En l’espèce, la titularisation d’une aide-soignante, travaillant depuis plus de 3 ans et demi au sein d’un centre hospitalier, sans difficultés signalées, a été refusée au motif que le diabète insulino dépendant dont elle souffre pouvait « entraîner des malaises hypoglycémiques dangereux pour l'intéressée et autrui », et qu'une telle affection entraînait « inéluctablement un congé de longue maladie dans les années à venir ». Le tribunal administratif de Rennes annule cette décision, relevant que le statut particulier des aides-soignantes n'édicte aucune incompatibilité générale entre les fonctions exercées et la maladie du diabète ou toute autre affection médicale évolutive ; et que la décision litigieuse s’est fondée sur des développements ultérieurs probables de cette maladie, et non sur ses manifestations actuelles. |
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE RENNES
N° 0604347
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Tribunal administratif de Rennes
(4ème Chambre)
Mme X
M. Vergne
Rapporteur
M. Coent
Commissaire du gouvernement
Audience du 6 mars 2008
Lecture du 3 avril 2008
Vu la requête, enregistrée le 24 octobre 2006, présentée pour Mme X demeurant [...], par Me Papasian ;
Mme X demande au tribunal :
- d'annuler la décision en date du 4 septembre 2006 par laquelle le directeur du centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier a notamment refusé de renouveler son contrat d'aide-soignante à compter du 1er janvier 2007 ;
- de mettre à la charge du centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens de l'instance ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 7 février 2007, présenté pour le centre hospitalier Guillaume Régnier qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la requérante à lui verser une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à assumer les frais et dépens de la procédure ;
Vu le mémoire, enregistré le 5 juin 2007, présenté pour Mme X qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 23 août 2007, présenté pour le centre hospitalier Guillaume Régnier qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 septembre 2007, présenté pour Mme X qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mimes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré. le 27 février 2008, présenté pour le centre hospitalier Guillaume Régnier qui conclut aux mêmes fins que précédemment par les mêmes moyens ;
Vu la décision attaquée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
Vu le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 mars 2008 :
- le rapport de M. Vergne, premier conseiller ;
- les observations de :
- Mme X , requérante ;
- Me Gouin-Poirier, avocate du centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier ;
- et les conclusions de M. Coént, commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X , alors récemment diplômée, a été engagée en qualité d'aide-soignante par le centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier dans le cadre d'un contrat à durée déterminée conclu pour la période du 3 février 2003 au 31 octobre 2006 ;
que, par un courrier du 17 mars 2006, il a été répondu favorablement par la direction de l'établissement, mais sous réserve de l'avis favorable du médecin du travail et des appréciations de son chef de service, à la démarche qu'elle engageait en vue de son placement en position de stagiaire avant d'être titularisée dans la fonction publique ;
que le médecin du travail, qui a examiné Mme X le 31 mars 2003, a toutefois émis un avis d'aptitude « avec réserve », mentionnant l'existence d'une contre-indication au travail de nuit, et a suggéré la saisine du médecin agréé ; que celui-ci a émis son avis le 8 juin 2006 et conclu à une « inaptitude aux fonctions d'aide-soignante salariée de la fonction publique » ; que le comité médical, obligatoirement saisi, s'est prononcé le 19 juillet 2006 dans le même sens que le médecin expert ;
que, le 4 septembre 2006, le directeur de l'établissement a notifié à l'intéressée sa décision de ne pas la nommer comme aide-soignante stagiaire, de proroger de deux mois la durée de son contrat jusqu'au 31 décembre 2006 dans l'attente de la décision du comité médical saisi par elle d'un recours, et de ne pas renouveler son contrat au-delà de cette date ; que la requérante, qui a contesté sans succès l'avis du comité médical départemental, confirmé par cette même instance le 20 décembre 2006 après un nouveau rapport d'expertise qui était pourtant favorable à Mme X , demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision susmentionnée du 4 septembre 2006 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983 : « Sous réserve des dispositions de l'article 5 bis, nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire (...) 5° S'il ne remplit les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction compte tenu des possibilités de compensation du handicap. » ;
qu'aux termes de l'article 10 du décret du 19 avril 1988 susvisé : « Nul ne peut être nommé à un emploi de la fonction publique hospitalière s'il ne produit, dans le délai prescrit par l'autorité administrative, un certificat médical délivré par un médecin généraliste agréé attestant que l'intéressé n'est atteint d'aucune maladie ou infirmité, ou que les maladies ou infirmités constatées ne sont pas incompatibles avec l'exercice des fonctions auxquelles il postule. Au cas où le praticien de médecine générale a conclu à l'opportunité d'un examen complémentaire, l'intéressé est soumis à l'examen d'un médecin spécialiste agréé ». ;
qu'en vertu de l'article 11 du même texte : « Lorsque les conclusions du ou des médecins sont contestées par l'administration ou par l'intéressé, le dossier est soumis au comité médical compétent. » ;
qu'enfin, l'article 12 dispose que : « Lorsqu'en vue de l'exercice de certaines fonctions les candidats doivent remplir des conditions d'aptitude physique spéciales, les statuts particuliers déterminent ces conditions et les moyens et modalités de contrôle appropriés à la vérification desdites conditions, qui peuvent notamment comporter un examen médico-psycho-technique d'aptitude. » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le motif déterminant du refus de placement en position de stagiaire de Mme X réside dans l'incompatibilité de son état de santé avec les fonctions d'aide-soignante hospitalière ;
que cette décision a été prise conformément à l'avis émis par le comité médical et au vu de l'expertise rendue par le docteur Louvigné qui, pour délivrer son avis d'inaptitude, s'est fondé sur l'opinion du médecin du travail, lequel avait émis un avis d'aptitude avec réserve compte tenu d'une contre-indication au travail de nuit sur le fait que le diabète insulino dépendant dont souffrait l'intéressée pouvait « entraîner des malaises hypoglycémiques dangereux pour l'intéressée et autrui », et sur le fait qu'une telle affection entraînait « inéluctablement un congé de longue maladie dans les années à venir » ;
que, toutefois, le rapport d'expertise susmentionné, établi par un médecin non spécialiste de l'affection complexe dont était atteinte Mme X , se fonde sur les développements ultérieurs probables de cette pathologie et non sur ses manifestations actuelles ;
que le statut particulier des aides-soignantes n'édicte aucune incompatibilité générale entre les fonctions exercées et la maladie du diabète ou toute autre affection médicale évolutive pouvant ouvrir droit à un congé de longue maladie ou de longue durée ;
que Mme X , qui travaillait au centre hospitalier depuis plus de 3 ans et demi sans difficultés signalées liées à sa maladie, verse au dossier des éléments médicaux signalant l'absence, sur ce diabète de type 1 diagnostiqué à l'âge de 14 ans, d'hypoglycémies sévères et d'hospitalisations en urgence, constatant l'inexistence de complications vasculaires et neurologiques repérées, et faisant état d'une insulo-thérapie très bien gérée, l'intéressée étant équipée, depuis février 2006 d'une pompe à insuline externe portable ;
que ces éléments ont été confirmés par le second rapport d'expertise établi le 6 décembre 2006 par un médecin des hôpitaux spécialiste en endocrinologie-diabétologie, qui, constatant que « les épisodes hypoglycémiques sont rares et surviennent essentiellement sur un mode mineur », conclut à l'absence de contre-indication d'un emploi d'aide-soignante dans la fonction publique compte tenu d'un diabète stable, bien équilibré, sans complication dégénérative, et avec une prise en charge adéquate par la patiente » ;
que, dans ces conditions, et en l'absence de toute démonstration de l'administration défenderesse tendant à démontrer que les conditions d'emploi de Mme X impliquaient des sujétions particulières incompatibles avec son état de santé, il doit être considéré que l'inaptitude de la requérante à l'exercice de la fonction d'aide-soignante dans la fonction publique hospitalière n'est pas établie ; que, par suite, la requérante est fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle conteste ;
SUR LES DEPENS :
Considérant que la présente instance n'a comporté aucun frais de cette nature ; que les conclusions de la requérante tendant à ce que les dépens de l'instance soient mis à la charge du centre hospitalier ne peuvent, par suite, qu'être rejetées ;
SUR LES CONCLUSIONS TENDANT A L' APPLICATION DE L'ARTICLE L. 761-1 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE :
Considérant, en premier lieu, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le centre hospitalier Guillaume Régnier à payer à Mme X une somme de 1 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'elle a engagés en raison de la présente instance ;
Considérant, en second lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par le centre hospitalier Guillaume Régnier doivent, dès lors, être rejetées ;
DECIDE:
Article 1er : La décision du 4 septembre 2006 du directeur du centre hospitalier spécialisé Guillaume Rénier est annulée,
Article 2 : Le centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier est condamné à verser à Mme X une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative,
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme X , est rejeté,
Article 4 : Les conclusions du centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées,
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme X et au centre hospitalier spécialisé Guillaume Régnier.