Par cet arrêt, la cour administrative d’appel de Marseille rappelle que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité. En l’espèce, à la suite d’un accident de travail, une personne a subi une intervention chirurgicale réparatrice au sein d’un CHRU et a souffert, à la suite de cette opération, d’une altération de sa voix. La cour a rejeté la requête en considérant que la dysphonie que le requérant impute à l’intubation réalisée au cours de l’acte anesthésique, pour importante et invalidante qu’elle soit, ne présente pas le caractère d’extrême gravité permettant que soit engagée la responsabilité sans faute du centre hospitalier. |
Cour Administrative d'Appel de Marseille
N° 07MA00339
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre - formation à 3
M. BEDIER, président
Mme Christine MASSE-DEGOIS, rapporteur
M. DUBOIS, commissaire du gouvernement
LE PRADO, avocat
Lecture du vendredi 16 janvier 2009
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête et le mémoire ampliatif, enregistrés le 5 février et le 12 avril 2007, présentés par Me Le Prado pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES dont le siège est place du professeur Robert Debré à Nîmes (30029) ; le CENTRE HOSPITALIER demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°0205372 en date du 16 novembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à M. X la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi à la suite de l'intervention chirurgicale du 12 avril 2001 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. X ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire et la pièce, enregistrés le 18 juin 2007 et le 4 décembre 2008, présentés pour M. X par Me Enginger-Nesa ;
M. X demande à la Cour de rejeter la requête du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES, de le condamner à lui verser sur le fondement de la responsabilité sans faute en réparation de son préjudice consécutif à l'intubation laryngée la somme de 47 495,37 euros au titre de l'ITT, la somme de 120 000 euros au titre de l'IPP, la somme de 10 000 euros au titre du préjudice d'agrément et la somme de 5 000 euros au titre du pretium doloris outre une somme de 5 000 euros au titre des frais d'instance et de confirmer le jugement en tant qu'il a condamné le CENTRE HOSPITALIER à lui verser la somme de 5 000 euros ;
Vu le mémoire enregistré le 10 juillet 2008 présenté pour la caisse RSI du Languedoc-Roussillon par Me D'journo ;
La caisse demande à la Cour de condamner le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES à lui payer la somme de 6 068,84 euros ainsi que la somme de 941 euros au titre de l'article L.376-1 du code de la sécurité sociale et celle de 1 000 euros au titre des frais d'instance ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 décembre 2008, présenté pour M. X par Me Enginger-Nesa ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 décembre 2008, présenté pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES par Me Le Prado ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale et le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 décembre 2008 :
- le rapport de Mme Massé-Degois, rapporteur ;
- les observations de Me Vietti, substituant Me D'journo pour la caisse RSI du Languedoc-Roussillon ;
- et les conclusions de M. Dubois, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X, victime d'un accident de travail en décembre 2000 ayant entraîné la section de deux doigts de la main droite, a subi le 12 avril 2001 sous anesthésie générale par intubation laryngée, une chirurgie réparatrice au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES ; qu'il a constaté dès son réveil une altération de sa voix ; que devant la persistance des troubles, un traitement médicamenteux lui a été prescrit ainsi que des séances d'orthophonie ; que le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES relève appel du jugement du 16 novembre 2006 par lequel le Tribunal administratif de Montpellier l'a condamné à verser à M. X la somme de 5 000 euros en réparation de la faute commise lors de l'intervention chirurgicale qu'a subie ce dernier dans son établissement le 12 avril 2001 ; que, par la voie de l'appel incident, M. X demande l'annulation du même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions aux fins de condamnation du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES sur le fondement de l'aléa thérapeutique ; que la caisse RSI du Languedoc-Roussillon demande pour sa part à la Cour de condamner le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES à lui rembourser les débours exposés pour M. X, son assuré ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant que si le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES soutient que le jugement est insuffisamment motivé au regard des conclusions dont le tribunal se trouvait saisi, ce moyen ne saurait être accueilli en l'absence de toute précision permettant d'en apprécier la portée et le bien-fondé ;
Sur la responsabilité sans faute :
Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement du malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public hospitalier est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la dysphonie que M. X impute à l'intubation réalisée au cours de l'acte anesthésique du 12 avril 2001, pour importante et invalidante qu'elle soit, ne présente pas le caractère d'extrême gravité permettant que soit engagée la responsabilité sans faute du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES dans les conditions susmentionnées ; que, par suite, l'appel incident formé par M. X doit être rejeté ;
Sur le défaut d'information :
Considérant qu'aux termes de l'article L.1111-2 du code de la santé publique applicable aux faits en litige : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. » ; que ces dispositions issues de la loi du 4 mars 2002, invoquées par M. X, ne sont pas applicables au cas d'espèce, l'intubation litigieuse réalisée le 12 avril 2001 étant antérieure à la date d'application desdites dispositions ;
Considérant toutefois, que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que, si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;
Considérant que la Cour ne trouve pas au dossier des éléments suffisants pour lui permettre de se prononcer en pleine connaissance de cause sur l'existence d'une faute du service public hospitalier qui serait à l'origine des séquelles dont se plaint M. Perrin et des débours dont la caisse RSI du Languedoc-Roussillon demande le remboursement ; qu'il y a lieu, en conséquence, avant dire plus amplement droit, d'ordonner une mesure d'expertise aux fins précisées ci-après ;
DECIDE
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES, procédé à une expertise, par un collège de deux experts, en vue :
- en premier lieu, de prendre connaissance des dossiers et de tous documents concernant M. X détenus par le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES ou produits par M. X, et examiner ce dernier ;
- en deuxième lieu, de décrire l'état de M. Perrinl lors de son admission le 12 avril 2001 au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES ainsi que les soins et actes médicaux et chirurgicaux dont il a fait l'objet au cours de l'intervention ;
- en troisième lieu, de rechercher toutes informations et de donner tous éléments utiles d'appréciation sur la ou les causes de l'état actuel de M. X et éventuellement sur la cause de l'évolution de son état ;
- en quatrième lieu, d'indiquer si l'intubation réalisée au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES constituait une nécessité ou s'il existait des alternatives moins risquées ;
- en cinquième lieu, de préciser si l'acte anesthésique avec intubation présentait, à la date des faits, des risques connus, même exceptionnels, de troubles de la voix temporaires ou définitifs et si M. X a été informé de leur existence ;
- en sixième lieu, dans l'affirmative, de déterminer la date de consolidation de l'état de l'intéressé, la durée de l'incapacité temporaire totale, le taux de l'incapacité permanente partielle, de préciser si M. X a ressenti des troubles dans les conditions d'existence en rapport avec un éventuel défaut d'information de la part du centre hospitalier et de déterminer, en les chiffrant sur une échelle de 1 à 7, l'importance des souffrances physiques, des préjudices esthétique et d'agrément pouvant, le cas échéant, être regardés comme directement et exclusivement imputables à l'intubation réalisée au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES ;
Article 2 : Les experts seront désignés par le président de la Cour. Ils accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R.621-2 à R.621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL ET UNIVERSITAIRE DE NÎMES, à M. X, à la caisse RSI du Languedoc-Roussillon et au ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.