Conseil d’Etat, Avis, 19 mars 2003, Centre hospitalier de Tourcoing
Le tribunal administratif de Lille a saisi le Conseil d’Etat de trois questions relatives au régime de la prescription en matière de responsabilité médicale. La Haute juridiction, dans son avis du 19 mars 2003, apporte des précisions quant au régime de cette prescription. 1. La substitution de la prescription quadriennale par la prescription décennale Conformément aux dispositions des articles 1 et 2 de la loi du 31 décembre 1986, la prescription des créances sur les départements, les communes et les établissements publics était fixée à 4 ans. Cette prescription était également applicable aux régions, établissements publics depuis 1972 puis collectivités territoriales depuis la loi du 2 mars 1982. L’article 110 de la loi du 4 mars 2002 lui substitue une prescription décennale “ pour ce qui est des créances sur les départements, les communes et les établissements publics en matière de responsabilité médicale ”. Cet allongement met fin à la disparité qui existait selon que l’action était portée devant le juge judiciaire (prescription décennale et non plus trentenaire depuis la loi du 25 juillet 1985) ou le juge administratif (prescription quadriennale). Le point de départ de cette prescription est non la survenance du dommage mais la date de sa consolidation. 2. L’application dans le temps de la nouvelle prescription La prescription décennale est immédiatement applicable s’agissant d’une disposition plus favorable à la victime ou à ses ayants-droit. Elle s’applique non seulement aux créances non encore prescrites à la date d’entrée en vigueur de la loi mais encore aux instances n’ayant pas donner lieu à une décision irrévocable (c’est-à-dire les affaires ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation non encore jugées). Les actions prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 à la date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 le demeurent, la loi n’ayant pas prévu de relever la prescription. 3. La dualité des causes de l’interruption de prescription S’il existe désormais une identité de prescription que l’action soit portée devant le juge judiciaire ou le juge administratif, les causes d’interruption des créances publiques demeurent dans le silence de la loi celles prévues par la loi du 31 décembre 1968 et non les causes prévues par le code. L’interruption se distingue de la suspension en ce qu’elle fait partir à nouveau le délai de prescription. La loi du 31 décembre 1968 prévoit quatre causes d’interruption : A ces causes d’interruption, la jurisprudence en a ajouté une nouvelle afin de sanctionner le comportement dilatoire de l’administration (CE, 9 décembre 1988, Centre hospitalier de Lons le Saunier) Pour aller plus loin : |
Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 5e et 7e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 5e sous-section de la section du contentieux,
Vu, enregistré le 25 novembre 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le jugement du 19 novembre 2002 par lequel le tribunal administratif de Lille, avant de statuer sur la demande de M. et Mme H. tendant à ce que le centre hospitalier de Tourcoing soit déclaré responsable des conséquences dommageables résultant des interventions chirurgicales subies par leur fils Sofiane, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1. L'article 98 de la loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé institue-t-il un délai de forclusion ou une déchéance se substituant à la prescription quadriennale avec un point de départ particulier ?
2. Les dispositions de l'article 101 de la loi précitée ont-elles pour effet de relever de la déchéance les créances prescrites en application de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, et dans quelles conditions ?
3. Les causes interruptives de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 précitée continuent-elles à s'appliquer ou le législateur a-t-il entendu y substituer celles prévues par le code civil ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf, maître des requêtes ;
- les conclusions de M. Chauvaux, commissaire du Gouvernement,
Rend l'avis suivant :
La section 6 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, est relative à la prescription en matière de responsabilité médicale. Elle comporte un unique article, l'article L. 1142-28, qui dispose que « les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage ».
Le deuxième alinéa de l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé dispose que « les dispositions de la section 6 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la première partie du [code de la santé publique] sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en responsabilité, y compris aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable (...) ».
1. Il résulte des termes mêmes des dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique que le législateur a entendu instituer une prescription décennale se substituant à la prescription quadriennale instaurée par la loi du 31 décembre 1968 pour ce qui est des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics en matière de responsabilité médicale. Il s'ensuit que ces créances sont prescrites à l'issue d'un délai de dix ans à compter de la date de consolidation du dommage.
2. En prévoyant à l'article 101 de la loi du 4 mars 2002 que les dispositions nouvelles de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique relatives à la prescription décennale en matière de responsabilité médicale sont immédiatement applicables, en tant qu'elles sont favorables à la victime ou à ses ayants droit, aux actions en responsabilité, y compris aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable, le législateur a entendu porter à dix ans le délai de prescription des créances en matière de responsabilité médicale, qui n'étaient pas déjà prescrites à la date d'entrée en vigueur de la loi et qui n'avaient pas donné lieu, dans le cas où une action en responsabilité avait été engagée, à une décision irrévocable. L'article 101 de cette loi n'a cependant pas eu pour effet, en l'absence de disposition le prévoyant expressément, de relever de la prescription celles de ces créances qui étaient prescrites en application de la loi du 31 décembre 1968 à la date d'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.
3. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 101 ont pour objet d'unifier les délais de prescription applicables aux accidents médicaux dans le souci de rétablir une égalité de traitement entre les victimes, que la procédure soit engagée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire. Faute pour le législateur d'avoir précisé les causes interruptives inhérentes au nouveau régime de prescription qu'il a institué, ces dispositions doivent s'entendre comme ne modifiant pas, pour les créances publiques, les causes interruptives prévues par la loi du 31 décembre 1968.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Lille, à M. et Mme H. et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.