En l'espèce, un enfant est admis en urgence le 20 février 2007 au sein du service de réanimation pédiatrique après qu'on lui a fait ingérer de l'acide chlorhydrique. Son état de santé s'améliorant malgré d'importantes lésions digestives et trachéo-bronchiques, il est transféré le 26 mars dans le service de chirurgie viscéral où une trachéotomie est réalisée le 3 avril 2007. Le petit patient est, dès le lendemain, admis dans le service d'oto-rhino-laryngologie du même établissement en chambre individuelle. Il est retrouvé ce même jour gisant sur le sol de sa chambre en arrêt cardio-respiratoire. L'enfant est réanimé grâce au remplacement de la canule de trachéotomie obstruée mais décède malheureusement quelques jours plus tard. Sa mère ainsi que ses grands parents et son oncle demandent la condamnation pour faute de l'établissement de santé au versement d'une indemnité au titre de leur préjudice moral résultant de la mort du jeune H. Le tribunal administratif de Paris retient la faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier en considérant que "il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions du rapport d'expertise, que l'enfant a été découvert inanimé, le prolongateur reliant le cathéter central au pousse-seringue était arraché, le capteur de saturation et les électrodes déconnectés du scope alors que cet appareil était silencieux et que l'électrocardiogramme était déprogrammé ; que l'expert a indiqué que l'enfant, qui avait déjà au cours de son hospitalisation quitté ou tenté de quitter son lit, notamment la nuit précédente, qui avait déjà manipulé les boutons de l'appareil et qui avait été identifié par les personnels soignants comme agité, avait sans doute désactivé les alarmes du scope soit avant de descendre du lit, soit immédiatement après, de sorte qu'une brève alarme n'aurait pas été entendue ; que la circonstance qu'un enfant de trois ans ait pu ainsi désactiver l'ensemble des alarmes qui se trouvaient à sa portée et quitter son lit sans appeler l'attention du personnel infirmier présent, alors que la porte de sa chambre était par ailleurs fermée, révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier".
Vu la requête, enregistrée le 27 janvier 2009, présentée pour Mme ..., mère du jeune ..., Mme ... et M. ..., ses grands-parents, M. ..., son oncle, demeurant ..., par Me Bensard ; les consorts ... demandent au tribunal :
- de condamner l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) à verser respectivement, au titre du préjudice moral résultant du décès du jeune ... survenu le 12 avril 2007 à l'hôpital ..., la somme de 50 000 euros à la mère de l'enfant, la somme de 10 000 euros à chacun des grands-parents et la somme de 10 000 euros à l'oncle de l'enfant ;
- de mettre à la charge de l'AP-HP, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 000 euros pour chacun d'entre eux, soit la somme totale de 4 000 euros, ainsi que les entiers dépens ;
Les consorts ... soutiennent que :
- la responsabilité de l'AP-HP est engagée dans la survenue du décès du jeune ... en raison de fautes dans l'organisation et le fonctionnement du service, dès lors que l'enfant a été transféré trop rapidement dans le service oto-rhino-laryngologie après la réalisation de la trachéotomie le 3 avril 2007, qu'il a été placé inutilement dans une chambre ne permettant pas une surveillance adaptée, qu'aucune alarme ne s'est déclenchée ou n'a à tout le moins appelé l'attention du personnel présent et que les gestes nécessaires n'ont pas été réalisés en extrême urgence lorsque l'enfant a été découvert inanimé ;
- la responsabilité de I'AP-HP est également engagée dans la survenue d'une infection nosocomiale par staphylocoque doré, infection qui a amené l'équipe médicale à mettre en oeuvre des mesures d'isolement qui ont fait obstacle à ce que l'enfant bénéficie d'une surveillance appropriée ;
- le préjudice moral subi par la mère de l'enfant, ses grands-parents et son oncle compte tenu du décès du jeune ... et des conditions dans lesquelles il est survenu doit être réparé par le versement des sommes respectives de 50 000 euros pour Mme ... et de 10 000 euros chacun pour M. ..., Mme ... et M. ... ;
Vu la demande indemnitaire préalable adressée par les consorts ... à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris et l'avis de réception de ce courrier en date du 3 septembre 2008 ;
Vu l'ordonnance en date du 19 novembre 2010 fixant la clôture d'instruction au 10 janvier 2011, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 décembre 2010, présenté par l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui demande au tribunal, à titre principal, de lui donner acte de ses réserves quant au principe de sa responsabilité, et à titre subsidiaire, de ramener le montant des sommes mises, le cas échéant à sa charge, à de plus justes proportions ;
L'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris fait valoir que :
- l'expert n'a relevé aucune faute s'agissant de l'indication de la trachéotomie, du transfert dans le service d'oto-rhino-laryngologie, du placement en chambre isolée, du nombre d'infirmières présentes ni de la prise en charge de l'arrêt cardiaque ;
- les juridictions administratives allouent une indemnité de 15 000 à 20 000 euros au titre du préjudice moral des parents d'un défunt, une indemnité de 1 500 euros aux grands-parents et une indemnité de 800 euros aux oncles et tantes ;
Vu le mémoire, enregistré le 9 février 2011, présenté pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU ... (CPAM), dont le siège est ..., par Me Nemer ; la CPAM DU ... demande au tribunal de :
1°) de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à lui verser la somme de 19 442, 79 euros au titre des prestations servies à son assuré, somme assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande et de la capitalisation desdits intérêts ;
2°) de mettre à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La CPAM DU ... soutient que :
- elle est fondée, conformément aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, à obtenir de 1'AP-HP le remboursement des débours exposés au bénéfice de son assuré ;
- elle a exposé des dépenses de santé en lien exclusif avec la faute reprochée à l'AP-HP consistant en des frais d'hospitalisation en réanimation du jeune ... du 4 avril au 12 avril 2007 ;
Vu l'ordonnance en date du 11 février 2011 fixant la réouverture de l'instruction, en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;
Vu l'ordonnance en date du 7 novembre 2007 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a désigné M. Garabedian en qualité d'expert ;
Vu le rapport d'expertise remis au greffe du tribunal le 30 mai 2008 ;
Vu l'ordonnance en date du 3 juin 2008 par laquelle le vice-président du tribunal administratif de Paris a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expertise confiée à M. Garabedian à la somme de 1 200 euros ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale, notamment son article L. 376-1 ;
Vu l'arrêté du 18 mars 2009 du Vice-président du Conseil d'Etat fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 17 février 2011 :
- le rapport de Mme Guilloteau, rapporteur ;
- et les conclusions de M. Gaspon, rapporteur public ;
Considérant que le jeune ..., né le 15 février 2004, a été admis en urgence le 20 février 2007 dans le service de réanimation pédiatrique de l'hôpital ... (Assistance publique - Hôpitaux de Paris / AP-HP) après qu'on lui a fait ingérer de l'acide chlorhydrique ; qu'en dépit d'importantes lésions digestives et trachéo-bronchiques, l'état de l'enfant s'est amélioré, permettant son transfert le 26 mars 2007 dans le service de chirurgie viscérale de cet hôpital ; qu'une trachéotomie y a été réalisée le 3 avril 2007 ; que l'enfant a été admis le lendemain dans le service d'oto-rhino-laryngologie de l'hôpital en chambre individuelle ; qu'il a été trouvé le 4 avril 2007 à 20h45 gisant sur le sol de sa chambre, en arrêt cardio-respiratoire ; qu'après avoir été réanimé grâce au remplacement de la canule de trachéotomie obstruée, le jeune ... est finalement décédé le 12 avril 2007 ; que sa mère, ses grands-parents et son oncle, après avoir saisi l'AP-HP d'une demande indemnitaire demeurée sans réponse, ont introduit la présente requête tendant à la condamnation de l'établissement hospitalier à les indemniser du préjudice moral résultat du décès de cet enfant ;
Sur la responsabilité de l'AP-HP :
Considérant qu'à l'arrivée dans le service d'oto-rhino-laryngologie, la saturation en oxygène, la fréquence cardiaque et la fréquence respiratoire du jeune ... ont été placées sous surveillance par la mise en place d'un scope placé à la tête du lit, relié à un capteur positionné sur le pied et à des électrodes positionnées sur le thorax ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des conclusions du rapport d'expertise, que lorsque l'enfant a été découvert inanimé, le prolongateur reliant le cathéter central au pousse-seringue était arraché, le capteur de saturation et les électrodes déconnectés du scope alors que cet appareil était silencieux et que l'électrocardiogramme était déprogrammé ; que l'expert a indiqué que l'enfant, qui avait déjà au cours de son hospitalisation quitté ou tenté de quitter son lit, notamment la nuit précédente, qui avait déjà manipulé les boutons de l'appareil et qui avait été identifié par les personnels soignants comme agité, avait sans doute désactivé les alarmes du scope soit avant de descendre du lit, soit immédiatement après, de sorte qu'une brève alarme n'aurait pas été entendue ; que la circonstance qu'un enfant de trois ans ait pu ainsi désactiver l'ensemble des alarmes qui se trouvaient à sa portée et quitter son lit sans appeler l'attention du personnel infirmier présent, alors que la porte de sa chambre était par ailleurs fermée, révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier ; qu'il résulte des conclusions du rapport d'expertise que l'enfant est décédé le 12 avril 2007 des séquelles de l'atteinte anoxo-ischémique majeure due à l'accident cardio-respiratoire, séquelles dont l'importance résulte du délai mis à rétablir la ventilation ; que la survenue du décès du jeune ... présente ainsi un lien de causalité direct et certain avec la faute relevée ; que la responsabilité de l'AP-HP est ainsi engagée à l'égard des consorts ..., sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
Sur les préjudices subis par la famille du jeune ... :
Considérant que compte tenu des circonstances particulières du décès de l'enfant, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par sa mère de l'enfant en fixant l'indemnité due à ce titre à la somme de 25 000 euros ; qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par les grands-parents du jeune ... en fixant à la somme de 4 000 euros l'indemnité due à chacun d'eux ; qu'il sera enfin fait une juste appréciation du préjudice moral subi par l'oncle de l'enfant en fixant à 800 euros l'indemnité due à ce titre ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que ces préjudices aient donné lieu à indemnisation par un tiers ; que ces sommes doivent dès lors être mises à la charge de l'AP-HP ;
Sur les droits de la CPAM DU ... :
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment des conclusions du rapport d'expertise, que le jeune ... a été admis en service de réanimation du soir du 4 avril au jour de son décès le 12 avril 2007 ; que les dépenses de santé correspondantes, s'élevant à la somme de 19 442, 79 euros, sont en lien direct et exclusif avec la faute commise par l'AP-HP ; que cette somme doit dès lors être mise à la charge de l'établissement public hospitalier ;
Sur le total des indemnités dues par l'AP-HP :
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'indemnité due par l'AP-HP à Mme ... s'établit à la somme de 25 000 euros, celles dues à M. ... et à Mme ... à la somme de 4 000 euros chacun et celle due à M. ... à la somme de 800 euros ; que l'indemnité due à la CPAM DU ... s'établit à la somme de 19 442, 79 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
Considérant, en premier lieu, que lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application, de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ;
Considérant que la CPAM DU ... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme susmentionnée de 19 442, 79 euros à compter du 9 février 2011, date d'enregistrement de son mémoire d'instance ;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière » ; que, pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant les juges du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par la CPAM DU ... le 9 février 2011, date à laquelle il n'était pas dû plus d'une année d'intérêts ; qu'il y a lieu dès lors d'ordonner, le cas échéant, la capitalisation des intérêts à compter du 9 février 2012 ;
Sur les dépens :
Considérant que les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros par l'ordonnance du 3 juin 2008 susvisée, doivent être mis à la charge définitive de l'AP-HP ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'AP-HP la somme de 375 euros chacun au titre des frais exposés par les consorts ... et non compris dans les dépens ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la CPAM DU ... ;
Article 1er : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à Mme ... la somme de 25 000 euros (vingt-cinq mille euros).
Article 2 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à M. ... et à Mme ... la somme de 4 000 euros (quatre mille euros) chacun.
Article 3 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser à M. ... la somme de 800 euros (huit cents euros).
Article 4 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris est condamnée à verser la somme de 19 442, 79 euros (dix-neuf mille quatre cent quarante-deux euros soixante-dix-neuf centimes) à la CPAM DU .... Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 9 février 2011. Les intérêts porteront eux-mêmes intérêts, le cas échéant, à compter du 9 février 2012 ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 5 : Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 1 200 euros (mille deux cents euros) par l'ordonnance du 3 juin 2008, sont mis à la charge définitive de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris.
Article 6 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris versera à Mme ..., à M. ..., à Mme ... et à M. ... la somme de 375 euros (trois cent soixante-quinze euros) chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : L'Assistance publique - Hôpitaux de Paris versera à la CPAM DU ... la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 9 : Le présent jugement sera notifié à Mme ..., à Mme ..., à M. ..., à M. ..., à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DU ... et à l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Copie en sera adressée à l'expert.
Délibéré après l'audience du 17 février 2011, à laquelle siégeaient :
M. Samson, président,
M. Dayan, premier conseiller, Mme Guilloteau, conseiller,
Lu en audience publique le 10 mars 2011 .