Si la liberté religieuse des patients est garantie par des textes nationaux et internationaux, il arrive cependant que des problèmes se posent en pratique.
En effet, dans certaines hypothèses, la croyance des patients va à l’encontre de l’exercice des soins. Tel est notamment le cas du refus de soins des malades.
La liberté religieuse étant un principe fondamental, le patient peut, au nom de cette liberté et du principe d’inviolabilité du corps humain, refuser des soins (1).
En effet, ce principe impose au médecin de recueillir le consentement du malade. Cependant, si le respect de la volonté du patient est primordial, le devoir d’assistance du médecin à une personne en péril l’est tout autant (2).
1– Le principe d’inviolabilité du corps humain
Le principe d'inviolabilité du corps humain impose à tout médecin de rechercher le consentement de son patient, préalablement à tout traitement ou intervention préconisés, aussi infime que soit l'atteinte à l'intégrité physique de la personne.
Ce principe de l'obtention du consentement a été consacré par les lois n° 94-653 et 94-654 du 29 juillet 1994 (lois dites de bioéthique) et la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 (article 70) relative au respect du corps humain.
Il a été intégré à l’article 16-3 du code civil : "il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne (loi n° 99-641 du 27 juillet 1999). Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir".
Toutefois, ce consentement doit répondre à un certain nombre de caractéristiques. Ainsi, pour ne pas être entaché de suspicion, le consentement doit être donné librement par le patient, lequel ne doit faire l'objet d'aucune pression physique ou morale.
Une information simple, intelligible et loyale doit être transmise au patient afin qu’il consente librement à l’acte de soins envisagé. L’article 35 du code de déontologie médicale énonce que “ le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension ”.
Dès lors, le patient, capable et conscient, doit pouvoir refuser de commencer ou de poursuivre le traitement ou l'intervention conseillé par son médecin traitant. Ainsi, l'article 36 alinéa 2 du décret du 6 septembre 1995 portant réforme du code de déontologie médicale dispose-t-il que "lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences".
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé réaffirme ce droit de refuser un traitement ou une intervention médicale. L’article L.1111-4 du code de la santé publique énonce en effet que “ le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre un traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables.
Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ”.
Toutefois, la Cour d’appel de Toulouse énonçait dans un arrêt en date du 15 février 1971 (CA Toulouse 15/02/1971, Gazette du Palais 1972, 1, Sommaire p. 35.) que “ le docteur qui a reconnu qu’il s’était incliné assez facilement devant le refus d’un malade d’accepter une piqûre antitétanique (…) a commis une faute engageant sa responsabilité ”.
A contrario, l’abstention d’un médecin de pratiquer un acte de soins ne sera pas délictueuse si le patient a refusé ces soins après avoir reçu une information complète et notamment une information sur les conséquences d’un tel refus.
Le Conseil d’Etat a ainsi affirmé à plusieurs reprises l’impossibilité juridique pour le médecin de bafouer la volonté du malade sauf en cas de danger immédiat. Dans une décision du 27 janvier 1982, le Conseil d’Etat a estimé que le “ refus interdisait au Docteur X….sauf le cas de danger immédiat pour la vie ou la santé de la patiente, de passer outre la volonté ainsi clairement exprimée par celle-ci ”.
Au regard des différents textes et décisions jurisprudentielles citées ci-dessus, il apparaît que la volonté des patients ne peut être juridiquement, déontologiquement et culturellement bafouée notamment lorsque cette volonté est fondée sur des convictions intimes et religieuses.
Cependant, l’obligation de respecter la volonté du patient trouve une limite dans l’obligation du médecin de protéger la santé du patient.
2 – Le devoir d’assistance à personne en péril.
Ce devoir d’assistance impose à tout médecin qui se trouve en présence d’un blessé en péril de lui porter assistance. Ainsi, un médecin qui n'a pas réussi à convaincre son malade et qui estime, en conscience, que la vie du patient est en jeu, peut passer outre à ce refus et délivrer les soins qu'il juge nécessaires.
Cette obligation de protéger la santé du patient est inscrite dans plusieurs textes législatifs et réglementaires (2.1). En outre, la jurisprudence, tant administrative que judiciaire, a consacré, à plusieurs reprises, ce devoir (2.2).
2.1 - Les textes applicables
Le devoir d’assistance à personne en péril est consacré par différents textes, notamment :
- L’article 9 du Code de déontologie médicale qui impose à tout médecin se trouvant en présence d’un malade ou d’un blessé en péril, ou qui est informé de la présence d’un malade ou d’un blessé en péril, de lui porter assistance ou de s’assurer qu’il reçoit les soins nécessaires ;
- L'article 42 du décret du 14 janvier 1974 relatif aux règles de fonctionnement des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux qui dispose que le refus des malades d'accepter le traitement, l'intervention ou les soins proposés doit être respecté "sauf urgence médicalement constatée nécessitant des soins immédiats".
L’obligation de protéger la santé du patient malgré l’expression d’un refus de soins se pose avec une particulière acuité dans le cas des mineurs dont les représentants légaux appartiennent à la communauté des Témoins de Jéhovah. Une solution juridique visant à protéger la santé de l’enfant est prévue à l’appui des textes suivants :
- L’article 42 du Code de déontologie médicale mentionne que le médecin doit s’efforcer d’obtenir le consentement des parents, ou du représentant légal, et non qu’il doit l’obtenir.
- L'article 43 du Code de déontologie médicale énonce que "Le médecin doit être le défenseur de l'enfant lorsqu'il estime que l'intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage" ;
- L’article 28 du décret du 14 janvier 1974 relatif au fonctionnement des centres hospitaliers civils prévoit que les parents du mineur sont requis de donner une autorisation écrite d’opérer et d’effectuer les actes liés à l’opération. En cas de refus de consentement, il peut être passé outre “ lorsque la santé ou l’intégrité corporelle du mineur risque d’être compromise par ce refus ”. Le médecin responsable du service saisit alors le procureur de la république qui provoquera “ les mesures d’assistance éducative lui permettant de donner les soins qui s’imposent ” (article 375 du code civil) ;
- L’article 24 de la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant reconnaît “ le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux ”. L’alinéa 3 précise que “ les Etats parties prennent toutes les mesures efficaces appropriées en vue d’abolir les pratiques traditionnelles préjudiciables à la santé des enfants ”.
- Enfin, l’article L.1111-4 du code de la santé publique énonce désormais que “ le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision.
Dans le cas où le refus d’un traitement par la personne titulaire de l’autorité parentale ou par le tuteur risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé du mineur ou du majeur sous tutelle, le médecin délivre les soins indispensables ”.
2.2 – La jurisprudence judiciaire et administrative
Il convient ici de se reporter à la fiche technique “ le refus de soins ” (cf. également fiche technique “ Transfusion sanguine et témoins de Jéhovah ”).
N.B : En matière de transfusion sanguine, afin de remédier au conflit entre l’obligation du médecin de protéger la santé du patient et l’obligation de respecter la volonté du malade, certains praticiens s’intéressent actuellement au développement de nouvelles techniques médicales qui permettraient de concilier volonté du malade et obligation faite au médecin de protéger la santé de son patient en évitant de recourir aux transfusions sanguines.
En effet, les Témoins de Jéhovah refusent le sang total, les plaquettes, les leucocytes, les globules rouges, le plasma, et de manière générale, tout sang homologue. Des techniques d’économie de sang (techniques de réduction de pertes sanguines, stimulation de l’hématopoïèse, optimisation du débit cardiaque) qui minimisent à l’extrême les apports transfusionnels pourraient être employées. Cependant, il faut être conscient qu’elles ne permettent pas de résoudre à l’heure actuelle tous les problèmes posés par les anémies et hypovolémies sévères, possiblement létales.
Il convient de souligner que l’élaboration de ces nouvelles techniques se fait à l’instigation des Témoins de Jéhovah : ceux-ci ont même instauré une structure internationale de nature à soutenir les stratégies alternatives à la transfusion sanguine. En France, un bureau d’information hospitalier a été créé en 1990. Ce service d’information a pour but de faciliter la communication entre les différents partenaires dans le cadre de la relation médecin-patient Témoin de Jéhovah, de favoriser l’échange de moyens et techniques entre équipes médicales et surtout de développer l’information hospitalière sur la chirurgie sans transfusion et les solutions substitutives.
Certains praticiens estiment ainsi que, si les connaissances scientifiques permettent à la fois de respecter les positions d’ordre confessionnel et les limites physiologiques connues, il est du devoir des médecins de les mettre au service du patient. Le développement de ces nouvelles alternatives thérapeutiques permettra peut être de concilier harmonieusement les deux principes ci-dessus exposés.
Les croyances religieuses des patients peuvent donc, dans certaines circonstances, interférer avec l’exercice des soins, amenant à concilier deux principes, celui de l’inviolabilité du corps humain et celui de l’assistance à personne en péril.