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Tribunal administratif de Paris, 20 mai 2010, n°0717643/6-3 (Responsabilité hospitalière – Dossier médical – Destruction)

Par ce jugement, le tribunal administratif de Paris considère que la circonstance que le dossier médical d’un patient ait été détruit dans un incendie, aussi regrettable soit-elle, n'est pas à elle seule de nature à infirmer les dires de l'expert qui a recueilli de manière contradictoire l'ensemble des informations disponibles, lesquelles ne permettent pas d'établir une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

N° 0717643/6-3

Audience du 6 mai 2010

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

M. M et autres

M. Martin-Genier Rapporteur

Audience du 6 mai 2010

Lecture du 20 niai 2010

Vu la requête, enregistrée le 13 novembre 2007, présentée pour M. M, demeurant et Mme M, demeurant, agissant en leur nom propre et en leur qualité de représentants légaux de leur fils, L, Mme M, demeurant, Mme M, et Mlle M, demeurant, par Me Gravier ;

M. M et autres demandent au Tribunal :

1°) de condamner l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris à payer la somme de

1. 005. 000 euros à M. M, la somme de 15. 000 euros à Mme M, et celle de 10. 000 euros à chacun des enfants de M. M, en réparation du préjudice que leur a causé la perte de l'œil gauche de M. M à la suite de l'intervention qu'il a subie à l'hôpital… , à Paris, au mois de décembre 1985 ;

2°) de mettre à la charge de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris la somme de

2. 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les dépens ;

Vu la mise en demeure adressée le 3 février 2010 au directeur général de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu l'ordonnance en date du 17 mars 2010 fixant la clôture d'instruction au 16 avril 2010, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu les mémoires en défense, respectivement enregistrés le 31 mars et le 3 avril 2010, par lesquels l'AP-HP, dont le siège est 3, avenue Victoria à Paris cedex 04 (75184), représentée par son directeur général en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demande au Tribunal :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions des consorts M comme infondées ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, de ramener le montant des indemnités sollicitées à de plus justes proportions ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 avril 2010, par lequel d'une part, M. M, devenu majeur, informe le Tribunal qu'il reprend l'instance en son nom et, d'autre part, les requérants concluent aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens :

Vu l'ordonnance en date du 22 avril 2010 rouvrant l'instruction en application de l'article R. 613-4 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 28 avril 2010, par lequel la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Somme informe le Tribunal qu'elle n'entend pas exercer d'action récursoire et produire un relevé des débours relatifs aux soins et traitements reçus par son assuré M. M en lien avec les fautes qui auraient été commises par l'hôpital…. dans le suivi médical de son assuré ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 avril 2010. par lequel l'AP-HP informe le Tribunal qu'elle persiste dans ses précédentes écritures ;

Vu l'ordonnance en date du 30 septembre 2004 du juge des référés du Tribunal ordonnant une expertise médicale ;

Vu le rapport d'expertise déposé le 3 janvier 2005 ;

Vu l'ordonnance en date du 17 janvier 2005 du vice-président du Tribunal taxant et liquidant les frais et honoraires de l'expert à la somme de 300 euros et les mettant à la charge provisoire de M.M ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 mai 2010 :

- le rapport de M. Martin-Genier, rapporteur ;
- les observations de Me Gravier, avocat des consorts M,

- et les conclusions de M. Gaspon, rapporteur public ;

La parole ayant été de nouveau donnée à Me Gravier, avocat de M. M ;

Considérant que M. M , alors âgé de 25 ans, a été admis à l'hôpital … , dépendant de l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, au mois de décembre 1985 pour y subir une kératoplastie perforante, soit une greffe de la cornée de l'œil gauche, pour rétablir une acuité visuelle satisfaisante ; que les suites ont été marquées par un œdème cornéen rendant nécessaire un traitement par collyre anti-inflammatoire, traitement qui a été poursuivi plusieurs semaines ; qu'au mois d'avril 1986, lors d'une consultation, a été mis en évidence un glaucome chronique ; que malgré plusieurs interventions en 1999 et 2001, le processus dégénératif tant sur la cornée que sur le glaucome n'a pu être interrompu que par une ordonnance en date du 30 septembre 2004 du juge des référés du Tribunal, une expertise médicale a été ordonnée ; que l'expert désigné par le Tribunal a déposé son rapport le 3 janvier 2005 ; que par une réclamation préalable envoyée à l'AP-HP en recommandé avec accusé de réception et reçue le 13 juillet 2007, les consorts M ont demandé à l'AP-HP la réparation du préjudice subi par M. M, son épouse et leurs enfants, du fait des fautes commises, selon eux, par l'hôpital…. dans le suivi post-opératoire de M. M ; qu'à la suite d'un rejet implicite de cette réclamation préalable, les consorts M ont saisi le Tribunal à fin de condamnation de l'AP-HP à réparer les conséquences dommageables des soins et traitements reçus à la suite de l'intervention du mois de décembre 1985 dans le service d'ophtalmologie de l'hôpital… ;

Sur la responsabilité de l'AP-HP

Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert désigné par le Tribunal le 30 septembre 2004, que M. M, né en 1960, était porteur d'une anomalie constitutionnelle des deux globes oculaires à prédominance gauche qui a commencé à manifester ses effets à l'âge de 23 ans ; que malgré les traitements suivis, il a été nécessaire d'entreprendre une greffe de la cornée de l'œil gauche pour permettre le rétablissement d'une acuité visuelle satisfaisante ; que l'intervention a été pratiquée dans les règles de l'art et des connaissances acquises de la science dans le service d'ophtalmologie de l'hôpital… au mois de décembre 2005 ; que les suites de cette intervention ont été marquées par un œdème cornéen imposant un traitement par collyre anti-inflammatoire de type chibrocardon et que ce traitement a été poursuivi jusqu'au rétablissement de la transparence cornéenne ; que devant l'absence de récupération visuelle. une analyse fonctionnelle et clinique a, au mois d'avril 1986, mis en évidence une hypertonie oculaire ; qu'un glaucome chronique a alors été diagnostiqué ; que si M. M impute la responsabilité de son état au traitement entrepris postérieurement à

l'intervention du mois de décembre 1985, selon les conclusions de l'expert, la prescription d'un anti-inflammatoire local au long court a été logique et conforme aux règles de l'art ; que si l'expert fait valoir que s'il n'est pas exclu que le tissu nero-rétinien de l'œil gauche aurait pu être conservé si une prise en charge plus précoce de la complication glaucomateuse avait été instaurée, sans dire à quelle date exacte cette prise en charge aurait dû être mise en œuvre, il résulte également du rapport d'expertise que si le traitement anti-inflammatoire n'avait pas été entrepris ou s'il avait été arrêté plus tôt, d'une part, la greffe aurait évolué vers une opacification et, d'autre part, il est probable que l'évolution inexorable vers un glaucome et une cataracte se serait quand même produite ; qu'ainsi, dans les circonstances de l'espèce, en l'absence de faute démontrée entre l'intervention pratiquée au mois de décembre 1985 et la décompensation glaucomateuse qui a suivi cette intervention, alors que, comme dit plus haut, M. M était porteur d'une anomalie constitutionnelle de la cornée, ce dernier n'a, en l'espèce, pas perdu de chance d'une récupération visuelle ; que dès lors, les consorts M ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de l'AP-HP ;

Considérant que la circonstance que le dossier médical de l'intéressé ait été détruit dans un incendie, aussi regrettable soit-elle, n'est pas à elle seule de nature à infirmer les dires de l'expert qui a recueilli de manière contradictoire l'ensemble des informations disponibles, lesquelles ne permettent pas d'établir une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les conclusions des consorts M tendant à la condamnation de l'AP-HP à la réparation de leur préjudice doivent être rejetées ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant que les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 300 euros par ordonnance du 17 janvier 2005 du vice-président du Tribunal, doivent être mis à la charge définitive des consorts M ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'AP-HP, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les consorts M demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;

DECIDE:
Article 1 : La requête des consorts M est rejetée.

Article 2 : Les frais et honoraires d'expertise taxés et liquidés à la somme de 300 (trois cents) euros par ordonnance du 17 janvier 2005 du vice-président du Tribunal, sont mis à la charge définitive des consorts M.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. M, Mme M, Mme M, Mme M, Mlle M, M. M, à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Somme et à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2010, à laquelle siégeaient :

Mme Lastier. président,
M. Dayan, premier conseiller,
M. Martin-Genier, premier conseiller,

Lu en audience publique le 20 mai 2010.

Le rapporteur, Le président,

P. MARTIN-GENIER E.LASTIER

Le greffier,

M. KOLIE

La République mande et ordonne au ministre de la santé et des sports en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.