs de préjudice en lien avec l'accident médical survenu et notamment :

les dépenses de santé passées et futures

·   les frais liés au handicap

·   les pertes de revenus

·   l'incidence professionnelle

·   les autres dépenses éventuelles

·   les préjudices personnels

·   la durée de l'incapacité temporaire totale, date de consolidation, étendue des séquelles, déficit fonctionnel permanent

·   les souffrances physiques, psychiques et morales endurées du fait de la maladie et du traitement suivi en les évaluant sur une échelle de 1 à 7

·   le préjudice esthétique, le préjudice sexuel et le préjudice d'établissement

Article 5 :Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n'est pas statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.