Le fils d'un sculpteur d'une statue érigée dans la cour d'un hôpital a assigné l'établissement public de santé et l’agent judiciaire de l'Etat, cette statue étant "depuis 1984 "déguisée" ou "grimée" environ deux fois par an par les internes de médecine". Le tribunal rappelle que "le dépositaire doit veiller à la conservation de la chose, et prendre toutes mesures pour la préserver des risques de vol, de perte ou de dégradation provenant des tiers. Un tiers au contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel des lors que ce manquement lui a causé un dommage. Il appartenait en l'espece à [l'hôpital], qui savait qu'en vertu d'une tradition, des dégradations étaient apportées à l'œuvre par les internes, de prendre, en sa qualité de dépositaire, les mesures nécessaires pour protéger l'œuvre et éviter qu'on lui porte atteinte. S'il ne peut être contesté qu'[il] a pris certaines dispositions, il résulte des pièces produites que celles-ci n'étaient pas suffisantes. En ne prenant pas de mesures suffisamment efficaces, [il] a commis une faute, dont M. X., tiers au contrat de dépôt, peut se prévaloir". |
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS
3ème chambre 3ème section
N° RG : 13/07193
Assignation du : 26 avril 2013
JUGEMENT
rendu le 13 Mars 2015
DEMANDEUR.
Monsieur X
representé par Me Tamara BOOTHERSTONE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D2085
DEFENDERESSES
M. AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Bâtiment Condorcet
6, Rue Louis Weiss - Teledoc 331 - Bureau 2A75703 PARTS CEDEX 13
défaillant
ASSISTANCE PUBLIQUE DES HOPITAUX DE PARIS
3 Avenue Victoria
75004 PARIS/FRANCE
représentée par Me Julien TSOUDEROS, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #D1215
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Bénédicte FARTHOUAT-DANON, Premier Vice Président adjoint
Canine GILLET, Vice-Président
Florence BUTIN, Vice-Présidente
assistée de Marie-Aline PIGNOLET, Greffier
DEBATS
A 1'audience du 26 Janvier 2015
tenue en audience publique
JUGEMENT
Prononcé publiquement par miseà disposition au greffe
Réputé Contradictoire
en premier ressort
M. X. est le fils du sculpteur Y., auteur de la statue du baron Z. érigée dans la cour de l’hôpital A. à Paris.
Cette statue est depuis 1984 "déguisée" ou "grimée" environ deux fois par an par les internes de médecine.
Considérant que cette tradition portait atteinte au respect de l'œuvre qui était ainsi déconsidérée, et au droit moral de l'artiste, M. X.a écrit a plusieurs reprises à l'association des internes dénommée W., et à l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (l'APHP).
Des campagnes d'information ont été menées auprès des internes, et des réunions ont été organisées par l'APHP, sans que la pratique cesse.
C'est dans ces circonstances que, par acte d'huissier de justice du 26 avril 2013, M. X. a assigné l'APHP et l’agent judiciairede 1'Etat en réparation de son préjudice.
Il demande dans ses derrières conclusions notifiées par voie électronique le 9 octobre 2014, au visa des articles L 121-1 et L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et des articles 731, 732, 734 et 1382 et 1927 du code civil, de:
- dire et juger que l'APHP a commis une faute en ne procédant pas à l'entretien de la statue du baron Z. et en permettant le vandalisme perpétré depuis 30 ans à son encontre,
- condamner l'APHP à lui payer la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral, en réparation de l'atteinte au droit moral de 1'auteur,
- ordonner à l'APHP de déplacer la statue du baron de Z. dans le hall de l’hôpital A. sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter de 30 jours suivant la signification du jugement à intervenir,
- se réserver la liquidation de 1'astreinte,
- condamner l'APHPà lui payer la somme de 4.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens, en ce compris les frais exposés en vue de l'assignation et toutes mesures d'exécution du jugement à intervenir,
- prononcer l’exécution provisoire du Jugementà intervenir, nonobstant appel et sans constitution de garantie.
Il fait valoir en substance que:
- le propriétaire ou le gardien de l'œuvre doit en assurer la conservation, la défenderesse est responsable des fautes qu'elle peut commettre à cet égard, sur le fondement des articles 1927 et 1382 du code civil, elle a manqué à ses obligations en ne recherchant pas de solution pérenne,
-la défenderesse est responsable des actes des internes,
- les photographies de la statue déguisée circulent sur nombre de sites Internet, et son préjudice est important.
L'APHP demande au tribunal dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 mai 2014 de:
- débouter M. X. de ses demandes,
- lui donner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le déplacement de l'œuvre au sein de l’hôpital A.,
- subsidiairement, ramener le montant des dommages-intérêtsà de plus justes proportions.
Elle soutient essentiellement que:
- elle n'est pas propriétaire de la statue et n'est pas l’auteur des dégradations, elle ne peut répondre des actes des internes,
- elle a fait tout ce qui était possible pour éviter les dégradations, a procédé à des rappels à l'ordre auprès des internes, au bâchage de la statue qu'elle a proposé de déplacer; elle l'a remise en état chaque foisque nécessaire ; aucune faute ne peut donc lui être reprochée,
- peu de gens ont accès a la statue, les dégradations ne sont ni permanentes ni irréversibles, et les dommages-intérêts doivent, subsidiairement, être modérés.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé à ces conclusions pour l'exposé complet des moyens des parties.
MOTIFS
Sur la faute :
Aux termes de l’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre. Ce droit, attaché à sa personne, est transmissible à cause de mort à ses héritiers.
II n'est pas contesté en l'espece que M. X. est titulaire, en sa qualité d'héritier de son père M. Y., du droit moral de l'auteur sur l'œuvre de ce celui-ci, notamment sur la statue de Z. érigée dans la tour de l’hôpital A.
Il n'est par ailleurs pas discuté que cette œuvre est la propriété de la Ville de Paris, et que l’APHP en est dépositaire.
Le dépositaire doit veiller à la conservation de la chose, et prendre toutes mesures pour la préserver des risques de vol, de perte ou de dégradation provenant des tiers.
Un tiers au contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel des lors que ce manquement lui a causé un dommage.
Il appartenait en l'espece à l'APHP, qui savait qu'en vertu d'une tradition, des dégradations étaient apportées à l'œuvre par les internes, de prendre, en sa qualité de dépositaire, les mesures nécessaires pour protéger l'œuvre et éviter qu'on lui porte atteinte.
S'il ne peut être contesté qu'elle a pris certaines dispositions, il résulte des pièces produites que celles-ci n'étaient pas suffisantes. En ne prenant pas de mesures suffisamment efficaces, elle a commis une faute, dont M. X., tiers au contrat de dépôt, peut se prévaloir.
Sur le préjudice :
L'atteinte au droit moral dont M. X. est titulaire est caractérisée, l'œuvre étant régulièrement modifiée, même si cette modification n'est pas irréversible.
Cette atteinte sera réparée par l'allocation d'une somme de 6 000 eurosà titre de dommages-intérêts.
Il appartient à l'APHP de prendre les mesures nécessaires pour éviter que les faits se reproduisent, sans qu'il y ait lieu pour le tribunal de se prononcer sur la mesure la plus appropriée. Il n'y a donc pas lieu de prononcer d'injonction sous astreinte.
Sur les autres demandes :
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens à payer à l'autre partie, au titre des frais non compris dans les dépens, la somme qu'il détermine en tenant compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il convient de condamner l'APHP à paye rà ce titre à M.X. la somme de 3 000 euros.
L'exécution provisoire, compatible avec la nature de 1'affaire et nécessaire en l'espece, sera ordonnée.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort,
Dit que l’APHP a commis une faute en ne prenant pas les mesures nécessaires pour éviter qu'il soit porté atteinte à l'œuvre de Y.;
Condamne l’APHP à payer à M. X. la somme de 6 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée a son droit moral ;
Condamne l’APHP à payer à M. X. la somme de 3 000 euros au titre de 1'article 700 du code de procédure civile;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne l'APHP aux dépens;
Ordonne l'execution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 13 Mars 2015