REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 4 septembre 2000 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée pour Mme X, demeurant ..., par la SCP Pouillot-Delahousse associés, avocats ; Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 98-2379 en date du 13 juin 2000 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à ce que le centre hospitalier de Compiègne soit condamné à réparer les conséquences résultant pour elle de la contamination par le virus de l'hépatite C consécutive à son hospitalisation dans cet établissement en novembre 1997 ;
2°) de déclarer le centre hospitalier de Compiègne entièrement responsable de ladite contamination, de surseoir à statuer quant à l'évaluation du préjudice subi par elle, jusqu'à ce que son état soit consolidé, et de condamner dès à présent le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 200 000 francs à titre de provision ;
3°) de condamner ledit centre hospitalier à lui payer la somme de 15 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Elle soutient qu'elle a contracté une hépatite virale aiguë de type C à la suite d'une coelioscopie pratiquée au centre hospitalier de Compiègne le 7 novembre 1997 pour un bilan de stérilité primaire supposée ; que le seul fait d'avoir pratiqué cet examen est fautif, puisqu'il s'avérera plus tard qu'elle était déjà enceinte d'environ deux semaines à la date de cette coelioscopie ; qu'il n'est pas établi que le matériel ayant servi à cet examen avait été stérilisé le jour de l'intervention ; que les observations du rapport d'expertise sur ce point ne retracent que, sur un plan général, les méthodes de désinfection alors en vigueur dans l'hôpital ; que l'expert a conclu avec certitude qu'eu égard au passé et au mode de vie de Mme X, la biopsie de l'endomètre pratiquée lors de la coelioscopie est la seule source potentielle de contamination ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont estimé que le lien de causalité avec cette infection nosocomiale n'était pas établi ; que Mme X justifie d'un préjudice professionnel important du fait de sa maladie, ainsi que de troubles personnels, motivant amplement sa demande de provision dans l'attente de la consolidation de son état ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2001, présenté pour le centre hospitalier de Compiègne, représenté par son directeur en exercice, par Me Dutat, avocat ; le centre hospitalier conclut au rejet de la requête ; il soutient qu'il ne peut être reproché à l'hôpital, auquel le gynécologue traitant a demandé d'effectuer un examen destiné à identifier l'origine de l'infertilité de la patiente, de ne s'être pas préalablement assuré de ce qu'elle n'était pas enceinte ; que ce reproche est, en tout état de cause, inopérant, la question étant de savoir s'il existe une relation entre l'acte incriminé et le dommage ; que cette relation de causalité n'est pas établie ; que l'expert judiciaire n'a relevé aucun manquement aux règles de désinfection, eu égard aux données de la science en matière d'infections virales ; que, si l'expert a admis que la biopsie en cause était la seule source de contamination théoriquement possible , il a précisé qu'il n'avait pas trouvé dans la littérature mondiale le moindre rapport d'une infection par le virus de l'hépatite C consécutive à une biopsie de ce type ; que, très subsidiairement, le montant de la provision demandée est excessif ;
Vu le mémoire, enregistré le 31 octobre 2001, présenté pour Mme X ; celle-ci conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que, d'une part, la jurisprudence sur les infections nosocomiales engage la responsabilité du service public hospitalier sur le fondement de la faute présumée, même en l'absence de faute démontrée dans l'exécution des protocoles de désinfection ; que, d'autre part, la responsabilité de l'hôpital était également encourue sur le fondement du risque, les critères posés par l'arrêt Bianchi du Conseil d'Etat étant réunis en l'espèce ;
Vu le mémoire, enregistré le 21 février 2002, présenté pour le centre hospitalier de Compiègne, tendant aux mêmes fins que son mémoire précédent, par les mêmes motifs ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 mars 2002, présenté pour Mme X, tendant aux mêmes fins que ses écritures précédentes, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 mars 2003 où siégeaient Mme Fraysse, président de chambre, M. Laugier, président-assesseur et M. Nowak, premier conseiller :
- le rapport de M. Laugier, président-assesseur,
- les observations de Me Canu, avocat, membre de la SCP Pouillot-Delahousse Associés, avocats, pour Mme X, et de Me Lefebvre, avocat, membre de la SCP Dutat-Lefevre et associés, avocats, pour le centre hospitalier de Compiègne,
- et les conclusions de M. Michel, commissaire du gouvernement ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expertise ordonnée par le juge des référés administratifs que, moins de deux mois après avoir subi au centre hospitalier de Compiègne le 7 novembre 1997 une coelioscopie visant à rechercher la cause d'une infertilité supposée, Mme X a présenté les symptômes d'une hépatite C et développé une hépatite virale aiguë ; qu'il ressort des conclusions de l'expert, lequel a examiné et écarté tous les éléments qui pourraient indiquer que la patiente aurait été préalablement exposée au risque de contracter le virus de l'hépatite C, que la contamination n'est susceptible d'avoir pour origine que la biopsie de l'endomètre pratiquée lors de ladite coelioscopie ; que, si le centre hospitalier fait valoir que les médecins n'ont commis aucune faute, notamment en matière d'asepsie, et quand bien même l'hôpital aurait respecté les règles de désinfection et de stérilisation des matériels selon les normes alors en vigueur, le fait que cette infection ait néanmoins pu se produire, alors que rien ne permet de présumer que Mme X aurait été porteuse du virus avant l'intervention, révèle une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Compiègne ; que , par suite, Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à ce que ledit centre hospitalier soit déclaré entièrement responsable de la contamination par le virus de l'hépatite C qu'elle a subie lors de son hospitalisation en 1997 dans cet établissement et soit condamné à réparer les conséquences dommageables en résultant pour elle ;
Sur la réparation :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que si Mme X, âgée de 32 ans lors de l'intervention, n'a pas subi de complications, ni d'évolution de sa maladie depuis l'hépatite sus relatée, et si l'enfant, dont elle était alors enceinte et auquel elle a donné naissance le 28 juin 1998, n'a pas été contaminé par le virus, il demeure que la patiente a subi un retentissement important dans sa vie personnelle, familiale et professionnelle, y compris du seul fait de se savoir atteinte d'une infection nécessitant un suivi permanent et susceptible d'évoluer vers la chronicité, voire vers de graves complications, éventuellement ; qu'il sera fait, dans les circonstances de l'espèce, une juste appréciation des préjudices de toute nature subis par Mme X, au plan moral ainsi qu'à ce jour dans ses conditions d'existence, en fixant à une somme globale de 30 000 euros l'indemnisation qui lui est due ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer comme le demande l'appelante, il y a lieu de condamner le centr
e hospitalier de Compiègne à verser le montant susindiqué à Mme X ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant que les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 8 000 francs (ou 1 219,59 euros), seront mis à la charge du centre hospitalier de Compiègne ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel devenu L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier de Compiègne à payer à Mme X une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Décide :
Article 1er : Le jugement n° 98-2379 du tribunal administratif d'Amiens en date du 13 juin 2000 est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Compiègne est condamné à verser à Mme X la somme de 30 000 euros.
Article 3 : Les frais d'expertise exposés en première instance sont mis à la charge du centre hospitalier de Compiègne.
Article 4 : Le centre hospitalier de Compiègne versera à Mme X la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme X, au centre hospitalier de Compiègne, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Somme, au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.