Par cet arrêt, le Conseil d’État vient préciser la notion d’exercice à titre individuel contenue dans l’article R. 4113-3 du Code de la santé publique, qui pose le principe du non cumul de l’exercice de la profession de médecin au sein d’une société d’exercice libéral (SEL) avec l’exercice à titre individuel. Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat affirme que la notion d’exercice individuel "ne s'entend pas exclusivement de l'exercice à titre libéral mais qu'elle recouvre également l'exercice salarié d'un médecin dans un établissement de santé". |
Conseil d'État
statuant
au contentieux
N° 295344
Lecture du 3 septembre 2007
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu 1°), sous le n° 295344, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 13 juillet et le 13 octobre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean A, demeurant ... ; M. A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 6 avril 2006 par laquelle la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins a rejeté son recours tendant à l'annulation de la décision du 27 novembre 2005 du conseil régional de l'ordre des médecins de Provence-Côte d'AzurCorse rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du conseil départemental de l'ordre des médecins des Alpes-Maritimes du 6 juillet 2005 refusant l'inscription au tableau de l'ordre de la société d'exercice libéral qu'il a constituée ;
2°) de mettre à la charge du conseil national de l'ordre des médecins la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu 2°), sous le numéro n° 295403, la requête sommaire, enregistrée le 17 juillet 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Jean A et tendant aux mêmes fins que la requête n° 295344 analysée ci-dessus par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Musitelli, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. A et de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat du conseil national de l'ordre des médecins,
- les conclusions de M. Rémi Keller, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de M. A présentent à juger la même question ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales : Des décrets au Conseil d'Etat ( ) déterminent en tant que de besoin les conditions d'application du présent titre ( ) / Ils peuvent également prévoir qu'un associé n'exerce sa profession qu'au sein d'une seule société d'exercice libéral et ne peut exercer la même profession à titre individuel ou au sein d'une société civile professionnelle ; qu'aux termes de l'article R. 4113-3 du code de la santé publique : Un associé ne peut exercer la profession de médecin qu'au sein d'une seule société d'exercice libéral de médecins et ne peut cumuler cette forme d'exercice avec l'exercice à titre individuel ou au sein d'une société civile professionnelle, excepté dans le cas où l'exercice de sa profession est lié à des techniques médicales nécessitant un regroupement ou un travail en équipe ou à l'acquisition d'équipements ou de matériels soumis à l'autorisation en vertu de l'article L. 61221 ou qui justifient des utilisations multiples ; que ces dispositions posent le principe du non-cumul de l'exercice de la profession de médecin au sein d'une société d'exercice libéral avec l'exercice à titre individuel ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. A, médecin qualifié spécialiste en chirurgie urologique et qualifié compétent en cancérologie, exerce au sein du centre hospitalo-universitaire de Nice en qualité de praticien hospitalier, chef des services d'urologie et de néphrologie ; qu'il bénéficie d'un contrat d'activité libérale lui permettant d'effectuer dans cet établissement une activité privée dans la limite de 20% de son temps ; que, souhaitant exercer son activité privée dans le cadre d'une société d'exercice libéral unipersonnelle à responsabilité limitée, il a sollicité auprès du conseil départemental de l'ordre des médecins des Alpes-Maritimes l'inscription de cette société au tableau de l'ordre ; que sa demande a été rejetée par une décision du 6 juillet 2005 du conseil départemental, confirmée le 27 novembre 2005 par une décision du conseil régional de Provence-Côte d'Azur et le 6 avril 2006 par une décision de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins ;
Considérant que lorsqu'elle se prononce en matière d'inscription au tableau, la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins prend une décision administrative et n'a le caractère ni d'une juridiction ni d'un tribunal au sens de l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors, M. A ne saurait utilement soutenir que la décision attaquée est intervenue en méconnaissance des stipulations de ce paragraphe relatives au caractère public de l'audience ; que le requérant ne saurait davantage se prévaloir des exigences qui s'imposent en matière juridictionnelle pour invoquer un moyen tiré du défaut de mention de la date à laquelle la section a délibéré ;
Considérant que la notion d'exercice individuel au sens de l'article R. 4113-3 du code de la santé publique ne s'entend pas exclusivement de l'exercice à titre libéral mais qu'elle recouvre également l'exercice salarié d'un médecin dans un établissement de santé ; que dès lors, en estimant que la constitution par M. A, praticien hospitalier, d'une société d'exercice libéral le mettrait en situation de cumuler l'exercice en société avec l'exercice individuel, la section disciplinaire a fait une exacte application des dispositions précitées de l'article R. 4113-3 du code de la santé publique ;
Considérant que si M. A soutient que l'interdiction résultant de l'article R. 4113-3 du code de la santé publique de cumuler l'exercice de la profession de médecin au sein d'une société d'exercice libéral avec l'exercice à titre individuel méconnaît les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'assortit pas, en tout état de cause, ce moyen de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ;
Considérant que la liberté d'entreprendre, qui n'est ni générale ni absolue, s'exerce dans le cadre de la réglementation instituée par la loi ; que la profession de médecin est une profession libérale réglementée ; que, dès lors, M. A n'est pas fondé à soutenir que les dispositions de l'article R. 4113-3 du code de la santé publique, prises sur le fondement de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire, méconnaîtraient le principe de la liberté d'entreprendre en instaurant une discrimination entre les praticiens qui exercent leur activité libérale sous forme individuelle et ceux qui l'exercent dans le cadre d'une société d'exercice libéral unipersonnelle ;
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient M. A, que l'intéressé entende mettre en œuvre des techniques médicales nécessitant un regroupement ou un travail en équipe ou procéder à l'acquisition d'équipements et de matériels soumis à autorisation, alors même qu'il dispose du concours des personnels et de l'usage des équipements de l'hôpital dans lequel il exerce ; qu'ainsi la section disciplinaire a fait une exacte application des dispositions de l'article R. 4113-3 en estimant qu'il n'entrait pas dans le cadre des exceptions prévues par ces dispositions et qu'il ne pouvait, dès lors, être autorisé à cumuler l'exercice de la profession de médecin au sein d'une société d'exercice libéral et son exercice à titre individuel ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 6 avril 2006 de la section disciplinaire du conseil national de l'ordre des médecins ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du conseil national de l'ordre des médecins, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que demande M. A au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A la somme que demande le conseil national de l'ordre des médecins au titre de ces mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. A sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions du conseil national de l'ordre des médecins tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Jean A et au conseil national de l'ordre des médecins. Copie en sera adressée pour information au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.