Le 31 janvier 2005, Mme X est prise en charge au sein d'un centre hospitalier, pour une blessure de la face palmaire des 4ème et 5ème doigts de la main droite avec section des tendons fléchisseurs. Il résulte notamment de l'expertise ordonnée en première instance que seul le tendon profond de l'annulaire a été suturé et « qu'en méconnaissance des règles de l'art, le praticien n'est intervenu ni sur le tendon superficiel du 4ème doigt, ni sur le tendon profond du 5ème doigt » ; « par ailleurs, l'immobilisation des doigts mise en place après l'intervention était inadaptée tant dans sa position que dans sa durée ; les fautes, au demeurant non contestées ainsi commises dans la prise en charge de Mme X sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ». Pour autant, la Cour administrative d'appel de Nancy considère que le centre hospitalier n'est responsable que de 40% des préjudices subis par l'intéressée : en effet, la Cour précise que « les erreurs commises dans la prise en charge de la patiente ont permis un lâchage des sutures et ainsi entrainé une perte de chance, pour la patiente, d'obtenir une consolidation satisfaisante de son état ; que, toutefois, compte tenu de sa gravité, la blessure initiale présentée par Mme X aurait, dans tous les cas, laissé des séquelles à la requérante ; que les conséquences dommageables de la blessure ont également été aggravées par l'attitude de Mme X qui n'a pas respecté les consignes strictes d'immobilisation des doigts préconisée par le chirurgien(...) ». |
Cour Administrative d’Appel de Nancy
N° 12NC01478
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre - formation à 3
Mme HERBELIN, président
Mme Julienne BONIFACJ, rapporteur
M. COLLIER, rapporteur public
SCP BREAUD-SAMMUT-CROON, avocat(s)
lecture du jeudi 13 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la requête, enregistrée le 27 août 2012, présentée pour la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, dont le siège est 18 boulevard du Maréchal de Lattre de Tassigny à Chaumont (52000) et la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube, dont le siège est 113 rue Etienne Pédron à Troyes (10000), par la SCP Colomes - Mathieu ; les caisses primaires d’assurance maladie de la Haute-Marne et de l’Aube demandent à la cour :
1°) d’annuler le jugement n° 0902137 du 28 juin 2012 par lequel le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne tendant à la condamnation du centre hospitalier de Troyes à lui payer une somme de 48 083,93 euros en remboursement du montant des frais exposés pour le traitement de Mme X... ;
2°) de donner acte à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube de son intervention volontaire dans la présente instance ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Troyes à leur verser les sommes de 18 829,37 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2010, et de 997 euros, au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 1 500 euros au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative ;
Elles soutiennent que :
- en première instance, le rapport d’expertise ne leur a pas été communiqué avant la clôture d’instruction, malgré leur demande ; la procédure suivie devant le tribunal n’a ainsi pas été contradictoire ;
- c’est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, qui pouvait se prévaloir de la convention de mutualisation conclue avec la caisse de l’Aube ;
- en limitant à 30% la part des dommages laissée à la charge de l’hôpital, le tribunal a eu une appréciation trop restrictive ; cette part devra être portée à 50 % ;
- les prestations versées à Mme X...s’élevant à 48 083,93 euros, compte tenu de la part imputable à l’établissement, le centre hospitalier devra lui verser la somme de 16 829,37 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 22 mars 2013 présenté pour Mme X...par
Me Crouzier; Mme X...demande à la cour, par la voie de l’appel incident :
1°) de réformer le jugement par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a limité à 2 394 euros l’indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Troyes ;
2°) de porter à la somme de 404 143,41 euros le montant de l’indemnité due au titre de l’ensemble de ses préjudices ;
Elle soutient que :
- son préjudice est entièrement imputable à la faute commise lors de sa prise en charge au centre hospitalier ; son manque de coopération ne peut lui être reproché, alors qu’en raison de la mauvaise qualité de l’intervention elle a souhaité être suivie à l’hôpital de Toul ;
- elle reste atteinte d’un déficit fonctionnel permanent de 6%, pour lequel elle sollicite 12 000 euros ; son incapacité temporaire totale de 137 jours sera indemnisée à hauteur de 5 845,75 euros ; il lui sera alloué 12 651,55 euros au titre de l’incapacité temporaire partielle ; elle sollicite également 5000 euros au titre des souffrances endurées, évaluées à 2,5/7 ; son préjudice esthétique, évalué à 1/7, sera indemnisé à hauteur de 2 000 euros et son préjudice d’agrément à hauteur de 5 000 euros ;
- c’est à tort que le tribunal a écarté son préjudice professionnel, alors qu’en raison de son handicap elle ne retrouve plus d’emploi ;
- elle subit également des troubles dans ses conditions d’existence pour lesquels elle sollicite 10 000 euros ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2013, présenté pour le centre hospitalier de Troyes par Me Y...qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que :
- la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube n’a pas qualité pour faire appel ; son intervention, qui n’a pas été présentée par un mémoire distinct, ne peut être accueillie ;
- la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, qui n’a pas versé les prestations en cause, ne peut utilement se prévaloir de la convention de mutualisation passé avec la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube, dès lors qu’elle n’établit pas être subrogée dans les droits de Mme X... ;
- à titre subsidiaire, le lien entre la faute commise par l’établissement et le montant des dépenses dont il est demandé le remboursement n’est pas établi ;
- en toute hypothèse, la part de 30% laissée à la charge de l’établissement par le tribunal devra être confirmée ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 13 mai 2013, présentés pour les caisses primaires d’assurance maladie de la Haute-Marne et de l’Aube, qui concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elles demandent, en outre, à la cour de condamner le centre hospitalier de Troyes à leur verser la somme de 48 083,93 euros, et subsidiairement la somme de 18 829,37 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2010, et la somme de 1015 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion ;
Elles soutiennent également que :
- le lien de causalité entre le manquement de l’hôpital et les prestations dont le remboursement est demandé est établi ;
- les frais d’hospitalisation correspondent aux périodes recensées par l’expert ;
- les indemnités journalières ont été versées pour la période du 31 janvier 2005 au 9 février 2007, durant laquelle Mme A...a subi une incapacité de travail ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 mai 2003, présenté pour les caisses primaires d’assurance maladie de la Haute-Marne et de l’Aube qui concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens ; elles soutiennent en outre que le montant des frais exposés pour le compte de Mme X...est justifié ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 23 mai 2013 :
- le rapport de Mme Bonifacj, président,
- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., substituant Me Crouzier, avocat de Mme X...;
Sur l’intervention de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube :
1. Considérant qu’aux termes de l’article R. 632-1 du code de justice administrative : “ L’intervention est formée par mémoire distinct “ ; que l’intervention de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube a été présentée, non par mémoire distinct, mais dans la requête de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne ; que, dès lors, elle n’est pas recevable ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté comme irrecevable la demande présentée par la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, au motif qu’elle ne pouvait agir pour le compte de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube dont dépendait Mme X... ; que, toutefois, les dispositions combinées de l’article L. 221-3-1 et du II de l’article L. 216-2-1 du code de la sécurité sociale permettent au directeur général de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés de confier à une caisse primaire la charge d’agir en justice pour le compte de la caisse d’affiliation de l’assuré dans tous les contentieux liés au service des prestations d’assurance maladie ; qu’ainsi, à ce titre, une caisse peut se voir confier la mission d’exercer, pour le compte d’une ou plusieurs autres caisses, le recours subrogatoire prévu par les dispositions de l’article L. 376-1 du même code à l’encontre du tiers responsable de l’accident, un tel recours tendant au remboursement des prestations servies à l’assuré à la suite de l’accident ; que, par suite, c’est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi ; que son jugement en date du 28 juin 2012 doit, dès lors, être annulé en tant qu’il a rejeté la demande de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne ;
3. Considérant que l’affaire étant en état d’être jugée en ce qui concerne les conclusions de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur celles-ci ; qu’il y a lieu de statuer, par l’effet dévolutif de l’appel, sur les conclusions d’appel incident présentées par Mme X... ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier de Troyes :
4. Considérant que Mme X...a été prise en charge, le 31 janvier 2005, par le centre hospitalier de Troyes, pour une blessure de la face palmaire des 4ème et 5ème doigts de la main droite avec section des tendons fléchisseurs ; qu’il résulte de l’instruction, et notamment de l’expertise ordonnée en première instance, que seul le tendon profond de l’annulaire a été suturé et qu’en méconnaissance des règles de l’art, le praticien n’est intervenu ni sur le tendon superficiel du 4ème doigt, ni sur le tendon profond du 5ème doigt ; que, par ailleurs, l’immobilisation des doigts mise en place après l’intervention était inadaptée tant dans sa position que dans sa durée ; que les fautes, au demeurant non contestées, ainsi commises dans la prise en charge de Mme X...sont de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ;
5. Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment du rapport de l’expertise, que les erreurs commises dans la prise en charge de la patiente ont permis un lâchage des sutures et ainsi entraîné une perte de chance, pour la patiente, d’obtenir une consolidation satisfaisante de son état ; que, toutefois, compte tenu de sa gravité, la blessure initiale présentée par Mme X... aurait, dans tous les cas, laissé des séquelles à la requérante ; que les conséquences dommageables de la blessure ont également été aggravées par l’attitude de Mme X..., qui n’a pas respecté les consignes strictes d’immobilisation des doigts préconisées par le chirurgien ; qu’il sera, dans ces condition, fait une juste appréciation de la part de responsabilité du centre hospitalier de Troyes en la fixant à 40 % des préjudices subis par l’intéressée ;
Sur le préjudice :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
6. Considérant que la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne justifie, par un état détaillé des débours de la caisse de l’Aube du 6 juillet 2012 et une attestation d’imputabilité du médecin conseil du 14 mai 2013, que cette dernière a supporté des frais d’hospitalisation, médicaux, pharmaceutiques et de transport pour un montant de 35 179,58 euros et a versé à Mme X...des indemnités journalières pour un montant de 12 904,35 euros ; que, compte tenu de la part de responsabilité de l’établissement, la somme que le centre hospitalier de Troyes est condamné à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne doit être fixée à 19 233,57 euros ; que la caisse primaire d’assurance maladie a également droit à l’indemnité forfaitaire de gestion régie par les dispositions de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et fixée, à la date du présent arrêt, à la somme de 1 015 euros ; qu’il y a lieu, en conséquence, de mettre ce montant à la charge du centre hospitalier ;
7. Considérant que Mme X.., qui avait démissionné de son emploi en août 2004, n’exerçait pas d’activité professionnelle à la date de l’accident et ne justifie, par ailleurs, d’aucune recherche d’emploi ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que Mme X...se trouverait, en raison de la faute commise par le centre hospitalier, dans l’impossibilité de travailler ; que, par suite, sa demande tendant à l’indemnisation d’un préjudice professionnel doit être rejetée ;
En ce qui concerne les préjudices à caractère personnel :
8. Considérant que Mme X..., âgée de 41 ans à la date de l’accident, a subi une incapacité temporaire de 20% du 31 janvier 2005 au 9 février 2007, date à laquelle son état a été consolidé ; que, durant cette période, elle été hospitalisée 137 jours et demeure atteinte d’une incapacité permanente de 6 % ; qu’il sera fait une juste appréciation de ses souffrances physiques, évaluées à 2,5 sur une échelle de 1 à 7, de son préjudice esthétique, évalué à 1 sur la même échelle, et des troubles de toute nature dans les conditions d’existence, y compris le préjudice d’agrément, en les évaluant à la somme totale de 11 400 euros ; que, compte tenu du partage de responsabilité retenu, l’indemnité de 2 394 euros, que le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Troyes à verser à la victime, doit être portée à la somme de 4 560 euros ;
Sur les intérêts :
9. Considérant que la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne a droit aux intérêts de la somme de 19 233,57 euros à compter du 12 janvier 2010, date d’enregistrement de sa demande devant les premiers juges ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Troyes la somme de 1 500 euros à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : L’intervention de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube n’est pas admise.
Article 2 : Le centre hospitalier de Troyes est condamné à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne la somme de 19 233,57 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2010.
Article 3 : Le centre hospitalier de Troyes est condamné à verser à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne une somme de 1 015 euros au titre de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : La somme de 2 394 euros que le centre hospitalier de Troyes a été condamné à verser à Mme X...par le jugement du 28 juin 2012 est portée à 4 560 euros.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 28 juin 2012 est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.
Article 6 : Le centre hospitalier de Troyes versera à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative
Article 7 : Le surplus des conclusions de la requête de la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne et des conclusions d’appel incident de Mme A...est rejetée
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Aube, à Mme X..et au centre hospitalier de Troyes