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Cour Administrative d'Appel de Nancy, 7 avril 2005, Colette X. (irrégularité d'une expertise réalisée par le médecin traitant)


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 8 janvier 2001, présentée par Mme Colette X, élisant domicile ... ;

Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 2 novembre 2000 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande dirigée contre la décision en date du 6 juillet 1999 par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire de Besançon a déclaré imputable au service l'accident dont elle a été victime le 27 janvier 1995 mais a refusé de lui reconnaître une incapacité permanente partielle ;
2°) d'annuler la décision susvisée ;
3°) d'ordonner une expertise médicale aux fins de déterminer le taux d'incapacité permanente partielle et d'ordonner la transmission à la requérante du rapport d'expertise du Professeur D. ;

Elle soutient que :
- la décision de l'administration s'appuie sur une expertise entachée de partialité dès lors que le Professeur D. a été le médecin traitant de l'intéressée et qu'il a un lien direct avec le centre hospitalier universitaire de Besançon en sa qualité de chef du service de pneumologie ;
- la requérante n'a pu faire valoir ses droits dès lors que le rapport d'expertise n'a pas été communiqué à son médecin traitant ;
- l'état de santé de la requérante et son dossier médical attestent que les séquelles du premier accident ont été aggravées par l'accident du 27 janvier 1995 , ce qui justifie l'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité et une expertise médicale en vue de fixer le taux d'incapacité permanente partielle ;

Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2001, présenté par le centre hospitalier universitaire de Besançon, représenté par son directeur général ;

Le centre hospitalier universitaire de Besançon conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :
- l'expertise du professeur D. n'est pas irrégulière ; aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit à un médecin expert de procéder à une expertise sur un patient dont il a eu la charge ;
- la requérante n'apporte aucun commencement de preuve à caractère médical susceptible de remettre en cause l'expertise du Professeur D. ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 relative à la communication des documents administratifs et notamment son article 6 bis ;
Vu le décret n° 63-1346 du 24 décembre 1963 ;
Vu le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 63-1346 du 24 décembre 1963 modifié relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux agents permanents des collectivités locales et de leurs établissements publics ;
Vu le code des communes ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 mars 2005 :
- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Considérant que Mme X demande l'annulation du jugement en date du 2 novembre 2000 par lequel le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande dirigée contre la décision en date du 6 juillet 1999 par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire de Besançon a déclaré imputable au service l'accident dont elle a été victime le 27 janvier 1995 mais a refusé de lui reconnaître un taux d incapacité permanente partielle ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

Considérant qu'aux termes de l'article 80 de la loi du 9 janvier 1986 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière : Les établissements mentionnés à l'article 2 sont tenus d'allouer aux fonctionnaires qui ont été atteints d'une invalidité résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'au moins 10 % ou d'une maladie professionnelle, une allocation temporaire d'invalidité cumulable avec leur traitement dans les mêmes conditions que les fonctionnaires de l'Etat. Les conditions d'attribution ainsi que les modalités de concession, de liquidation, de paiement et de révision de l'allocation temporaire d'invalidité sont fixées par voie réglementaire ; qu'aux termes de l'article R. 417-11 du code des communes : La réalité des infirmités invoquées par l'agent, leur imputabilité au service, les conséquences ainsi que le taux d'invalidité sont appréciés par le commission départementale de réforme prévue par le régime des retraites des collectivités locales. Le pouvoir de décision appartient, sous réserve de l'avis conforme de la caisse des dépôts et consignations, à l'autorité qui a qualité pour procéder à la nomination. ;

Considérant que Mme X, aide-soignante au centre hospitalier universitaire de Besançon, victime le 4 septembre 1992 d'une exposition à des produits désinfectants ayant entraîné une irritation des muqueuses nasales et bronchiques, a vu sa demande d'octroi d'une allocation temporaire d'invalidité rejetée par une décision en date du 29 octobre 1997 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire de Besançon a fixé le taux d'incapacité permanente partielle consécutif à cet accident à 10 % dont 5 % imputable à l'état antérieur , soit un taux d'invalidité imputable au seul accident de service inférieur au taux de 10 % prévu à l'article 80 de la loi du 9 janvier 1986 ; que consécutivement à l'accident dont elle a été victime le 27 janvier 1995, également imputable au service, l'intéressée a présenté une nouvelle demande d'allocation temporaire d'invalidité ; que par la décision attaquée en date du 6 juillet 1999, prise conformément à l'avis de la commission de réforme émis le 17 juin 1999, le directeur général du centre hospitalier universitaire de Besançon a refusé de reconnaître un taux d'incapacité permanente partielle imputable au second accident de service et doit ainsi être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement rejeté la nouvelle demande d'allocation temporaire d'invalidité formulée par Mme X ;

Considérant qu'aux termes de l'article 105 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale : Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d'un même malade. Un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services ; qu'aux termes de son article 106 : Lorsqu'il est investi d'une mission, le médecin expert doit se récuser s'il estime que les questions qui lui sont posées (...) l'exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code ;

Considérant qu'il n'est pas contesté par le centre hospitalier universitaire de Besançon que le Professeur D., expert agréé et chef du service de pneumologie dudit établissement, auteur du rapport d'expertise sur la base duquel se sont prononcés la commission de réforme et le directeur général, a été amené dans le passé à voir en consultation la requérante et à lui prodiguer des soins ; que, dans ces conditions, il devait, à la date de l'expertise contestée, être regardé comme médecin traitant de la requérante au sens des dispositions des articles 105 et 106 du code de déontologie médicale ; que, par suite, Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la décision attaquée n'avait pas été prise au terme d'une procédure irrégulière ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision susvisée du directeur général du centre hospitalier universitaire de Besançon en date du 6 juillet 1999 ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ... prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction dans un sens déterminé, la juridiction saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ;

Considérant que l'exécution du présent arrêt implique seulement qu'il soit prescrit au directeur général du centre hospitalier universitaire de Besançon de réexaminer, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande de Mme X tendant à l'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité en procédant à une nouvelle expertise médicale ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu pour la Cour de désigner elle-même un expert aux fins de déterminer le taux d'incapacité permanente partielle dont serait atteinte la requérante ni non plus d'ordonner au centre hospitalier universitaire de Besançon la transmission à Mme X du rapport d'expertise du Professeur D. ;

DECIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du Tribunal administratif de Besançon en date du 2 novembre 2000 et la décision du directeur général du centre hospitalier universitaire de Besançon en date du 6 juillet 1999 sont annulés.
Article 2 : Il est prescrit au directeur général du centre hospitalier universitaire de Besançon de réexaminer, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande de Mme X tendant à l'attribution d'une allocation temporaire d'invalidité en procédant à une nouvelle expertise médicale.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Colette X et au centre hospitalier universitaire de Besançon.